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La sécurité en F1 : Sid Watkins, l’ange gardien de la Formule 1

L’accident de Romain Grosjean lors du Grand Prix de Bahreïn 2020 a démontré une fois de plus l’importance des mesures de sécurité en Formule 1. Sans toutes les diverses mesures prises depuis des années, jamais le pilote français n’aurait survécu à un tel choc. C’est pourquoi ce mois-ci nous allons revenir sur divers aspects de la sécurité en Formule 1, ainsi que sur certaines personnalités qui ont fait avancer les choses. La série se termine ce mercredi sur une personne à qui la Formule 1 doit beaucoup, le professeur Sid Watkins.

Le nom de Sid Watkins n’est peut-être pas familier à toutes celles et ceux qui suivent la Formule 1 depuis l’ère hybride. Cependant, nombreux sont les pilotes qui lui doivent énormément, directement ou indirectement. Il a en effet sauvé la vie de plusieurs pilotes à même l’asphalte suite à des accidents et permis plusieurs avancées au niveau sécuritaire. Retour sur la vie et la carrière d’une des grandes figures de la discipline, qui jamais ne doit sombrer dans l’oubli.

Né en 1928 à Liverpool, Watkins baigne dans l’automobile grâce à son père, qui de mineur s’est reconverti en tant que garagiste. Il y a travaille jusqu’à ses 25 ans en parallèle de ses études de médecine, bien que son père ne soit pas favorable à un tel projet de carrière. A 28 ans, il est reconnu docteur en médecine de l’Université de Liverpool, alors qu’il est en Afrique pour quatre ans au service de la Royal Army Medical Corps (RAMC). C’est pendant cette période qu’il court en sport automobile pour la seule fois de sa vie. Au volant d’une Ford Zephyr Zodiac, il participe au West African Rally 1955 mais abandonne tôt dans le rallye.

De retour au Royaume-Uni en 1958, il continue ses études à Oxford où il se spécialise alors dans la neurochirurgie. Toutefois, sa passion pour l’automobile le rattrape et en 1961, il est médecin sur une course de kart à Brands Hatch, alors qu’il est aussi docteur durant certaines courses à Silverstone pendant son temps libre. L’année suivante, il part de l’autre côté de l’Atlantique pour occuper un poste de professeur en neurochirurgie à l’Université d’Etat de New York. Il déménage à Syracuse, dans l’Etat de New York et pendant les huit ans qu’il y reste, il officie également à Watkins Glen, le circuit étant à environ 130 km de Syracuse. Voyant le manque criant d’équipements médicaux fournis, il amène ses propres affaires et vient avec plusieurs personnes qualifiées pour le seconder.

Sid Watkins et Bernie Ecclestone

De retour au Royaume-Uni en 1970, il dirige le service de neurochirurgie de l’hôpital de Londres et se retrouve dans les services médicaux du Rallye de Grande-Bretagne. Mais en 1978, une rencontre va se révéler décisive pour le neurochirurgien alors âgé de 50 ans. Il est approché ni plus ni moins que par Bernie Ecclestone lui-même, qui cherche à protéger son business qu’est la Formule 1 en améliorant la sécurité des pilotes (plus que déficiente à l’époque). Le magnat de la Formule 1 lui propose un contrat à 35 000 $ par an, mais sans prise en charge des frais adjacents. Watkins doit ainsi payer ses billets d’avion, ses chambres d’hôtel, ses locations de voiture… Il accepte malgré tout la proposition, tout en gardant son poste à Londres en dehors des week-ends de course.

Le voici donc introduit dans le monde de la Formule 1 à l’occasion du Grand Prix de Suède 1978. Les pilotes acclament l’initiative d’Ecclestone, alors que les promoteurs des circuits grincent des dents. Ils estiment que l’arrivée de ce docteur occasionne une perte de leur autorité face à la FOCA. Ecclestone est décidément sur tous les fronts : il doit également se battre pour admettre sa Brabham BT46B « aspirateur » au départ alors que tous ses adversaires hurlent à l’illégalité de la voiture…

Sid Watkins n’aura pas besoin d’attendre longtemps pour pouvoir se faire entendre du monde de la Formule 1. Lors du Grand Prix d’Italie 1978, le starter Giovanni Restelli commet une grave erreur en donnant le départ de la course trop tôt : seuls Andretti et Villeneuve sont arrêtés à leur emplacement. Jamais le « goulot d’étranglement » qu’est la première chicane n’aura alors aussi bien porté son nom… Un immense carambolage implique une dizaine de pilotes, mais les plus touchés sont Vittorio Brambilla et Ronnie Peterson. Le premier est inconscient dans sa voiture après avoir pris une roue sur la tête. Le second lui a été gravement blessé aux jambes mais est toujours conscient.

