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SÉRIE – Les pilotes japonais et la course de leur vie : Nakajima dans un autre monde sous la pluie

Yuki Tsunoda est devenu en cette année 2021 le 18ème pilote japonais à prendre le départ d’un Grand Prix de Formule 1. Promis à un grand avenir après une superbe saison 2020 en Formule 2, il peut devenir le premier représentant nippon à s’imposer dans la discipline. Nombreux sont ceux qui avant lui ont tenté leur chance, sans jamais atteindre les sommets. Nous allons revenir sur la course la plus marquante de certains d’entre eux, qui ont su malgré tout se distinguer. Retour cette semaine sur Satoru Nakajima, lors d’un Grand Prix d’Australie 1989 noyé sous les eaux.

Prost-Senna : le choc des titans de McLaren est sur toutes les lèvres depuis le 22 octobre 1989. La tension entre les deux champions a atteint son climax lors du Grand Prix du Japon, alors qu’il ne restait que 5 tours à couvrir. Prost menait depuis le départ avec Senna qui filait son train, mais le Brésilien se savait obligé de gagner pour garder une chance d’être couronné. Le champion du monde 1988 a donc plongé à la chicane Casio, mais ni lui ni Prost ne veulent céder : l’accrochage est inévitable. Si le Forézien reste sur le carreau, le Pauliste repart en court-circuitant la chicane, rentre aux stands pour réparer et repasse Naninni pour gagner. Il est hélas disqualifié par Balestre pour sa manœuvre, et une guerre va se déclarer entre Senna et le président de la FISA.

Pendant que le haut de grille s’entre-déchire entre les deux grands champions, le championnat fait escale en Australie pour la dernière course de la saison. Il s’agit aussi de la dernière course de Satoru Nakajima chez Lotus. Le Japonais achève là une saison ô combien difficile avec l’écurie de feu Colin Chapman, avec aucun point marqué et trois non-qualifications ! Dominé par son triple champion du monde de coéquipier Nelson Piquet, il n’a pu faire mieux que huitième à Silverstone, alors que le Carioca compte 12 points…

Nakajima est pourtant parmi les meilleurs pilotes de l’archipel. Quintuple champion national de Formule 3000 entre 1981 et 1986 en ayant notamment battu Stefan Johansson, il accède à la Formule 1 sur le tard, en 1987. Lotus accueille Honda en tant que nouveau motoriste, mais la firme japonaise impose Nakajima comme second pilote. Ce n’est pas pour déplaire à Senna, qui se sait alors n°1 incontestable. Cela arrange aussi l’écurie anglaise en un sens, elle qui avait dû renoncer à engager Warwick l’année précédente pour complaire à Senna. Le regretté Johnny Dumfries aligné à sa place n’avait ainsi marqué que trois points sur toute la saison…

Pour un débutant de 34 ans, le Japonais signe une saison convaincante compte tenu qu’il est associé à l’un des meilleurs pilotes du monde. S’il est à des années-lumière de Senna en qualifications et en piste, il marque malgré tout sept points avec notamment une quatrième place à Silverstone. Reconduit pour la saison 1988, il s’améliore en qualifications, se plaçant sixième au Japon et au Mexique, mais ne marque qu’un point lors de la première manche au Brésil. Il est cependant handicapé par son faible niveau d’anglais, qui le gêne fortement dans la communication avec ses ingénieurs.

1989 est donc une saison compliquée pour Nakajima, avec des qualifications et des résultats en retrait. Il est toujours plus heureux que son compatriote Aguri Suzuki : ce dernier ne préqualifie jamais sa Zakspeed-Yamaha… Lotus n’étant plus motorisée par Honda mais par Judd décide de se séparer de lui, et ce Grand Prix d’Australie est pour lui sa dernière occasion de briller au volant des monoplaces anglaises.

Autant dire que les qualifications ne présagent rien de bon. Piquet ne se qualifie que 18ème, Nakajima 23ème ! Pendant ce temps, Pierluigi Martini essaie de se faire une place dans une plus grosse écurie en se qualifiant troisième avec sa Minardi, derrière les intouchables McLaren. Un véritable exploit pour la petite officine de Faenza, en progrès constants depuis quelques saisons. Martini a ainsi mené un tour au Portugal et finit cinquième, égalant le meilleur résultat de l’écurie en course.

