Les Williams mythiques : Williams FW11/11B, entre joies, drames et désillusions
Le 21 août 2020 a marqué la fin d’une époque dans le monde de la Formule 1 : Williams a été rachetée par le fonds d’investissement Dorilton Capital. C’est ainsi la fin définitive des « indépendants », qui représentaient la grande majorité de la grille jusque dans les années 80. Williams faisait alors symbole d’exception dans un sport demandant toujours plus de ressources année après année. Nous allons ainsi reparler des années glorieuses de l’écurie au travers des monoplaces qui couraient ces années-là. Place cette semaine aux Williams FW11 et FW11B, qui ont couru en 1986 et 1987.
1986 est une année qui semble pleine de promesses pour les Williams-Honda. La FW10 de l’an dernier a mis du temps à confirmer son potentiel, mais s’est affirmée comme la meilleure voiture du plateau en fin de saison. Ainsi est présentée la nouvelle FW11 qui bénéficie du plein soutien de Honda sur les V6 turbocompressés, mais l’écurie a été ébranlée par un terrible accident peu avant le début de la saison.
Le 6 mars, Frank Williams et Peter Windsor partent du circuit du Paul Ricard après une séance d’essais privés pour rejoindre l’aéroport de Nice. Hélas, ils sont victimes d’un accident sur une route de campagne et si Windsor n’est que légèrement touché, Williams est victime de blessures bien plus graves. Transporté en urgence à l’hôpital de la Timone à Marseille, le diagnostic est pour le moins alarmant : ses quatrième et cinquième vertèbres sont fracturées. Si sa vie n’est plus en danger, il se retrouve désormais tétraplégique pour le restant de ses jours.
En attendant son retour, Patrick Head, Franck Dernie et Peter Windsor assurent l’intérim à la direction de l’écurie. Si Nigel Mansell a été conservé pour 1986, Keke Rosberg a lui été remplacé par le double champion du monde Nelson Piquet. Une excellente pioche pour le pilote brésilien, qui s’évite de piloter de catastrophiques Brabham BT55… Or la relation entre les deux pilotes va rapidement devenir détestable : chacun veut être le numéro un…
Piquet démontre tout le potentiel de la nouvelle FW11 en gagnant au Brésil devant Senna et Laffite, tandis que Mansell a fini dans le mur à la suite d’une touchette avec Senna. Rapidement un quatuor se détache du reste de la grille, et les noms sont ronflants : Prost sur la McLaren, Mansell et Piquet sur les Williams, et Senna sur la Lotus. Ces quatre pilotes se livrent un véritable chassé-croisé toute la saison, même si Senna est distancé sur la fin et ne peut se battre pour la consécration mondiale. Dès la course suivante en Espagne, Senna triomphe de Mansell… pour 14 millièmes de seconde ! Des millièmes qui s’avèreront décisifs en fin de saison…
Ce même Mansell devient l’homme à battre de cette saison 1986. Après une décevante quatrième place à Monaco, il signe quatre victoires en cinq courses et reprend la tête du championnat après cette quatrième victoire, signée à Brands Hatch. Cette course marque également le retour de Frank Williams dans le paddock, hélas condamné à passer le reste de ses jours en fauteuil roulant. Certes Williams domine le classement constructeurs et Mansell vient de reprendre la tête du classement pilotes, mais la crise couve à Didcot.
D’une part, Mansell qui estime avoir prouvé qu’il pouvait jouer le titre demande une grosse revalorisation salariale : il veut doubler son salaire pour 1987 ! Il laisse entendre à Williams que d’autres écuries sont prêtes à l’engager si son salaire n’est pas augmenté… D’autre part, Piquet ne supporte pas d’être relégué au rang de numéro deux et en vient même à alimenter les tensions au sein de sa propre écurie. Ambiance, surtout qu’après cette course de Brands Hatch, la guerre est ouvertement déclarée entre les deux pilotes. Un scénario similaire à celui de 1981… dont la finalité sera quelque peu similaire.
Désormais c’est du chacun pour soi, et la Williams FW11 continue d’être la machine à battre. La consommation est le point fort de cette monoplace, qui évite la panne sèche la plupart du temps contrairement à la majorité de leurs adversaires. Prost collectionne ainsi les pannes sèches mais reste un adversaire sérieux au championnat. Avec une McLaren MP4/2C moins performante, il joue sur une grande régularité pour suivre le train d’enfer des monoplaces de Didcot.