Dans tout ce capharnaüm, Watkins est incapable d’accéder au carnage en piste : il est bloqué par un barrage de carabinieri ! Hunt et Regazzoni doivent sortir eux-mêmes Peterson du brasier qu’est devenu sa Lotus 78… Le professeur ne peut arriver sur la piste que de longues minutes plus tard mais ne pourra pas sauver Peterson. Opéré trop tôt de ses blessures, le Suédois décède d’une embolie pulmonaire le lendemain de l’accident. Sid Watkins exige alors plusieurs choses d’Ecclestone.

Si tôt dit, si tôt fait, et Ecclestone accepte toutes ses demandes dès le Grand Prix suivant à Watkins Glen. En 1981, il est élu président de la toute nouvelle Commission Médicale créée par Roland Bruynseraede, et doit faire face à deux terribles accident l’année suivante.

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Le 8 mai 1982, Gilles Villeneuve est victime d’un terrible accident à Zolder lors des qualifications du Grand Prix de Belgique. Lancé à 260 km/h, une mésentente avec Mass le fait décoller sur la March de l’Allemand avant que sa Ferrari 126 C2 ne se désintègre, l’éjectant sous la violence du choc. Premier sur les lieux de l’accident, il place le pilote québécois sous respiration artificielle avant qu’il soit héliporté à l’hôpital de Louvain. Mortellement blessé, Gilles Villeneuve y décède le jour même dans la soirée, débranché par Watkins avec l’accord de Joann Villeneuve, femme du défunt pilote.

Un mois plus tard, il est confronté à un nouveau drame lors du Grand Prix du Canada. Didier Pironi cale au départ, et le débutant Ricardo Paletti percute sa Ferrari à près de 200 km/h. Le Français tente alors de dégrafer le harnais de l’Italien, tandis que Watkins soulève la visière et s’aperçoit que les paupières de Paletti sont closes : un très mauvais signe. Quelques secondes plus tard, l’Osella s’enflamme, achevant son pilote déjà gravement blessé. Watkins s’en sort avec de légères blessures aux mains mais essaiera malgré tout d’opérer une trachéotomie pour essayer de sauver le jeune pilote Italien.

En 1985, il est gratifié d’un trophée offert par l’ensemble des pilotes lors du briefing du Grand Prix de Grande-Bretagne. Il y est inscrit « To the Prof, our thanks for your invaluable contribution to Formula 1. Nice to know you’re there. » (Nos remerciements à vous, Professeur, pour votre contribution inestimable à la Formule 1. C’est fantastique de savoir que vous êtes avec nous). Un an plus tard, c’est lui qui s’occupe de Frank Williams : le chef de l’écurie éponyme vient d’être victime d’un terrible accident de la circulation et souffre de la colonne vertébrale. Il en restera paralysé à vie.

Lors de la saison 1987, un « clash » l’oppose à Nelson Piquet. Le Carioca est victime d’un terrible accident lors des essais où il percute le mur à 300 km/h dans Tamburello. Victime d’un traumatisme crânien et de quelques autres blessures mineures, il veut malgré tout prendre le départ du Grand Prix. Il craint en effet de perdre de précieux points dans la course au titre mondial, mais Sid Watkins s’y refuse obstinément. Un nouvel accident occasionnerait des blessures bien plus graves… Furieux, Piquet essaie d’amadouer les officiels, mais Watkins réplique en se jurant de démissionner si le Brésilien peut courir. Conscients du danger, les officiels se rangent du côté du neurochirurgien et Piquet reconnaîtra après coup que cette décision était la bonne. Il en gardera des séquelles malgré tout, entre insomnies et maux de tête.

Il reviendra ainsi deux fois à Tamburello par la suite, tout d’abord en 1989 pour superviser les opérations des commissaires après l’accident de Gerhard Berger en début de course. Avant l’accident de Romain Grosjean à Bahreïn cette année, il s’agissait du dernier accident ayant occasionné l’embrasement d’une Formule 1. Cinq ans plus tard, il se retrouve sur tous les fronts lors de ce week-end noir d’Imola 1994.

