Les pilotes de l’Est en F1 : Daniil Kvyat, a-t-on fait exploser la torpille en plein vol ?
Si l’URSS et les Etats-Unis se sont concurrencés dans bon nombre de domaines au cours de la Guerre Froide, force est de constater que le sport automobile n’en fait pas partie. S’il y avait bien des championnats en URSS et dans les pays du Pacte de Varsovie, aucune de leurs créations ne pouvaient rivaliser avec ce qui se faisait de mieux en Europe. Il faut donc attendre de longues années après la disparition du Rideau de Fer pour voir des pilotes de l’Est arriver en Formule 1. La série se clôture sur le plus fameux des Russes à avoir piloté en dans la discipline, Daniil Kvyat.
Avec le départ à la retraite de Mark Webber fin 2013, Red Bull doit modifier ses duos de pilotes en vue de 2014. Daniel Ricciardo est tout naturellement promu dans l’équipe mère, étant lui aussi australien et promis à un avenir brillant. Son remplaçant lui en étonne plus d’un, notamment par sa jeunesse. Il n’a en effet pas 20 ans au moment de prendre le départ de son premier Grand Prix. Ce pilote, c’est Daniil Kvyat, second russe à courir en Formule 1 après Vitaly Petrov.
Kvyat n’a jamais connu l’URSS, né à Oufa en 1994, soit quelques années après l’effondrement du régime communiste. Qui plus est, il suit les pas de Petrov en partant s’installer en Italie assez jeune, mais il suit une carrière plus classique. Il passe donc par le karting comme l’immense majorité des pilotes souhaitant accéder à la Formule 1, d’abord en Russie puis en Italie. Il enchaîne les bonnes performances en 2008 et 2009, avec plusieurs victoires et également une troisième place au Championnat d’Europe KF3 2009.
Avec de tels résultats, il est propulsé en monoplace pour la saison 2010 et court alors en Formule BMW Europe et Pacifique. Discret sur le Vieux Continent, il gagne par deux fois à l’autre bout du monde et fait également ses débuts en Formule Renault à l’occasion du championnat hivernal au Royaume-Uni. Sa carrière prend toutefois un premier tournant lorsqu’il est repéré par Helmut Marko. L’Autrichien n’hésite pas une seconde et l’intègre au programme Red Bull Junior à compter de la saison 2011. Kvyat se retrouve alors avec des pilotes tels que Ricciardo, da Costa, Vergne, Sainz Jr et Hartley…
Avec ce soutien de poids, le voici engagé en Formule Renault dans les championnats NEC (Allemagne et Pays-Bas) et Europe. Régulier et se battant à l’avant, il termine second du NEC et troisième en Europe, à chaque fois derrière son rival Carlos Sainz Jr. Les deux hommes ont cependant été battus par Frijns pour le compte du championnat d’Europe. Kvyat reste malgré tout sur un bilan total de 10 victoires sur cette saison 2011, avec deux succès en Eurocup, sept en NEC et un autre dans les Toyota Series.
Kvyat confirme en 2012, toujours en Formule Renault. Il est engagé dans les championnats Eurocup et Alps (Suisse et Italie), et s’il termine second en Eurocup derrière un certain Stoffel Vandoorne, il remporte le championnat Alps devant Norman Nato. Il accumule 14 victoires dans les deux championnats et s’affirme comme un espoir brillant.
Alors que Sainz avait été promu en Formule 3 dès 2012, Kvyat doit attendre un an de plus pour accéder à une catégorie supérieure. Il se retrouve de nouveau en compagnie de l’Espagnol, mais cette fois en GP3 chez Arden pour leur première saison dans la discipline. Ils sont accompagnés du Roumain Robert Visoiu, qui jamais ne se mêlera à la lutte aux avant-postes. Et alors qu’en Formule Renault Sainz était le pilote à battre, Kvyat prend une éclatante revanche et malgré un premier week-end catastrophique, il remporte trois courses en fin de saison pour aller s’adjuger le titre. Il devance Facu Regalia et Conor Daly, alors que Sainz n’est lui que 10ème, sans avoir gagné une seule course de la saison.
Cette performance va peser très lourd dans la balance du remplacement de Ricciardo chez Toro Rosso, parti chez Red Bull pour remplacer Webber. Les favoris à ce volant sont alors Antonio Félix da Costa et Carlos Sainz Jr, mais leurs saisons 2013 ne sont pas vraiment à la hauteur de ce qui est attendu pour un tel baquet. Da Costa a ainsi connu un gros trou d’air en milieu de saison en Formule Renault 3.5, et est éliminé malgré une troisième place finale. Et alors que Kvyat déclarait ne pas être prêt à courir en Formule 1, le voici propulsé en tant que second pilote Toro Rosso, titularisé le 21 octobre. Il avait participé aux essais privés de Silverstone en juillet, avant de valider sa super-licence à Misano début novembre en parcourant plus de 300 km avec une STR6 de 2011. Il participe ensuite aux essais du vendredi aux Etats-Unis et au Brésil pour se préparer à la saison 2014.