Piquet sonne alors la charge et gagne en Allemagne, en Autriche et en Italie. Prost lui sauve une victoire parfaite en Autriche, puisque les deux Williams ont abandonné sur problème mécanique. Mansell gagne ensuite au Portugal, où Williams devient ainsi championne du monde des constructeurs et gagne son premier titre constructeurs depuis 1981. Rosberg n’a jamais réussi à se hisser au niveau de Prost, et que dire de Dumfries par rapport à Senna…
Après la victoire surprise de Berger au Mexique, Mansell, Piquet et Prost se retrouvent en Australie pour la finale de ce championnat du monde 1986. Mansell compte 72 points mais doit retrancher son plus mauvais résultat, ce qui lui laisse 70 points. Prost en compte 65 mais doit aussi en retrancher un, ce qui le laisse à 64 points. Piquet n’a fini que 10 courses dans les points et a donc ses 63 points. En effet seuls les 11 meilleurs résultats sont comptés… et comme en 1981, aucun pilote Williams ne sera sacré.
Longtemps troisième derrière Piquet et Prost, Mansell voit son pneu arrière exploser à plus de 300 km/h dans Brabham Straight à 16 tours de la fin. Il est ainsi contraint à l’abandon alors qu’il menait tranquillement sa course et voit ses rêves de titre sérieusement compromis. Piquet, qui venait de récupérer la tête après la crevaison de Rosberg doit repasser par les stands et laisse filer Prost, qui remporte la course et le titre sur le fil au nez et à la barbe des Williams…
Pour 1987, on prend les mêmes et on recommence, avec cette fois demande faite d’une collaboration entre Piquet et Mansell. Le Brésilien prétextant pendant l’intersaison que Williams a perdu le titre pilote car il n’était pas considéré comme un numéro un, la route promet d’être longue… La FW11B est une évolution de l’excellente monoplace de 1986, avec un V6 Honda toujours aussi puissant malgré les restrictions sur les turbos en vigueur. Le début de saison n’est cependant pas forcément à l’avantage des Williams : si Piquet finit second au Brésil et Mansell gagne à Saint-Marin, c’est Prost qui mène le championnat après trois courses avec deux victoires.
Qui plus est, Mansell est auteur d’une manœuvre purement kamikaze à Spa sur Senna, qui envoie les deux pilotes dans le décor. Après la course, il perd ses nerfs en allant voir Senna et manque de peu de lancer une bagarre dans le stand Lotus. La presse britannique l’accable ainsi de toutes parts, déjà que sa réputation n’était pas forcément au beau fixe… Il est ainsi dépeint comme un idiot fini, incapable de tenir ses nerfs, et on le fait aussi savoir chez Honda…
Il va ainsi passer sa saison à courir après Piquet, accablé aussi de malchance. Il abandonne à Monaco sur casse mécanique alors qu’il menait, tandis que Piquet termine second. Une sacrée performance pour celui pour qui « piloter à Monaco en F1 revient à faire du vélo dans son appartement ». A Dallas, ce sont des crampes qui le condamnent à finir cinquième alors qu’il menait facilement en début de course, tandis que comme à Monaco Piquet finit second derrière Senna…
En France, Mansell gagne devant Piquet sous les yeux du patron, terriblement éprouvé par la canicule qui règne sur le tracé français. Même scénario à Silverstone, où Mansell est avalé par une marée humaine de supporters extatiques célébrant sa victoire. A ce moment, les deux pilotes comptent 30 points chacun, mais à Nigel le panache avec trois victoires et à Nelson la régularité avec cinq deuxièmes places !
