Les pilotes de l’Est en F1 : Robert Kubica, une carrière au goût d’inachevé
Si l’URSS et les Etats-Unis se sont concurrencés dans bon nombre de domaines au cours de la Guerre Froide, force est de constater que le sport automobile n’en fait pas partie. S’il y avait bien des championnats en URSS et dans les pays du Pacte de Varsovie, aucune de leurs créations ne pouvaient rivaliser avec ce qui se faisait de mieux en Europe. Il faut donc attendre de longues années après la disparition du Rideau de Fer pour voir des pilotes de l’Est arriver en Formule 1. Retour cette semaine sur Robert Kubica, seul pilote de l’Est à avoir remporté un Grand Prix de F1.
Avant Robert Kubica, aucun pilote polonais n’avait vraiment réussi à se distinguer au niveau international en course sur circuit. L’une des raisons majeures est bien évidemment la présence du Rideau de Fer jusqu’à la fin des années 80, qui ont empêché les pilotes de l’URSS et des pays satellites d’aller briller ailleurs que dans les courses du bloc de l’Est. L’un des premiers succès majeurs de pilotes en étant issus est ainsi la victoire d’un équipage 100 % tchèque lors du Paris-Dakar 1988 en catégories camions, sur un Tatra.
Kubica lui n’a que trois ans à ce moment-là, mais peu après il fait ses premiers tours de roue sur des petites voitures que lui offre son père. A sept ans, il se voit offrir son premier kart mais doit cependant attendre 1994 et ses dix ans pour se lancer en compétition. Si les résultats au niveau national ne se font pas attendre (aidé entre autres par le préparateur Jurek Wrona), sa famille a de plus en plus de mal à suivre la cadence financièrement parlant.
A quatorze ans, il se voit contraint de quitter sa Pologne pour courir en Italie afin de poursuivre son ascension. Il doit cependant trouver un mécène, car les finances de son père sont exsangues et ne lui permettront pas d’assurer la carrière de son fils. C’est finalement la structure italienne CSG qui lui offre un volant officiel, lui libérant l’esprit sur ce point. En trois ans de karting avec cette écurie puis avec Birel, il remporte plusieurs titres en Italie et en Allemagne ainsi que deux Monaco Kart Cups.
Avec un tel palmarès, ce sont les portes de la monoplace qui s’ouvrent à lui. Daniel Morelli le fait piloter en fin d’année à Lédenon, avant de lui offrir un volant pour la saison 2001 à compter de la mi-saison en Formule Renault. Voyant son potentiel, la Régie française décide ainsi de l’intégrer à son programme Renault Driver Development. Engagé dans le championnat italien de Formule Renault en 2002, il termine vice-champion avec quatre victoires et ce malgré de nombreux problèmes techniques.
Sa première aventure avec Renault se termine à la fin de la saison et il trouve malgré tout un volant en Formule 3 chez Prema pour la saison 2003. Il est alors victime du premier de ses trois accidents, celui-ci se produisant sur la route alors qu’il est passager. Gravement blessé au bras gauche notamment, il doit observer une longue convalescence qui le contraint à manquer tout le début de saison. Pour ses débuts au Norisring, il fait cependant montre de tout son talent en gagnant la première course et en terminant deuxième de la seconde. Incapable de rééditer une telle performance au cours de la saison avec une santé physique encore fragile, il termine 12ème du championnat. La saison suivante se passe un peu mieux malgré qu’il ne gagne pas avec une septième place finale, et il trouve un volant en World Series by Renault.
Il devient ainsi en 2005 le premier champion de la toute nouvelle Formule Renault 3.5 avec quatre victoires et un budget relativement limité. Ses performances font de lui une véritable star en Pologne, qui se prend de passion pour ses exploits et regarde plus les World Series by Renault que la Formule 1 ! Il se voit cependant refuser sa super-licence par la FIA alors que Minardi comptait le faire rouler comme troisième pilote au Japon. Son titre lui permet de faire un test avec Renault F1 qui est alors ni plus ni moins que la meilleure écurie de la grille. Rapide en essais, il se heurte cependant à un refus de la marque au losange, qui possède déjà ses pilotes pour 2006 avec Alonso, Fisichella et Kovalainen. Il parvient cependant à rebondir chez BMW Sauber, qui l’engage comme troisième pilote derrière Nick Heidfeld et Jacques Villeneuve. Il roule ainsi lors de la première séance du vendredi et se montre plus rapide que les titulaires… pourtant bien plus expérimentés que lui.