Toutefois, certains soupçonnent Red Bull de complaire à la Russie en préférant Kvyat à des da Costa ou Sainz plus expérimentés. Il faut dire que la discipline va courir dans le pays pour la première fois de son histoire (sur un circuit… oubliable), et que Ecclestone abonde en ce sens, réalisant son rêve de courir dans ce qui fut autrefois l’URSS. Et la marque autrichienne tient là son ambassadeur rêvé pour accéder au marché russe… Reste à voir de quoi il sera capable en piste face à l’expérimenté Jean-Eric Vergne qui en est à sa troisième saison dans l’écurie de Faenza.
Son premier Grand Prix en Australie est cependant couronné de succès puisqu’il atteint la Q3 avant de terminer neuvième en course derrière Vergne. Il devient alors à 19 ans, 10 mois et 18 jour le plus jeune pilote de l’histoire de la F1 à marquer des points, qui plus est pour son premier Grand Prix. Sa saison est malgré tout difficile et il ne marque que huit points contre 22 pour Vergne. Le Russe ne fait pas mieux que trois neuvièmes places alors que le Français signe une magnifique sixième place à Singapour… après avoir gagné six places dans les dix derniers tours !
Mais hélas pour le Français, son aventure en Formule 1 n’ira pas plus loin. Entre Kvyat soutenu par le gouvernement russe et plutôt convaincant en piste, et Verstappen et Sainz Jr qui arrivent à toute vitesse, il est viré par Red Bull au bout de trois ans de collaboration. Faut bien garder son ambassadeur sur le marché russe… Kvyat est donc propulsé chez Red Bull aux côtés de Daniel Ricciardo pour la saison 2015, alors qu’il n’a que 19 Grands Prix d’expérience.
Avec une RB13 en manque de performance, il ne peut que rarement jouer devant et alterne entre belles performances et courses anonymes. Il accroche malgré tout une superbe seconde place en Hongrie derrière Vettel, et devient le second Russe à monter sur un podium en F1. Il arrache également trois quatrièmes places, mais commet aussi de grosses erreurs. Il part à la faute aux Etats-Unis alors qu’il se bat pour le podium, et part en tonneaux lors des qualifications au Japon. Il réalise une cabriole impressionnante dont il se sort heureusement sans mal. Malgré cela, il termine septième du championnat du monde avec 98 points, soit trois de plus que Ricciardo. Et si Kvyat était la bonne pioche de Red Bull ?
Hélas pour le Russe, un autre pilote cogne avec impatience aux portes de l’écurie autrichienne en la personne de Max Verstappen. Le fils de Jos a réalisé une superbe saison 2015, et Horner et Marko n’attendent qu’un faux pas de Kvyat pour le virer et faire place au prodige hollandais. Cette erreur arrive… à domicile. Kvyat percute deux fois Vettel dans le premier tour du Grand Prix de Russie et élimine le pilote allemand. Ce dernier avait déjà critiqué la conduite du pilote Red Bull en Chine, qu’il jugeait responsable de l’accrochage ayant envoyé Räikkönen en tête-à-queue. « You came in like a torpedo » qu’il lui disait…
C’est du pain béni pour les pontes de Red Bull, qui le virent avec effet immédiat pour placer Max Verstappen afin qu’il ne parte pas dans une autre écurie. Kvyat est lui rétrogradé chez Toro Rosso, une véritable humiliation d’autant plus qu’il restait sur un podium deux courses auparavant ! Certains pilotes tels que Jenson Button prennent sa défense, rappelant sa performance chinoise mais Red Bull n’en a cure. Kvyat retrouve de nouveau Sainz, mais avec un moral en berne, un réputation plus qu’écornée et un nouveau surnom : « The Torpedo » (la torpille). Autant dire que le reste de sa saison 2016 est un chemin de croix… Malgré un meilleur tour en Espagne, il ne marque que quatre points sur tout le reste de la saison.
Sa saison 2017 est tout aussi compliquée. Surdominé par Carlos Sainz, il ne termine que deux fois neuvième là où l’Espagnol enchaîne les bons résultats, terminant même sixième à Monaco. Et alors que rien ne va plus, il se voit viré de chez Toro Rosso après le Grand Prix de Singapour, remplacé par le champion du monde GP2 en titre Pierre Gasly. Red Bull fait de lui son cinquième pilote : lorsque Sainz part chez Renault après le Grand Prix du Japon remplacer Palmer viré, Kvyat ne court qu’aux Etats-Unis… pour remplacer Gasly qui court en Super Formula ! Il a été en effet supplanté par un autre ex de Red Bull, l’Australien Brendon Hartley qui s’est lui illustré en Endurance. Il termine malgré tout 10ème et ramène un point pour sa dernière course de la saison.
