Les Williams mythiques : Williams FW18/FW19, les derniers titres
Le 21 août 2020 a marqué la fin d’une époque dans le monde de la Formule 1 : Williams a été rachetée par le fonds d’investissement Dorilton Capital. C’est ainsi la fin définitive des « indépendants », qui représentaient la grande majorité de la grille jusque dans les années 80. Williams faisait alors symbole d’exception dans un sport demandant toujours plus de ressources année après année. Nous allons ainsi reparler des années glorieuses de l’écurie au travers des monoplaces qui couraient ces années-là. Clap de fin de cette série avec les Williams FW18 et FW19, qui restent les dernières monoplaces de Didcot championnes du monde.
Fin 1993, Williams est quelque peu dans la tourmente. Certes elle est double championne du monde en titre, mais la FIA a banni toute aide électronique pour la saison 1994. La Williams FW16 va devoir revenir à une suspension « passive » classique, mais peut compter sur Ayrton Senna pour rester au premier plan. Le début de saison est cependant poussif, et évidemment le drame d’Imola va porter un sérieux coup au monde de la Formule 1. Les accidents graves se multipliaient depuis le début de saison, et les morts de Ratzenberger puis de Senna vont avoir de nombreuses répercussions.
Au niveau du championnat, Schumacher et sa Benetton survolent les débats, mais l’écurie est accusée d’utiliser un anti-patinage illégal. Faute de preuves et pour relancer un championnat orphelin de son étoile brésilienne, l’Allemand se voit disqualifié à plusieurs reprises et manque en tout quatre courses. Il devient malgré tout champion du monde pour un point à Adélaïde en s’accrochant avec Hill après avoir percuté le mur. Nigel Mansell gagne lui son dernier Grand Prix avec l’autre Williams, lui qui a alterné avec David Coulthard sur la seconde monoplace de l’écurie.
1995 est une année plus complexe tant Schumacher domine de nouveau. Si Hill parvient à prendre la tête du championnat à Saint-Marin, ni lui ni Coulthard ne pourront contrer l’invincible Benetton-Renault de l’Allemand. Pire, l’Anglais s’accroche deux fois avec son rival à Silverstone et à Monza, ce qui ne manque pas de déclencher plusieurs polémiques… (ce qui fait les affaires de Johnny Herbert, vainqueur des deux courses). Décrié de tous, Hill doit absolument rebondir lors de cette nouvelle saison 1996.
C’est ainsi que Williams aligne le duo des « fils de », puisque l’équipier de Damon Hill n’est autre que Jacques Villeneuve, fils du regretté Gilles. A 24 ans, il a déjà fait sa réputation outre-Atlantique en réalisant le doublé 500 Miles d’Indianapolis / titre CART. Nullement impressionné par le monde de la Formule 1, il a en outre passé des dizaines heures en essais privés à essayer la voiture. On espère qu’il fera mieux que Michael Andretti, mais ses premiers temps sont plus que prometteurs. Reste à savoir si le Québécois saura s’adapter au monde fermé de la Formule 1 ainsi qu’à la pluie…
Hill et Villeneuve disposent en plus de la monoplace la plus performante du plateau avec la FW18. Evolution de la FW17B de l’année précédente et mise en conformité avec le nouveau règlement, elle affiche un niveau de performances plus que prometteur. Les essais hivernaux ont consacré leur domination, et il y a fort à parier que la concurrence va souffrir derrière…
Le début de saison confirme les peurs de la concurrence : Hill gagne quatre des cinq premières courses de la saison. Seul lui échappe le Grand Prix d’Europe remporté par Villeneuve, qui a néanmoins signé pole et meilleur tour pour son premier Grand Prix, terminé second après des soucis mécaniques. Hill connaît un coup d’arrêt à Monaco, trahi par son V10 Renault puis connaît une course catastrophique en Espagne où il finit dans les barrières. Son coéquipier québécois finit dans la Forti de Badoer sur le Rocher alors qu’il était quatrième, avant de signer une belle troisième place en Espagne derrière Alesi et un Schumacher intouchable dans son élément : la pluie.
