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Les pires Ferrari de l’histoire : la 312 B3, l’échec de la « Spazzaneve » avant l’ère T

Seule écurie présente en Formule 1 depuis 1950, la Scuderia Ferrari possède un palmarès inégalé dans la discipline. 16 titres constructeurs, 238 victoires, 9 pilotes champions du monde sur les monoplaces rouges, et des voitures iconiques comme la F2004 ou la 500 F2. Mais au milieu de tous ces titres et honneurs, la firme italienne a parfois fait des monoplaces clairement ratées. La dernière SF1000 doit ainsi ses deux podiums majoritairement au talent et à la chance de Charles Leclerc tant elle se traîne en piste. Elle est cependant loin d’être la Ferrari la plus loupée de l’histoire, comme nous allons vous le montrer ce mois-ci. Nous allons commencer par la Ferrari 312 B3 de 1973, cependant à l’origine du renouveau de l’écurie.

Au début des années 1970, Ferrari n’est plus l’ogre du début des années 1950 avec Ascari en consorts. L’écurie italienne est réduite au rang d’outsider malgré un tandem ô combien talentueux en la personne de Jacky Ickx et de Clay Regazzoni. Ignazio Giunti occupait la place de troisième pilote, mais le prometteur italien perdit la vie lors d’un terrible accident en voitures de sport à Buenos Aires début 1971. Il fut ensuite remplacé par Mario Andretti et Arturo Merzario.

Respectivement deuxième et troisième du championnat du monde 1970 derrière l’infortuné Rindt, Ickx et Regazzoni (qui avait manqué cinq des six premières manches !) ont déchanté au fil des saisons. Le Belge a ainsi tenu quatre courses dans la course au titre en 1971 avant de ne plus marquer le moindre point après sa victoire à Zandvoort. Regazzoni lui se contente de quelques podiums, tout comme en 1972. Le seul fait d’armes de la Scuderia est au Nürburgring, avec la victoire de Ickx (sa dernière en F1) devant Regazzoni, tandis que Merzario termine 12ème avec la troisième voiture. Il doit cette course à sa sixième place en Grande-Bretagne lors du Grand Prix précédent…

Si la B2 continue de courir, en coulisses la B3 est en préparation à Maranello. Elle est ainsi présentée pour la première fois à la presse lors du Grand Prix d’Italie 1972. Son design particulier et surtout son nez avant retiennent l’attention des journalistes, qui la surnommeront la « spazzaneve » (chasse-neige en italien). Initialement dévolue à Merzario pour cette course, elle ne prend finalement pas le départ, manquant encore de développement (qualifiée de « vicieuse » par Ickx et Regazzoni qui l’ont pilotée en essais).

Le fameux "chasse-neige" de Ferrari est présenté en Italie en 1972

Ce développement prend du retard, tant et si bien que Mauro Forghieri se voit écarté du poste de directeur technique par Enzo Ferrari lui-même ! Prévue pour terminer la saison 1972, la B3 ne pourra même pas être alignée pour le début de saison 1973 et Ferrari doit aligner des antiques B2 pour les premières manches en Argentine, au Brésil et en Afrique du Sud.

Il faut dire aussi que l’ambiance est délétère chez le constructeur italien. La guerre couve entre le Commendatore et Fiat, qui a racheté Ferrari à hauteur de 50% en 1969 pour sauver la marque. L’Italie elle traverse les « années de plomb », marquées par une montée de l’extrême-gauche débouchant sur du terrorisme, des attentats, une montée de la violence urbaine… Il faut ajouter à cela les grèves incessantes qui paralysent l’industrie du pays, et le départ forcé de Forghieri qui a déstabilisé l’équipe technique…

Côté pilotes, Ferrari a réussi à retenir Ickx et Merzario, alors que Regazzoni est parti chez BRM tandis qu’Andretti a décidé de ne courir qu’aux Etats-Unis. Les B2 font le travail en attendant l’arrivée de la B3, avec deux quatrièmes places pour Merzario, et une quatrième ainsi qu’une cinquième place pour Ickx. Vient alors le Grand Prix d’Espagne… et les résultats sont en chute libre. Merzario ne peut même pas courir, et Ickx termine 12ème sur la seule B3 alignée, à six tours de Fittipaldi !

