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Les Williams mythiques : la FW14B/FW15C, l’âge d’or de l’électronique en Formule 1

Le 21 août 2020 a marqué la fin d’une époque dans le monde de la Formule 1 : Williams a été rachetée par le fonds d’investissement Dorilton Capital. C’est ainsi la fin définitive des « indépendants », qui représentaient la grande majorité de la grille jusque dans les années 80. Williams faisait alors symbole d’exception dans un sport demandant toujours plus de ressources année après année. Nous allons ainsi reparler des années glorieuses de l’écurie au travers des monoplaces qui couraient ces années-là. Retour cette fois sur les ultra dominatrices FW14B et FW15C, qui ont écrasé les saisons 1992 et 1993.

Comme craint par Frank Williams, 1988 fut une année sans pour ses hommes. Les coups d’éclat de la FW12 se limiteront à un récital de Mansell à domicile (second avec le meilleur tour en course), et au Grand Prix d’Italie. Remplaçant de Mansell pour ce qui reste son seul Grand Prix de Formule 1, Jean-Louis Schlesser s’accroche avec Senna à trois tours de la fin et prive malgré lui McLaren d’un Grand Chelem historique. Les progrès sentent cependant à se faire sentir en 1989 et 1990, et ce grâce à l’arrivée de Renault comme motoriste. Thierry Boutsen et Riccardo Patrese gagnent ainsi quatre courses en deux ans et replacent Williams dans la hiérarchie.

Le véritable sursaut survient en 1991, avec la FW14. Alors qu’Alesi fait sûrement le plus mauvais choix de sa carrière en partant chez Ferrari, Nigel Mansell revient au bercail après deux années tumultueuses chez Ferrari. Thierry Boutsen est le grand perdant de cette histoire, condamné à piloter des Ligier-Lamborghini anémiques… L’Anglais va prouver la maxime disant que le championnat ne se gagne pas mais peut se perdre dans les premières courses. Il enchaîne trois abandons lors des trois premières courses (deux casses de boite et un accrochage), alors que Senna gagne à chaque fois. Le reste de la saison se résume à une course-poursuite où Mansell alterne entre victoires sublimes et bévues incroyables. Ainsi, il cale dans le dernier tour du Grand Prix du Canada en saluant la foule et perd la course !

Il perd ses dernières chances de titre lors du Grand Prix du Japon en sortant de la piste en début de course et doit se contenter du titre de vice-champion, comme en 1986 et 1987. Mais pour 1992, Williams a entre ses mains l’arme absolue : la Williams FW14B. Elle est l’évolution de l’excellente FW14, qui était la meilleure voiture du plateau 1991. Les problèmes de fiabilité sont résolus pour de bon, et la FW14B est possiblement l’ordinateur le plus rapide du monde. Jugez plutôt l’électronique embarquée.

Riccardo Patrese au volant de sa FW14 au Grand Prix des USA, monoplace qui a servi de base au développement de la fameuse FW14B

Les essais sont prometteurs, puisque les temps de la FW14 sont battus de plus de deux secondes ! McLaren peut trembler, d’autant plus que sa MP4/7 n’est pas encore prête… On savait cette Williams grande favorite de cette saison 1992, Nigel Mansell se chargera de confirmer cette théorie. Il écrase ainsi le championnat sans la moindre concurrence et gagne les cinq premières courses de la saison ! Il s’incline pour la première fois de la saison à Monaco après un arrêt tardif à la suite de prétendues vibrations sur sa monoplace. Reparti derrière Senna, il ne pourra jamais passer le Brésilien qui résiste sans faillir à la pression que lui inflige l’Anglais dans les trois derniers tours. Un Grand Prix du Canada rocambolesque ouvre la voie à Berger sur sa McLaren, tandis que derrière Wendlinger arrache une quatrième place sortie de nulle part, et que Comas marque le premier point de Ligier depuis 1989.

Mansell tue le peu de suspense qui pouvait subsister en triomphant lors des trois manches suivantes. Second derrière Senna en Hongrie, il devient enfin champion du monde à 39 ans après avoir tant frôlé cette consécration suprême. Hélas, son sens de la gaffe le rattrape toujours et alors qu’il vient de gagner le titre, il demande une énorme augmentation de salaire : 23 millions de dollars ! Il vient de mettre un terme à sa carrière sans le savoir…

Malgré trois résultats blancs sur les quatre dernières courses, il bat le record de poles positions et de victoires en une saison, avec un 14/16 en qualifications et un 9/16 en course ! Derrière, Patrese qui est pourtant plus expérimenté que Mansell n’aura jamais pu concurrencer son illustre coéquipier. Il termine certes vice-champion, mais à 52 points de Mansell et avec seulement trois points d’avance sur Michael Schumacher.

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Après cette impressionnante campagne 1992, Williams amène pour 1993 la Williams FW15C… soit la troisième évolution de la FW15 qui devait apparaître lors de la saison précédente ! C’est dire si la firme de Didcot est inatteignable… Le line-up est ainsi complètement renouvelé, puisque Mansell s’est exilé aux Etats-Unis et Patrese est parti chez Benetton. Alain Prost hérite ainsi du leadership de l’écurie après une année sabbatique. Tout le monde se demande si avec une telle voiture, il peut battre les records de Mansell… Damon Hill est lui engagé comme numéro deux, profitant d’une clause du contrat de Prost qui stipule que Senna ne peut être son coéquipier. Après des milliers de kilomètres couverts en essais privés, il bénéficie de la meilleure voiture du plateau malgré une expérience plus que limitée : il n’a couru que deux courses chez Brabham l’an dernier (et reste à ce jour le dernier pilote à avoir terminé une course sur une Brabham, le Grand Prix de Hongrie 1992).