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Suivent deux nouveaux doublés au Canada puis en France avec deux victoires de Hill, mais un coup de tonnerre secoue le paddock : Renault quittera la F1 fin 1997. Benetton et surtout Williams vont devoir trouver de nouveaux motoristes, surtout que quelques jours plus tard Elf fait également ses bagages, ce qui complique encore la tâche des hommes de Didcot… Qui plus est, alors que Hill se rapproche du titre course après course, tout le monde ne parle que de son possible remplacement par Heinz-Harald Frentzen, ce qui l’agace quelque peu…
Williams elle poursuit son écrasante domination au point d’être titrée chez les constructeurs en Hongrie, alors qu’il reste encore quatre courses à disputer. Toutefois, Villeneuve tente de rester dans le sillage de Hill et ainsi de devenir le premier rookie champion du monde de Formule 1. Avec 17 points de retard, détrôner Hill sera compliqué mais mathématiquement toujours possible. L’Anglais aurait cependant juste besoin de terminer les quatre dernières courses second pour être couronné.
Lors du Grand Prix de Belgique, 13ème manche de la saison, Hill est d’humeur plus que morose. Il essaie de négocier un baquet Williams pour 1997 mais ses demandes salariales (entre 10 et 12 millions de dollars pour l’année) sont refusées par Frank Williams. Une fois de plus, le patron fait passer l’équipe avant les pilotes et la rumeur Frentzen se fait de plus en plus probable…
Villeneuve se rapproche à 13 points après la Belgique, mais aucune des deux Williams ne finit dans les points en Italie, qui consacre Schumacher comme nouvelle idole des tifosi. Dans le même temps, Williams choisit de se séparer de Damon Hill et recrute Frentzen comme tout le monde s’en doutait. Cependant les Anglais perdent un autre élément ô combien précieux en la personne d’Adrian Newey. Particulièrement remonté contre cette éviction, il quitte Williams pour McLaren mais ne pourra prendre ses fonctions que courant 1997.
Au Portugal, Villeneuve parvient à garder de minces espoirs d’être sacré en gagnant devant Hill et en réalisant un incroyable dépassement sur Schumacher. Il doit cependant gagner sans que Hill finisse dans les points, ce qui semble peu probable sur le papier. L’Anglais court cependant son dernier Grand Prix pour Williams : il a finalement trouvé refuge chez Arrows pour 1997. Les minces espoirs de Villeneuve partent rapidement en fumée : auteur d’un mauvais départ alors que son coéquipier se retrouve en tête, il abandonne dans le 37ème tour sur perte d’une roue alors qu’il était cinquième. Damon Hill se voit ainsi couronné champion du monde 1996 et devient le premier pilote à rejoindre son père au palmarès. Un père hélas parti depuis plus de 20 ans et qui a grandement compliqué la vie de Damon, entre dettes et galères pour financer sa carrière.
1997 reste ainsi comme la dernière campagne victorieuse de Williams. Newey aura tout de même laissé un dernier chef-d’œuvre à la firme de Didcot avec la FW19, encore plus réussie que sa devancière. Cependant Villeneuve n’a pas les qualités de metteur au point de Hill, et Frentzen ne sort pas d’une incroyable saison 1996. Qui plus est, Ferrari semble avoir repris du poil de la bête même si la F310B du début de saison ne donne clairement pas satisfaction. Schumacher devait plus ses trois victoires avec la F310 à son talent qu’à sa voiture…
Cette saison va se résumer à une sorte de « guerre froide » entre Villeneuve et Schumacher : jamais les deux pilotes ne partageront un seul podium de toute la saison ! Ils alternent ainsi entre superbes performances et courses anonymes et se battent à distance pour un titre qui ne peut leur échapper. Ainsi Schumacher finit second en Australie entre les McLaren tandis que Villeneuve abandonne dans le premier tour à la suite d’un accrochage avec Herbert et Irvine. Le Québécois remporte les deux courses suivantes, abandonne à Saint-Marin alors que Schumacher est second, puis abandonne à Monaco alors que l’Allemand de Ferrari confirme son statut de roi de la pluie en s’imposant.
Le mano à mano continue ainsi toute la saison, avec à chaque fois ou presque l’un des deux pilotes qui performe et l’autre qui est victime d’une casse mécanique, d’un accident ou juste d’une mauvaise course. Parfois cela tient à peu de choses, comme la victoire de Villeneuve en Hongrie suite au déboires de Damon Hill, qui perd la course dans le dernier tour sur casse mécanique. Cette victoire aura après coup toute son importance… Derrière Frentzen est loin des deux hommes avec seulement trois résultats dans les points dont une victoire (sa seule de la saison) à Saint-Marin.