Son destin va se jouer en Allemagne. Lors de ce Grand Prix, Jacques Villeneuve signe une prestation peu reluisante, s’accrochant avec son coéquipier avant de finir dans le mur quelques tours plus tard. Souffrant du dos, il annonce qu’il ne peut pas courir l’épreuve suivante en Hongrie et Kubica se retrouve propulsé dans la seconde BMW. Qualifié neuvième devant Heidfeld, il commet plusieurs erreurs sous la pluie mais se classe malgré tout septième… avant d’être disqualifié pour poids non conforme.
Son remplacement devient rapidement une titularisation, et Villeneuve se voit limogé par BMW pour faire place au jeune espoir polonais. Le choix du constructeur bavarois se révèle rapidement payant, puisque Kubica termine troisième en Italie derrière Schumacher et Räikkönen en ayant même mené cinq tours ! Il devient alors le second plus jeune pilote à avoir signé un podium en F1, derrière Alonso à 21 ans, neuf mois et trois jours. S’il ne marque plus de points de la saison, il est confirmé dans l’écurie pour 2007.
Cette saison le voit au volant de la troisième meilleure voiture de la grille, à distance respectable malgré tout des Ferrari et des McLaren. Dans l’ensemble, il tient plutôt bien la comparaison avec Nick Heidfeld, qui met à profit son expérience pour le vaincre sur la saison. L’Allemand signe ainsi deux podiums et ne rate les points qu’à trois reprises avec un total de 61 unités, contre 39 pour le Polonais qui ne fait pas mieux que trois quatrièmes places. Mais son destin aurait totalement pu basculer lors du Grand Prix du Canada.
Dans le 27ème tour, il n’est que 15ème après son arrêt aux stands sous régime de voiture de sécurité alors qu’Heidfeld est lui second, il tente d’entamer une remontée qui tourne court. Dans la partie du circuit précédant l’épingle du Casino, il percute Jarno Trulli, décolle, arrache une roue sur un mur de pneus avant de pulvériser sa BMW contre le mur. Cette dernière, détruite, revient sur la piste en faisant un tonneau avant de terminer sa course folle en glissant sur le rail d’en face.
Les images impressionnantes laissent craindre le pire, mais miraculeusement, Kubica sort de cet accident presque indemne, souffrant simplement d’un léger traumatisme crânien ainsi que d’une petite entorse à la cheville. Il manque malgré tout le Grand Prix suivant à Indianapolis, remplacé par un certain Sebastian Vettel… Cet accident fut évalué pour savoir s’il s’agissait d’un miracle… par l’Eglise ! Il fut évoqué lors de la canonisation de Jean-Paul II, car le pilote avait une photo du défunt pape dans son casque.
2008 reste sans conteste l’année Kubica. Malgré un abandon en Australie, il devient lors des premiers Grands Prix un outsider pour le titre mondial, avec de belles performances accompagnées d’une certaine régularité. Le point d’orgue de sa saison reste cependant le Grand Prix du Canada. Dans une épreuve où tous les favoris se retrouvent à la déroute (notamment Hamilton qui emboutit Räikkönen à la sortie des stands), le Polonais prend une magnifique revanche sur l’année précédente et gagne devant Heidfeld et Coulthard. Il prend aussi les commandes du championnat après sept courses, devançant Massa (seul favori dans les points avec une cinquième place) et Hamilton. Il perd cependant pied en deuxième partie de saison et termine quatrième du championnat, à égalité de points avec Räikkönen mais avec une victoire de moins.
2009 marque un changement radical de réglementation, et dans un premier temps BMW semble avoir pris la bonne direction. Kubica se bat ainsi pour le podium en Australie, mais s’accroche avec Vettel en fin de course et abandonne. Hélas pour lui, sa voiture va sombrer dans le ventre mou du peloton, ne lui laissant que peu de chance de jouer les premiers rôles. Il ne marque ainsi que deux points lors des dix premières courses de la saison ! Heidfeld a lui terminé second en Malaisie, mais ne fait pas beaucoup mieux depuis… Les performances de la voiture tendent à s’améliorer en fin de saison, et Kubica sauve sa saison en terminant second au Brésil derrière Webber.
