Les pilotes de l’Est en F1 : Tomáš Enge et Zsolt Baumgartner : les précurseurs
Si l’URSS et les Etats-Unis se sont concurrencés dans bon nombre de domaines au cours de la Guerre Froide, force est de constater que le sport automobile n’en fait pas partie. S’il y avait bien des championnats en URSS et dans les pays du Pacte de Varsovie, aucune de leurs créations ne pouvaient rivaliser avec ce qui se faisait de mieux en Europe. Il faut donc attendre de longues années après la disparition du Rideau de Fer pour voir des pilotes de l’Est arriver en Formule 1. Et avant les Russes, il y a tout d’abord eu le Tchèque Tomáš Enge et le Hongrois Zsolt Baumgartner.
Si aujourd’hui la Russie fait partie du paysage de la Formule 1 (bien qu’elle n’ait pas une réputation très enviable avec Nikita Mazepin), il faut rappeler qu’au temps de la Guerre Froide la discipline était l’apanage de l’Occident. Elle était un moyen comme un autre de prouver la supériorité technologique du bloc de l’Ouest, capable de produire les voitures les plus rapides du monde. Il y a eu plusieurs projets de F1 soviétiques, mais aucun n’a jamais vu de près ou de loin les circuits du championnat du monde.
Faute d’opportunités, les Soviétiques et les pays membres du Pacte de Varsovie courent entre eux avec des monoplaces bien plus archaïques que les châssis européens. Il faut attendre le milieu des années 80 pour avoir un petit espoir de voir un pilote de l’Est dans la discipline. En effet, après des négociations infructueuses avec Brejnev pour faire courir la F1 à Moscou, Ecclestone réalise son vieux rêve de courir derrière le Rideau de Fer en organisant le premier Grand Prix de Hongrie de l’histoire en 1986. L’année suivante, Csaba Kesjár effectue quelques tours du circuit après la course au volant d’une Zakspeed. Cette aventure sera hélas sans suite pour lui, car il trouve la mort en F3 au Norisring l’année suivante. Les années passent, et il faut finalement attendre la fin de saison 2001 pour voir un pilote né derrière le Rideau de Fer accéder à la discipline reine du sport automobile. Ce précurseur se nomme Tomáš Enge.
Né à Liberec en Tchécoslovaquie en 1976, il grandit malgré tout dans une famille animée par le sport automobile, avec son père qui court en voitures de tourisme, mais en Europe. Rideau de fer oblige, il doit attendre sa disparition en 1991 pour enfin le voir en action. Happé par le virus du sport automobile, il fait ses gammes dans son pays sur des Ford Fiesta, et ce pendant trois ans avec un titre en 1994. C’est alors que l’industriel tchèque Antonin Charouz le remarque et décide de le prendre sous son aile. Aujourd’hui, ce dernier est connu pour ses écuries dans diverses disciplines (notamment il y a peu en F2 et F3 en partenariat avec Sauber ainsi qu’au Mans). Son fils Jan a également eu une belle carrière de pilote.
Enge se retrouve en Formule Ford chez Eifelland Racing en 1995, et les résultats viennent rapidement pour le jeune espoir tchèque. Troisième de sa première saison avec quatre victoires au compteur, il remporte le titre dès l’année suivante avec de nouveau quatre succès, ce qui lui offre un volant en Formule 3 allemande pour la saison 1997. Il a ainsi fort à faire puisqu’il a pour coéquipier un certain Nick Heidfeld, alors considéré comme un immense espoir du sport automobile allemand. Il décide toutefois de partir en Formule 3000 en cours de saison 1998 : son écurie a troqué son châssis Dallara pour un Martini, et Enge choisit de franchir un cap plutôt que de végéter en fond de grille.
Il termine sixième au Nürburgring et connaît une saison 1999 terriblement compliquée chez WRT, seulement sauvée par une seconde place à Magny-Cours qui sont ses seuls points de la saison. Il se rapproche cependant de la Formule 1 en devenant pilote d’essais pour Jordan pour la saison 2000 tout en poursuivant en F3000. En progrès, il gagne en Allemagne et termine sixième du championnat derrière Justin Wilson et Fernando Alonso. Sa progression continue en 2001 avec deux victoires et un titre de vice-champion à égalité de points avec Mark Webber, mais très loin derrière Justin Wilson. Cependant, la chance de sa vie va s’offrir à lui.
Lors du Grand Prix de Belgique, Luciano Burti s’accroche avec Eddie Irvine en début de course à Blanchimont. La Prost du Brésilien part tout droit et s’encastre dans les pneus à pleine vitesse. Gravement blessé, Burti ne reviendra jamais en F1, en tant que pilote titulaire ou remplaçant. Prost choisit donc Enge pour prendre le volant de la seconde Prost aux côtés de Heinz-Harald Frentzen. Ses débuts en Italie sont compliqués : il rend deux secondes pleines à l’Allemand et ne devance que les Minardi sur la grille… Il est cependant à l’arrivée en 12ème place derrière son ancien coéquipier Heidfeld, mais seul Alonso termine derrière lui. 14ème à Indianapolis après avoir fait toute sa course en queue de peloton, il est encore à plus d’une seconde de Frentzen au Japon, où il abandonne sur un problème de freins.