Il est comme toujours le premier sur les lieux des divers accidents qui ont rendu ce Grand Prix si tristement célèbre. Si celui de Barrichello se révèle plus spectaculaire qu’autre chose (le jeune Pauliste n’est que légèrement blessé), il s’agissait d’un avertissement sans frais pour la suite. Le samedi, Roland Ratzenberger pulvérise sa Simtek dans le mur de Tosa à plus de 310 km/h. Lorsque le médecin britannique arrive sur place, le pilote est déjà placé sous respiration artificielle mais ses blessures sont trop graves (grave fracture du crâne).

Le soir même, il a une conversation avec Ayrton Senna, profondément affecté par ces deux accidents. Il lui conseille ainsi d’aller pêcher plutôt que de courir cette course qui semble maudite, pour s’apaiser. Le triple champion du monde brésilien refuse, arguant qu’il doit s’aligner au départ qu’il le veuille ou non, et la suite est connue… Watkins comprend immédiatement que Senna est perdu en voyant l’ampleur de sa blessure à la tête (causée par un triangle de suspension). Il avouera après coup que bien qu’athée, il a comme senti le moment où l’âme de Senna aurait quitté son corps, preuve de l’aura que générait ce pilote de légende.

Un an plus tard, un autre accident se terminera de façon plus heureuse grâce à son intervention. Lors des essais du Grand Prix d’Australie 1995, Mika Häkkinen est victime d’un énorme accident où il percute le mur de pneus à près de 200 km/h. Watkins sauve le pilote finlandais en réalisant une trachéotomie à même le sol pour lui permettre de respirer, ce dernier ayant avalé sa langue sous la violence du choc. Victime d’une fracture à la base du crâne et de lésions de l’oreille interne, il survit cependant à son accident. Il lui restera comme séquelles de violents maux de tête et une paralysie faciale partielle qui disparaîtront au fur et à mesure.

Il aidera encore bon nombre de pilotes au fil des ans, comme Jenson Button à Monaco en 2003. Le champion du monde 2009 pilote alors chez Bar et finit dans le mur lors des essais du vendredi. Victime d’un choc de 35G, il perd connaissance quelques instants et voit Watkins à son réveil, ce qui eut pour effet de le rassurer entre autres choses. Il fut l’un des très nombreux pilotes à lui rendre hommage pour ses actions en faveur de la sécurité des pilotes.

En dehors de son travail de médecin pour la Formule 1, il a fondé en 1992 la Brain and Spine Foundation, qui vise à aider et à accompagner les personnes victimes de troubles neurologiques ou de motricité liés à des blessures à la colonne vertébrale. Il devient président de l’Institut pour la sécurité du sport automobile nouvellement créé en 2004, et reste officiellement en poste jusqu’en 2011, où il est remplacé par Gary Hartstein.

Après avoir sauvé la vie de bon nombre de pilotes, directement ou indirectement, le professeur Eric Sidney Watkins s’éteint le 12 septembre 2012 à l’hôpital de Londres, à l’âge de 84 ans. Après son décès, beaucoup de pilotes de Formule 1 ainsi que d’autres grands noms du sport lui ont rendu un dernier hommage. Une minute de silence fut respectée en son honneur lors du Grand Prix de Singapour, et un « livre du souvenir » fut mis à disposition pour toutes celles et ceux qui souhaitaient laisser un message d’adieu. Ce livre fut ensuite remis à la famille Watkins. Sid Watkins reçut un grand nombre de distinctions, de son vivant ainsi qu’à titre posthume.

Quand on parle de légendes de la Formule 1, on pense souvent aux pilotes ou encore aux grands dirigeants d’écurie. Sid Watkins devrait pourtant lui aussi revenir avec autant de facilité à ce rang dans la discipline. Ses actions en piste ainsi que ses demandes pour améliorer la sécurité ont fait de lui un véritable ange gardien qui veille toujours sur les pilotes. Pour preuve encore aujourd’hui de son impact positif sur la discipline, la présence immédiate de la voiture médicale sur l’accident de Romain Grosjean à Bahreïn. Véritable porte-drapeau de la sécurité sur les circuits ainsi que des soins prodigués aux pilotes, il est un héros qui a réussi à marquer le sport de son empreinte pour toujours.

Fondatrice et rédactrice en chef. Amoureuse de la course et du journalisme depuis des années, le ronronnement des moteurs m'a bercée depuis ma plus tendre enfance et rythme mon quotidien. F1nal Lap a pour but de rapprocher les amoureux de la F1 au plus près du Paddock au travers d'un contenu original et recherché. F1nal Lap, la F1 comme vous ne l'avez jamais vue !

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