BMW partant de la discipline fin 2009, le Polonais change d’écurie et part chez Renault, qui sort d’une saison ô combien compliquée. Entre une Renault R29 ratée et le scandale du Crashgate, la régie doit se relever de plusieurs coups qui auraient pu être fatals à une plus petite écurie. La R30 se révèle plus performante que sa devancière et Kubica enchaîne les bonnes performances, terminant toujours dans les points excepté une 11ème place à Bahreïn et trois abandons. Il signe ainsi trois podiums dont une superbe seconde place en Australie et termine huitième du championnat, juste derrière Rosberg et Massa.
Tous les espoirs sont de mise pour la saison 2011 d’autant plus que la nouvelle R31 semble performante. Kubica signe le meilleur temps de la dernière séance d’essais de présaison à Valence… avant qu’un troisième accident ne fasse basculer sa vie. Le 6 février 2011, alors qui participe à un rallye en Italie au volant d’une Skoda Fabia S2000, il sort de la route sur une chaussée rendue piégeuse par la pluie. Sa voiture termine sa course dans une barrière de sécurité qui traverse l’habitacle de part en part. Le pilote polonais est immédiatement évacué à l’hôpital dans un état grave, et si ses jours ne sont plus en danger, sa carrière de pilote de F1 elle semble terminée pour de bon. Son bras et sa main droits ont été gravement touchés, et de longs mois de rééducation s’avèrent d’emblée nécessaires. Dans son malheur, il jouit d’un peut plus de chance que Sandro Nannini, qui avait vu sa prometteuse carrière stoppée fin 1990 après un accident d’hélicoptère. Le pilote italien avait vu son bras presque découpé par l’une des pales de l’appareil…
Après des mois à espérer un retour dans la discipline reine, il se rabat finalement (quelque peu paradoxalement) sur le rallye dans les années qui suivent et signe quelques belles performances. Il termine notamment champion du monde de WRC-2 (sorte de Formule 2 du rallye) en 2013, avec une cinquième place scratch en Allemagne comme meilleur résultat. Il poursuit avec deux saisons en WRC en 2014 et 2015, sans réels résultats avant de se tourner vers l’Endurance. Il court en Renault Sport Trophy et est annoncé dans divers baquets, avant de réaliser une séance d’essais avec Renault au cours de la saison 2017. Il parcourt plus de 100 tours au volant d’une Lotus E20 de 2012, puis prend contact avec Williams pour rouler de nouveau. Il teste ainsi la FW36 de 2014 puis roule aux essais de fin de saison 2017 avec la FW40.
Pilote de réserve Williams en 2018, il crée la sensation en revenant en tant que titulaire pour la saison 2019. 8 ans, 4 mois et 3 jours après le Grand Prix d’Abu Dhabi 2010, il retrouve la grille F1 pour le Grand Prix d’Australie 2019. Le record en la matière reste la propriété de Jan Lammers, avec 10 ans d’écart entre son dernier engagement chez Theodore en 1982 et ses deux Grands Prix pour March en 1992. Il est cependant dominé par son coéquipier George Russell pendant toute la saison, tandis que la Williams FW42 est et de loin la pire voiture de la grille. Ainsi, Kubica ne bat Russell que deux fois sur toute la saison… notamment en Allemagne où il marque le seul point de la saison pour Williams. Il bat le record de temps entre deux arrivées dans les points avec 8 ans, 8 mois et 14 jours d’attente ! Sa performance est d’autant plus belle qu’à l’image de Jean-Pierre Beltoise avant lui, il pilote avec un bras partiellement handicapé… Il n’est cependant pas retenu par l’écurie de Grove, et rejoint Alfa Romeo pour la saison 2020 en qualité de troisième pilote.
Cet accident du 6 février 2011 a laissé un goût d’inachevé dans la carrière de Robert Kubica. Pilote aussi rapide que talentueux, il a donné ses plus belles lettres de noblesse au spot automobile polonais et aurait pu le porter bien plus haut encore. Ferrari était notamment sur les rangs pour le recruter par la suite… en lieu et place de Massa ? Quoi qu’il en soit, sa carrière avant cette date est particulièrement flatteuse, et son abnégation à revenir à son meilleur niveau pour retrouver la Formule 1 par la suite force le respect et l’admiration.
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Pierre Laporte
Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.