Toutefois, la saison commence de façon mouvementée pour la structure de Didcot. Mi-janvier, Frank Williams apprend que son écurie n’est pas inscrite au championnat 1993 ! Une erreur administrative est à l’origine de cette situation absurde, et Mosley ainsi qu’Ecclestone y voient une parfaite occasion de pousser Williams à abandonner les aides au pilotage. Ces dispositifs sont en effet plus qu’onéreux à une époque où l’informatique est loin, très loin de ce qu’elle est aujourd’hui… Ainsi, l’intégralité des teams doit valider le retour de Williams, et Benetton ainsi que Minardi opposent leur véto. On sait bien évidemment que la petite structure de Faenza ne peut en aucun cas se permettre d’installer autant d’électronique sur ses monoplaces…

Si finalement tout rentre dans l’ordre après quelques semaines de palabres (et la réintégration de Williams malgré l’absence d’unanimité), Alain Prost est lui aussi concerné par une affaire extra-sportive. En décembre 1992, il s’est ainsi vivement emporté contre la FIA et notamment Ecclestone et Mosley en les accusant « de diriger la F1 de manière arbitraire, voire dictatoriale, à seule fin de susciter un spectacle artificiel et donc d’accroître les revenus des droits TV, sans se préoccuper des intérêts des pilotes et des constructeurs. » Outré par de tels propos, Mosley refuse de lui délivrer sa superlicence, avant de se raviser mais sans pour autant ménager le pilote français qui devra répondre de ses propos. Il est finalement blanchi le 19 mars 1993 et peut se concentrer tranquillement sur la suite du championnat, surtout qu’il a gagné devant Senna en Afrique du Sud. Ce dernier connaît lui aussi un début de saison complexe : il n’a pas signé de contrat pour l’année, mais prolonge son bail course après course ! Sans oublier que sa McLaren MP4/8 ne dispose que d’un moteur Ford client…

À l'époque, Prost ne s'entendait pas si bien avec les décideurs de la F1 et a failli mettre sa carrière en péril ©WSCOM

Cependant, le début de saison est un peu plus compliqué que prévu pour Prost. Il abandonne sous la pluie au Brésil et ne termine que troisième en Europe à cause d’une stratégie pour le moins chaotique (pas moins de sept arrêts aux stands !). Il doit son podium à l’abandon tardif de Rubens Barrichello, et à la vitesse de sa Williams-Renault. Herbert sur sa Lotus n’a pu passer le Français… malgré six arrêts de moins ! C’est dire si les monoplaces britanniques sont rapides…

Le duel entre Senna et Prost se poursuit jusqu’à Monaco avec la victoire du Brésilien qui fait suite à deux victoires du Français. Mais cette bataille qui avait tant fait vibrer les fans de la discipline entre 1988 et 1990 n’ira pas plus loin. Prost aligne quatre victoires de rang entre le Canada et l’Allemagne et marque 40 points contre seulement 8 pour Senna, qui signe deux quatrièmes et une cinquième place… Mais toutefois, les cartes risquent d’être redistribuées pour 1994 car à force de négociations, Ecclestone est parvenu à faire interdire les aides au pilotage à la fin de cette saison 1993. La FW16 devra revenir à une suspension « passive » classique…

Pendant que se déroulent nombre d’intrigues politiques sans fin en coulisses, c’est un Damon Hill survolté qui va s’offrir ses trois premières victoires consécutives dans la discipline. Il profite ainsi des déboires de Senna et de Prost pour se replacer au championnat et assurer sans difficulté le titre constructeurs pour Williams. Andretti est littéralement fantomatique sur la seconde MP4/8 et est viré après le Grand Prix d’Italie… qu’il termine sur le podium. L’écurie de Didcot est ainsi sacrée en Belgique, où Hill et Prost encadrent Schumacher sur le podium.

Alain Prost remporte son 4e titre de champion du monde au volant de sa Williams FW15C en 1993

Ce dernier s’impose pour la seconde fois de sa carrière à Estoril, devant Prost qui devient champion du monde pour la quatrième fois. Il devance alors Damon Hill de 25 points, Ayrton Senna de 36 points et Michael Schumacher de 37 points, mais le Brésilien se rebiffe et gagne les deux dernières courses de la saison devant Prost, qui prend sa retraite à la fin de la saison. Les deux anciens coéquipiers et rivaux offrent l’une des plus belles scènes de l’histoire de la discipline à Adélaïde, avec une superbe réconciliation… qui ne durera que quelques mois, jusqu’à la mort de Senna quelques mois plus tard. En deux saisons, Williams a presque ridiculisé l’intégralité de la concurrence avec ses monoplaces bardées de technologie. Les chiffres en sont presque effrayants.

Au-delà de l’incroyable domination qu’elles ont exercé sur le sport, à peine ébranlée par les coups d’éclat de Schumacher et de Senna, ces deux Williams marquent à la fois le début et la fin d’une ère : celle de l’électronique à foison. Ces voitures étaient de réels ordinateurs sur roues, où tout était fait pour faciliter la vie du pilote. Alain Prost qualifiait ainsi la FW15C de « petit Airbus » ! Un monde avec les Ferrari 642 et 643 de 1991… On retrouve ainsi la FW14B dans de nombreux jeux liés à la Formule 1, notamment les dernières productions de Codemasters où elle est l’une des stars des monoplaces dites « rétro ». Avec le recul, ces deux monoplaces laissent toutefois songeur. Si une écurie de Formule 1 était capable de telles prouesses en 1993… qu’en serait-il en 2020 avec les progrès ahurissants de l’informatique ?

Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.

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