Barré par Gasly et Hartley pour la saison 2018, il est condamné à prendre une année sabbatique et se retrouve finalement pilote de développement chez Ferrari. Il enchaîne les heures sur simulateur, puisque les essais privés sont désormais interdits… Mais fin 2018, Ricciardo décide de partir chez Renault et lance un jeu de chaises musicales où Red Bull se retrouve perdant. L’écurie autrichienne se voit obligée de propulser Gasly dans l’écurie mère et de promouvoir Albon chez Toro Rosso. Et comme Hartley a été décevant avec seulement quatre points marqués et qu’il faut faire le nombre…
Après l’avoir placé en F1 trop tôt, monté au pinacle, humilié et viré comme un malpropre, Red Bull décide de réengager Kvyat pour la saison 2019 aux côtés d’Alexander Albon. Mais le Russe n’est là que pour remplir le baquet le temps de trouver un autre jeune pilote talentueux… Il s’en sort plutôt bien en début de saison face au Thaïlandais qui découvre la discipline, et se rappelle même au bon souvenir de la discipline lors du Grand Prix d’Allemagne. Dans un Grand Prix incroyable aux multiples rebondissements, il parvient à accrocher une magnifique troisième place avec sa Toro Rosso derrière Verstappen et Vettel. Comme quoi il n’était peut-être pas si mauvais que cela…
A partir du Grand Prix de Belgique, il se voit désormais associé à Pierre Gasly. Le Français a été viré comme le fut Kvyat pour résultats insuffisants, mais comment briller quand on est le sujet du roi Max Ier ? Il n’a jamais pu réellement s’adapter à sa voiture et n’a jamais pu imposer la moindre de ses décisions, et l’amabilité de ses dirigeants a fait le reste… Ils démontrent que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Qui plus est, il doit composer avec cette humiliation et la mort brutale de son ami Anthoine Hubert lors de la course F2. Autant dire que nombre de pilotes se seraient effondrés à sa place…
Et pourtant le Français va réussir à s’accrocher, au contraire du Russe qui ne marque que quatre points après sa septième place en Belgique. Mieux encore, il se venge de la plus belle des manières après son éviction en terminant second au Brésil à la faveur d’une fin de course totalement folle. Autant dire que messieurs Horner et Marko devaient être parcourus par des émotions contraires à ce moment précis…
Le duo Gasly-Kvyat est confirmé pour 2020, étant donné qu’aucun pilote de la filière n’est encore prêt pour monter en Formule 1. Et dans cette saison tronquée, le Russe subit la loi du Normand. Son seul résultat notable de la saison est une quatrième place à Imola, avec cependant un magnifique dépassement sur Leclerc par l’extérieur à Piratella. En face de lui, Gasly enchaîne les performances et rentre dans l’histoire à Monza. Profitant des circonstances de course, il succède à Sebastian Vettel 12 ans après en s’imposant devant Sainz et Stroll. Il est aussi le premier Français à triompher en Formule 1 depuis Olivier Panis à Monaco en 1996. Pendant ce temps, Albon lui peine à performer avec la seconde Red Bull…
Cette saison 2020 est à ce jour la dernière de Kvyat en F1, qui se voit viré pour la troisième fois puisque Red Bull a de nouveau un jeune à placer avec Yuki Tsunoda. Et comme en 2018, il trouve un poste de pilote de développement, cette fois chez Alpine. A 27 ans, il peut encore ambitionner un troisième come-back si l’opportunité se présente, mais avec une réputation salement entachée…
Red Bull a fait de la carrière de Kvyat un grand n’importe quoi et a clairement brisé le pilote russe. Alors qu’il sortait tout juste de la GP3 et ne se sentait pas prêt pour la F1, il a été propulsé dans le grand bain à même pas 20 ans pour complaire à ses intérêts envers la Russie. Cela lui aura ainsi valu une promotion express chez Red Bull avant l’humiliation de la rétrogradation pour faire place à Max Verstappen.
Le constat est vraiment triste à tirer, car Kvyat laisse l’impression d’avoir été présent selon les intérêts de Red Bull, entre outil publicitaire et bouche-trou en attendant de meilleurs pilotes. Une honte pour un pilote qui méritait bien mieux et qui aurait pu avoir une tout autre carrière si on lui avait laissé le temps de pleinement développer ses capacités. Il est clairement un bon pilote, rapide et combatif, comme en témoigne sa saison 2015 achevée devant Ricciardo qui est loin d’être un pilote de seconde zone. Mais quand on n’est que la marionnette de dirigeants désintéressés, il est difficile d’avoir la carrière que l’on mérite. Il faut désormais espérer pour Daniil Kvyat qu’une autre chance loin de Red Bull se présente à lui pour essayer de redorer son blason.
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Pierre Laporte
Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.