Génération perdue : Piers Courage, et Williams faillit ne jamais être…
Romain Grosjean nous l’a rappelé malgré lui : la Formule 1, et les sports mécaniques sont dangereux. Sans les réformes sécuritaires menées au fil des ans pour rendre le sport plus sûr, il aurait hélas rejoint une longue liste de pilotes partis trop tôt. Si nous avions déjà évoqué le cas des pilotes français, nous allons ce mois-ci revenir sur la « génération perdue » du sport automobile anglais. Pas moins de quatre pilotes anglais promis à un grand avenir dans les années 1970 ont perdu la vie dans des accidents, majoritairement en course. Retour cette semaine sur le premier d’entre eux, Piers Courage.
Zandvoort, Grand Prix des Pays-Bas 1970. La cinquième manche de cette saison voit les débuts de deux pilotes qui vont rapidement faire parler d’eux : Clay Regazzoni et François Cevert. Le vétéran Jack Brabham (44 ans) mène lui la danse au championnat, devant Stewart et Rodriguez, vainqueur en Belgique. Mais cette course va surtout être marquée par un terrible accident dans le 23ème tour…
Piers Courage était l’un de ces nombreux talents dont la F1 regorge. Né en 1942 pendant la guerre à Colchester, il grandit dans une famille au nom connu dans toute l’Angleterre et au-delà. Il est en effet l’héritier de la brasserie Courage, fondée à la fin du 18ème siècle par John Courage, un agent maritime avec des origines françaises. Grâce à cet héritage, il peut ainsi étudier à Eton, avant de se voir offrir une Lotus Seven par son père, qui gère tranquillement cet empire.
Lancé dans le bain du sport automobile, il commence à attirer les yeux sur lui en 1964, lorsqu’il dispute ses premières courses en F3. Auteur de deux podiums, il court sur Lotus 22 en compagnie de Jonathan Williams. Ce dernier reste sûrement le pilote le plus méconnu de toute l’histoire de la Scuderia Ferrari : il y court en effet le dernier Grand Prix de la saison 1967 au Mexique. Qualifié 16ème, il termine huitième mais n’est pas retenu pour 1968, évincé par Jacky Ickx.
Courage se voit engagé pour la saison 1965 par l’écurie de Charles Lucas, qui engage alors des Brabham. Le jeune Anglais se montre à son avantage avec quatre victoires et se lie d’amitié avec un tout aussi jeune Frank Williams, alors pilote et mécanicien pour Lucas. Impressionné par ses performances, Chapman le récupère pour 1966 et le fait courir sur une Lotus 41. Cette dernière, moins performante que les Brabham oblige Courage à se démener en piste, mais ses efforts sont récompensés par une pige en F2 sur la Nordscheleife. Qualifié 23ème, il sort de la piste dans le quatrième tour de course.
Il se retrouve dans le grand bain pour le début de la saison 1967, où il court en F1 pour le compte de Reg Parnell. Abandonnant sur casse mécanique en Afrique du Sud alors qu’il est cinquième, il part en tête-à-queue à Monaco et abandonne également. Forfait à Zandvoort et contraint de laisser sa voiture à Silverstone, il se console en courant en F2 au volant d’une McLaren. Il la loue en fin de saison pour courir la série Tasmane, qu’il termine troisième derrière Clark et Stewart avec une victoire dans la dernière course.
1968 commence à montrer quelques lueurs d’espoir : il est engagé par l’écurie de Reg Parnell qui fait courir des BRM P126. Si la voiture n’est pas un foudre de guerre, Courage marque malgré tout ses premiers points en F1. Sixième du Grand Prix de France, il termine au pied du podium en Italie à un tour du vainqueur, le tout en étant parti 17ème ! Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, un ami à lui fait son apparition dans la catégorie reine, son ancien coéquipier de F3 Frank Williams. Ce dernier a abandonné le volant pour se consacrer à la direction d’écurie, et il engage Courage en tant que premier pilote sur une Brabham BT24A à moteur Cosworth.
La combinaison marche à merveille, si bien que Courage termine second à Monaco derrière Graham Hill, qui s’impose en Principauté pour la cinquième fois. Il termine à moins de 20 secondes du pilote Lotus avec sa Brabham privée, un véritable exploit. Cette performance est qui plus est loin d’être isolée : le jeune Anglais retrouve le chemin des points à domicile avec une cinquième place, et mène ses premiers tours en Italie. Décroché par les Lotus et les Matra, il ne peut cependant faire mieux qu’une nouvelle cinquième place. Il retrouve le chemin du podium à Watkins Glen pour la dernière course de la saison, en terminant second derrière son ami Jochen Rindt. Courage est le seul pilote à finir dans le tour de l’Autrichien… une course comptant pas moins de 108 tours !