La Belgique donne quelques signes encourageants, puisque Ickx se qualifie troisième et tient son rang en début de course avant de casser sa pompe à huile dans le sixième tour. Deux B3 sont enfin alignées à Monaco, mais aucune ne voit l’arrivée, victimes de leur mécanique. Ickx était pourtant troisième au moment de son abandon, tandis que Merzario naviguait en fond de classement… Pour le premier Grand Prix de Suède de l’histoire, Ickx marque le premier point de la B3 en terminant sixième au bout d’une procession : il est resté septième pendant 76 des 80 tours de course ! Merzario lui n’a une fois de plus pas couru…

Jacky Ickx au volant de sa Ferrari 312 B3
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La France sera le dernier Grand Prix montrant une B3 sous un jour convenable avant que tout vire à la farce. Ickx termine cinquième et Merzario septième, mais ce seront les derniers points de Ferrari de toute la saison. Ickx est vivement critiqué par la presse italienne, qui le juge responsable de cette déroute alors que le Belge subit les piètres performances d’une voiture ratée… Merzario ne peut en effet être tenu pour responsable : il n’a couru que deux fois depuis la quatrième manche de la saison !

Aux Pays-Bas, la situation est encore pire : Ferrari fait l’impasse sur le Grand Prix et sur le suivant en Allemagne ! Décidément rien ne va plus chez les Rouges, tandis que Gianni Agnelli en sa qualité de patron de Fiat réclame à corps et à cris le retour de Forghieri, dont l’absence fait cruellement défaut à la Scuderia. Parti chez BRM pour 1973, Regazzoni est annoncé sur le retour pour 1974, en remplacement d’un Jacky Ickx lassé d’être tenu pour responsable des déboires de la B3. Ce dernier décide alors de courir sur la Nordscheleife pour Mclaren, et il termine troisième au volant d’une M23 bien plus performante que sa calamiteuse B3…

En Autriche, seul Merzario est de retour avec la B3 remaniée, et il semble que la voiture a progressé puisque l’Italien termine à la porte des points après s’être qualifié sixième. En Italie, il abandonne après deux tours alors que Ickx termine huitième pour sa dernière course avec la Scuderia. Merzario doit donc finir la saison seul et tenter de faire ce qu’il peut avec une monoplace à la dérive, indigne des standards de Ferrari. Il ne fait absolument rien des deux dernières courses et quitte la Scuderia, remplacé par Regazzoni et Lauda, recommandé par le Tessinois qui fut son coéquipier chez BRM. Jean-Pierre Jarier aurait dû être engagé par la Scuderia, mais les Italiens se sont heurtés à un certain Max Mosley. « Godasse de Plomb » voit là la chance de sa vie lui passer sous le nez…

La 312 B3 est clairement l’un des échecs les plus retentissants de Ferrari. Avec un peu de chance, la B2 aurait pu continuer de courir et ramener plus de points ! C’est à elle que Ferrari doit sa piètre sixième place au classement constructeurs, sans quoi elle aurait sombré au neuvième rang… Mais profondément remaniée pour devenir la 312 B3-74, elle va retrouver sa place sur le devant de la scène de la Formule 1 en 1974. Ainsi, Lauda se retrouve à mener le championnat, et Regazzoni joue le titre jusque dans la dernière course face à Fittipaldi. Un véritable miracle quand on voit où en était Ferrari l’année d’avant… Le retour de Forghieri a énormément joué dans ce revirement de situation.

La B3 est la démonstration des possibles conséquences de crises internes dans une écurie de F1. Entre contexte national complexe et guerres de pouvoir doublées de mauvaises décisions, Ferrari s’est perdue dans le développement de cette voiture. Le résultat fut purement calamiteux, avec seulement trois points, deux abandons d’Ickx alors qu’il pouvait jouer le podium… et surtout un forfait pour deux courses pour perfectionner la voiture ! Une triste première pour les Italiens, qui ne se reproduira plus (les autres forfaits étant liés à des accidents mortels ou des déplacements trop onéreux en règle générale).

Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.

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