Ainsi s’arrête sa carrière en F1 avec la liquidation judiciaire de Prost, remplacée sur la grille par Toyota qui engage Mika Salo et Allan McNish. Il retourne donc en Formule 3000 pour la saison 2002 avec un objectif : remporter le titre. Avec quatre victoires, il est sacré à la fin de la saison… dans un premier temps. Il est en effet (ce qui est rare pour un sportif automobile) contrôlé positif au cannabis ! Les conséquences sont directes : il est disqualifié de la manche hongroise (qu’il avait gagnée) et perd le titre au profit de Sébastien Bourdais. La suite de sa carrière sera ponctuée de beaux succès, comme en GTS au Mans en 2003 sur une Ferrari 550 Maranello préparée par Prodrive. Auteur de plusieurs podiums en F3000 en 2004 pour son retour, il part définitivement en endurance et en GT, avec notamment un grave accident en 2007 lors d’une course ALMS à Saint-Petersburg. Il a également été de nouveau contrôlé positif en 2012, avec une suspension de 18 mois à la clé. A défaut d’être complètement clean comme pilote, il avait sans aucun doute du talent et un bon coup de volant… ce qui ne semblait pas vraiment être le cas de Zsolt Baumgartner.
Le pilote hongrois est né à Debrecen en 1981, et avait donc cinq ans lors du premier Grand Prix de Hongrie de l’histoire. Fils d’un concessionnaire automobile, il fait ses débuts en karting dans les années 1990 au niveau national avant d’émigrer en Europe en 1997 pour courir en Formule Renault 1.7 allemande. Dans le top 3 du championnat, il court dans le championnat français l’année suivante et termine troisième de l’école « La Filière » d’Alain Prost. Il atteint le point culminant de sa carrière en 1999 avec un titre en Eurocup Formule Renault.
Passant en F3 allemande pour les saisons 2000 et 2001, ses résultats sont assez décevants surtout lors de sa seconde saison. S’il signe deux quatrièmes places en 2000 et se classe régulièrement dans le top 10, il ne fait pas mieux que sixième la saison suivante et se lance en Formule 3000 avec le team Prost Junior. En sept courses, il ne fait pas mieux que… treizième, soit loin du top 6 qui offre des points. Ses résultats s’améliorent un peu en 2002, avec notamment son premier point en Italie mais aussi ses premiers tours en Formule 1. 15 ans après Csaba Kesjár, il a lui aussi le droit de faire trois tours en Hongrie devant son public, pour sa part au volant d’une Jordan EJ12.
Alors que ses performances s’améliorent peu pour la saison 2003 où il est surclassé par son coéquipier Ricardo Sperafico, il dispute ses premières séances d’essais pour le compte de Jordan en Allemagne, avant d’être propulsé pilote remplaçant en Hongrie. Ralph Firman a en effet été victime d’une grosse sortie de piste et ne peut piloter du week-end, et l’argent des sponsors de Baumgartner lui permet de débuter sa carrière en F1 pour son Grand Prix national. Il ne se qualifie que 19ème à près de 3 secondes de Fisichella et abandonne vers la mi-course sur casse moteur, alors qu’il était 13ème et devant les Minardi ainsi que la Toyota de da Matta. Il est reconduit en Italie et si l’écart en qualifications avec Fisichella reste le même, il termine juste derrière lui, en 11ème position et signe un meilleur tour en course plus lent de seulement 4 dixièmes.
Ses sponsors lui permettent de courir toute la saison 2004 chez Minardi en compagnie de Gianmaria Bruni, avec une voiture cependant désespérément lente. Le Hongrois se révèle cependant plus chanceux que l’Italien en signant trois top 10, avec une dixième place au Canada (après disqualification des Toyota et des BMW) et une neuvième place (sur neuf voitures à l’arrivée, et à six tours) à Monaco. Mais surtout, il termine huitième à Indianapolis, marquant là son seul point en F1 et le premier de Minardi depuis le Grand Prix d’Australie 2002. Il termine cependant dernier, à trois tours du vainqueur et à deux tours du septième…
Ces performances ne sont hélas pas suffisantes pour lui permettre de continuer dans la discipline. Il ne recourt plus en compétition par la suite, devenant juste un éphémère pilote d’essais en IndyCar ainsi que le pilote attitré des F1 biplaces. Il est désormais commentateur pour la télévision hongroise ainsi qu’un homme d’affaires reconnu, notamment dans le domaine de l’agriculture.
Avant que la Russie ne pose un pied en F1, Tomas Enge et Zsolt Baumgartner ont été les premiers pilotes issus de l’ancien bloc de l’Est à rentrer dans la discipline. Si leurs résultats ont été plutôt décevants faute de matériel performant, ils restent encore à ce jour dans l’histoire de la F1 comme les seuls représentants de leur pays à y avoir évolué. Et aujourd’hui, il faut aller chercher jusqu’en F3 où l’on trouve Laszlo Toth pour la Hongrie et Roman Stanek pour la République Tchèque. Autant dire que ces deux nations ne devraient pas revenir en F1 avant un petit moment, à moins que l’un de ces deux pilotes se révèle exceptionnel…