À partir de là, Piquet prend la tête des opérations. Vainqueur chanceux en Allemagne, il prend seul les commandes, tandis que Mansell a été victime d’un problème moteur. Il est de nouveau frappé par la malchance en Hongrie, où il perd sa roue arrière-droite dans les derniers tours alors qu’il menait ! Piquet en profite pour gagner, mais l’avenir de Williams s’assombrit. Piquet voudrait être premier pilote et mieux payé pour 1988, ce que refuse Frank Williams. Plus inquiétant encore, Honda a signé un partenariat avec McLaren et ne fournira que deux équipes. Qui de Williams ou de Lotus va devoir trouver un nouveau motoriste ? Affaire à suivre…
Mansell se rattrape en Autriche où il écrase la concurrence : seul Piquet est dans le même tour que lui ! Toutefois, il ne finit que troisième à Monza alors que Piquet est vainqueur. Dans le même temps, Williams annonce la fin de son partenariat avec Honda et son association avec Judd pour 1988. C’est un terrible coup dur pour l’écurie britannique qui perd le meilleur moteur du plateau et devra se contenter de moteurs bien moins performants… Qui plus est, Mansell est accusé de se doper pour tenir le coup lors des GP, puisqu’il en finit certains à l’agonie ! Son médecin réplique dans la presse en expliquant que la préparation physique de l’Anglais est plus que perfectible…
Le Portugal semble sonner le glas des espoirs de Mansell : il abandonne une fois de plus sur casse mécanique alors que Piquet termine troisième. Malgré tout, le moustachu britannique ne se démonte pas et gagne coup sur coup en Espagne et au Mexique, gardant une chance mathématique de remporter le titre. Alors qu’il ne reste que deux courses, Piquet compte 12 points d’avance sur Mansell mais devra retrancher ses plus mauvais résultats s’il finit dans les points. Seuls les 11 meilleurs résultats comptent, et avec trois victoires, sept deuxièmes places et une troisième place, il doit finir premier ou second pour marquer plus de points…
Mais les calculs tourneront court. Lors des qualifications le vendredi, Mansell perd le contrôle de sa Williams en essayant de battre Piquet. Il part en tête à queue, percute un mur de pneus et décolle avant de lourdement retomber sur le fond plat. Transporté à l’hôpital en urgence, il est victime de commotions et de contusions qui scellent le dénouement de ce championnat 1987 puisqu’il ne peut courir le lendemain. Piquet est donc sacré champion du monde, mais ne se réjouit pas d’un tel dénouement. Il ne finit aucune des deux dernières courses de la saison et part pour Lotus en 1988 avec le moteur Honda.
Le titre 1987 de Piquet ne sera clairement pas le plus le mémorable de l’histoire, loin de là. Cela rappelle le titre de Mike Hawthorn en 1958, obtenu grâce à une régularité similaire. Le Brésilien a dû toutefois se battre contre lui-même, à la suite d’un accident survenu à Imola en début de saison qui a affecté ses capacités. Il a toutefois su garder la tête froide contrairement à Mansell, qui a oscillé entre l’excellent et le déplorable. Sautes d’humeur, pétage de plombs, victoires magnifiques, abandons malchanceux, il aura tout eu pendant cette campagne 1987. Beaucoup de journalistes déclarent ainsi qu’il n’a pas les épaules pour devenir champion du monde car trop fragile psychologiquement… C’est ainsi que la FW11 tire sa révérence pour laisser la place à la décevante FW12, qui ne récoltera que deux podiums grâce à Mansell. En deux ans, elle aura récolté un palmarès plus qu’honorable.
- 32 Grands Prix
- 18 victoires
- 16 pole positions
- 18 meilleurs tours en course
- 37 podiums
- 278 points marqués
- 3 titres mondiaux (titre constructeurs en 1986 et 1987, titre pilotes avec Nelson Piquet en 1987)
Comme avec la FW07C, Williams a également manqué un titre pilotes avec la FW11 pour les mêmes raisons : aucune entente entre les deux pilotes de l’écurie. Cependant, la FW11 puis la FW11B restent de fabuleuses machines, qui font partie intégrante de l’histoire de Williams et de la Formule 1. Elle symbolisent la seconde ère de succès pour Williams, au point qu’on reverra la FW11B dans le jeu Toca Race Driver 3, avec la FW18 de 1996 et la FW27 de 2005. Dotées du meilleur moteur du plateau qu’elles exploitaient à merveille, elles ont écœuré plus d’un adversaire en deux ans de compétition.
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Angélique Belokopytov
Fondatrice et rédactrice en chef. Amoureuse de la course et du journalisme depuis des années, le ronronnement des moteurs m'a bercée depuis ma plus tendre enfance et rythme mon quotidien. F1nal Lap a pour but de rapprocher les amoureux de la F1 au plus près du Paddock au travers d'un contenu original et recherché. F1nal Lap, la F1 comme vous ne l'avez jamais vue !