Avec 16 points et deux podiums, Courage se classe huitième du championnat et affirme son statut de grand espoir de la Formule 1. Après des débuts quelques peu difficiles au volant des BRM, il peut enfin exprimer tout son talent avec la Brabham de Frank Williams. Mais pour la saison 1970, ce dernier cède aux sirènes de l’Argentin Alessandro de Tommaso. Mondialement connu pour la Pantera quelques années plus tard, l’industriel argentin propose de s’impliquer dans la première écurie Williams. Cette dernière voit ainsi l’arrivée de la De Tommaso 505, conçue par un certain Gianpaolo Dallara et mue par un V8 Cosworth.
Hélas pour Courage et Williams, cette voiture n’est ni rapide, ni fiable. Le podium obtenu hors-championnat lors de l’International Trophy est un trompe-l’œil. Qualifié la plupart du temps en milieu de grille, il n’est classé sur aucune course et ne prend même pas le départ du Grand Prix d’Espagne à cause d’un accident survenu en qualifications. Pire, il ne pointe jamais mieux que septième en course (à Monaco), où certes il termine… mais à 32 tours, et se retrouve logiquement non-classé.
Pour la cinquième manche de la saison à Zandvoort, la De Tommaso 505 se voit équipée d’un châssis et de suspensions partiellement en magnésium, afin de l’alléger. Toutefois, ce matériau est aussi extrêmement inflammable, comme a pu le prouver deux ans plus tôt Jo Schlesser. Lors du Grand Prix de France 1968, le pilote français perdit le contrôle de sa Honda RA308 qui termina sa course dans un talus. Le brasier qui s’ensuivit fut si ardent que les pompiers mirent pas moins de 15 minutes à l’éteindre, condamnant Schlesser. Et ce détail va hélas avoir toute son importance… Qualifié neuvième, Courage part bien et navigue à la porte des points, en septième position. Mais dans le 23ème tour… tout part en fumée, au sens propre comme au figuré.
Vers Tunnel Oost, il est brutalement victime d’une rupture mécanique (suspension avant ou direction) et sort violemment de la piste en partant tout droit. La De Tommaso décolle ensuite sur une dune et fait plusieurs tonneaux avant de s’embraser instantanément, avec le moteur désolidarisé de la coque. Le magnésium attise les flammes au point d’enflammer les arbres alentour et le public panique devant la scène, provoquant même un mouvement de foule.
Les pompiers sur place mettent de longues minutes à éteindre le brasier, et personne ne sait alors qui a été victime de l’accident. Personne ou presque, le premier informé malgré lui est Siffert qui a cassé son moteur près du lieu de l’accident. Il rentre aux stands la tête basse, dévasté par ce qui vient de ce passer. Une fois l’incendie éteint, les pompiers découvrent enfin le pilote impliqué dans l’accident en la personne de Piers Courage. Ils remarquent également que le jeune anglais n’est pas mort brûlé vif, mais semble avoir été blessé à la tête après avoir été frappé par une de ses roues.
La nouvelle de sa mort se répand peu à peu dans le paddock, qui est littéralement consterné. Sur le podium, personne n’a le cœur à la joie d’autant plus qu’il était très apprécié dans le paddock. Rindt annonce ainsi à sa femme qu’il prendra sa retraite à la fin de la saison… sans savoir qu’il rejoindra Courage quelques mois plus tard. Mais le plus marqué dans cette histoire n’est autre que Frank Williams. Meurtri d’avoir perdu son pilote mais surtout un ami, il décide après coup de ne plus s’attacher à un seul de ses pilotes pour ne pas revivre une telle épreuve. Piers Courage reste ainsi l’un de ces nombreux espoirs qui n’auront jamais pu démontrer leur plein potentiel en Formule 1. Auteur d’une saison prometteuse avec la Brabham de Frank Williams en 1969, il n’a pas pu confirmer la saison suivante, la faute à un matériel peu performant. Il était un personnage charismatique et très apprécié dans le paddock, unanimement regretté de ses pairs. Il est ainsi le premier pilote de la « génération perdue » britannique de la Formule 1… mais nous aurons l’occasion d’en reparler.
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Angélique Belokopytov
Fondatrice et rédactrice en chef. Amoureuse de la course et du journalisme depuis des années, le ronronnement des moteurs m'a bercée depuis ma plus tendre enfance et rythme mon quotidien. F1nal Lap a pour but de rapprocher les amoureux de la F1 au plus près du Paddock au travers d'un contenu original et recherché. F1nal Lap, la F1 comme vous ne l'avez jamais vue !
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