En Belgique Schumacher écrase la concurrence et Villeneuve n’est que cinquième, mais gagne une place à la suite du déclassement d’Häkkinen pour essence non conforme. Après un Grand Prix d’Italie anonyme pour les deux (Villeneuve cinquième devant Schumacher) le pilote Williams gagne en Autriche et au Luxembourg et passe de dix points de retard à neuf points d’avance sur Schumacher, lui ayant infligé un 20-1 en deux courses.
Les deux dernières courses de la saison vont cependant être marquées par la polémique. Au Japon, Villeneuve a oublié de ralentir sous drapeau jaune en qualifications et se retrouve dans un premier temps disqualifié. Il peut malgré tout prendre le départ mais sait d’avance qu’il court « pour rien ». Il décide alors de ralentir le peloton pour que Schumacher se fasse doubler par tout le monde, mais Irvine réalise un début de course phénoménal et s’envole en tête. Une fois devant Villeneuve, Schumacher voit son coéquipier lui laisser les commandes de la course et gagne ainsi sa cinquième course de la saison. Cinquième, Villeneuve est donc déclassé et aborde la dernière manche de la saison à Jerez avec un point de retard. Il a toutefois ces mots après la course.
Il ne croit pas si bien dire… Un seul point sépare donc les deux hommes à Jerez, et la qualification tourne à l’incroyable : Villeneuve, Schumacher et Frentzen réalisent le même temps, au millième de seconde près ! Ils se retrouvent ainsi placés sur la grille dans cet ordre, le Québécois ayant réalisé son chrono en premier. Mais l’Allemand prend un meilleur départ et vire en tête avec Villeneuve à ses trousses. Le mano à mano va ainsi durer pendant plus de 40 tours… puis ce qui devait arriver arriva.
Dans le 47ème tour, Schumacher semble plus lent et Villeneuve redouble d’efforts pour le passer. Il décide de plonger à l’intérieur dans le virage 6, et l’Allemand tente de lui refaire le même coup qu’à Hill en 1994 en le percutant volontairement. Cette fois justice sera faite à Williams puisque la FW19 continuera sans dommages ou presque, alors que la Ferrari elle reste bloquée sur le sable. Villeneuve laisse même passer les McLaren dans le dernier tour et termine troisième, ainsi que champion du monde pour la première et unique fois. Schumacher est lui déclassé du championnat du monde mais conserve ses victoires et podiums à son palmarès. En deux ans, les Williams FW18 et FW19 ont de nouveau affolé les chiffres.
- 33 Grands Prix disputés
- 20 victoires
- 23 pole positions
- 20 meilleurs tours en course
- 36 podiums
- 298 points marqués
- 4 titres mondiaux (titres pilotes pour Hill en 1996 et Villeneuve en 1997, titres constructeurs en 1996 et 1997)
Et ensuite ? Si l’on excepte la période avec BMW, notamment entre 2001 et 2004 et le sursaut entre 2014 et 2016, Williams était en déclin permanent. Jamais elle n’a retrouvé le chemin des titres, malgré notamment une belle saison 2003. Après la victoire de Montoya au Brésil en 2004, le palmarès est assez maigre : 3 pole positions (dont 2 obtenues grâce à des coups du sort : piste séchante pour Hülkenberg au Brésil en 2010 et pénalité d’Hamilton pour Maldonado en Espagne en 2012), et une seule victoire à mettre au crédit de Maldonado lors de ce même Grand Prix d’Espagne 2012.
Il faut croire que le départ d’Adrian Newey couplé à celui de Renault et d’Elf ont porté un coup fatal à Williams, qui n’a jamais pu par la suite retrouver les sommets atteints dans les années 80 et 90. Désormais vendue au fonds d’investissement Dorilton Capital, il faut espérer que son nom perdure et qu’elle puisse à long terme faire revivre le nom Williams en haut des grilles de F1. 23 ans sans titre, huit ans sans victoire, trois ans sans podium, six ans sans pole position… La disette n’est pas prête de prendre fin de sitôt.
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Pierre Laporte
Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.