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Mais alors que les qualifications ont eu lieu sur le sec, c’est sous le déluge que va se dérouler la course. Une pluie diluvienne s’est abattue sur Adélaïde dans la matinée, et la piste se retrouve totalement inondée. Lors du warm-up matinal, Arnoux se distingue avec sa Ligier en signant le second temps derrière Senna. Cependant, bon nombre de pilotes se font piéger et les erreurs se multiplient. De mauvais augure pour la course…

Ainsi,  Roland Bruynseraede (directeur de course), Tim Schenken (directeur de course) Thierry Boutsen et Gerhard Berger montent dans une voiture officielle pour juger de l’état de la piste. Leur constat est le même : courir dans ces conditions relève de la folie. L’adhérence est totalement inexistante, et Prost fait remarquer que les flaques sont presque impossibles à discerner. Autant dire que nombre d’accidents sont à prévoir…

Sur la grille, certains pilotes, Piquet, Prost et Berger décident de quitter leurs cockpits et de convaincre les autres pilotes de ne pas courir. La visibilité est quasiment nulle et le danger bien trop grand… Mais bon nombre de pilotes du fond de grille refusent de se joindre au mouvement. L’occasion de marquer quelques points, à une époque où seuls les six premiers sont récompensés est bien trop belle. D’autres, comme Ken Tyrrell obligent leurs pilotes à partir quoi qu’il en coûte.

Furieux, Ecclestone décide que la mascarade a assez duré et lance la procédure de départ. Berger, Ghinzani et Cheever se voient alors contraints de partir depuis le fond de grille car ils n’étaient pas dans leurs voitures ! Alliot lui part des stands à cause de ses freins. Tout est réuni pour un carnage tant redouté… qui va avoir lieu. Alors que Senna s’envole devant Prost, Naninni et Martini, les deux Ligier s’accrochent et Modena part en tête à queue dans l’herbe après un accrochage avec Nakajima qui continue sans dommage. Fidèle à ses mots, Prost abandonne à la fin de ce premier tour, atterré que la course ait lieu dans de telles conditions. La direction de course brandit ainsi le drapeau noir, Lehto ayant fini dans le mur.

La course est arrêtée et certains pilotes comme Alliot en profitent pour retrouver leur position de départ. Prost lui refuse de prendre ce second départ, jugeant le danger trop important. Il se fait ainsi tancer par Ecclestone, qui l’accuse de lâcheté d’autant plus que le Grand Argentier a ici tous les pouvoirs. Au diable les conditions, la télévision a payé pour diffuser la course, donc celle-ci doit avoir lieu ! Larini et Alesi sont eux victimes de problèmes mécaniques. Si l’Avignonnais effectue quelques tours avant de renoncer, l’Italien ne peut même pas prendre le départ.

Senna se retrouve donc seul en première ligne et s’envole en tête, profitant du bouchon Martini. Si performants sur le sec, ses pneus Pirelli sont totalement inefficaces sous le déluge et il surnage comme il peut face à des adversaires bien plus rapides. Aucun abandon sur accident n’est à déplorer dans les six premiers tours, bien que plusieurs figures fassent leur petit effet, notamment par Alesi.

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Le premier accrochage fatal à une voiture est celui entre Berger et Alliot dans le septième tour. La Ferrari accroche la Lola-Lamborghini et percute sa roue avant-gauche, causant un double abandon. Warwick part à la faute dans le tour suivant, puis c’est au tour d’Alesi de renoncer sur panne mécanique : il était de toute manière relégué à six tours. Pirro et Mansell effectuent eux aussi des figures, heureusement sans dommages. Preuve que personne n’est à l’abri, même Senna part en tête à queue avant de se relancer sans dommage, sinon quelques secondes perdues.

Le 14ème tour est cependant fatal à plusieurs pilotes… dont Senna ! Alors qu’il écrasait la course, il a percuté Martin Brundle à pleine vitesse, aveuglé par les projections d’eau ! Les deux pilotes rentrent aux stands pour abandonner, croisant de Cesaris sur son vibreur perché. Il doit lui aussi abandonner tandis que son coéquipier Caffi a lui pris un mauvais retour de volant en s’accidentant dans le virage 10, contusionnant son poignet droit.

Trois tours plus tard, c’est Mansell qui sort de la piste et finit dans les pneus alors qu’il était troisième. L’Anglais en frappe son volant de frustration, tandis que Patrese remonte sur le podium. Dans le 20ème tour, Piquet percute Ghinzani en voulant dépasser Martini et provoque un double abandon, non sans se faire une grosse frayeur. L’une des roues de l’Osella a frôlé le casque du triple champion du monde… Il ne reste alors plus que 11 voitures en piste, alors que seuls 20 tours sur les 80 ont été parcourus ! On se demande alors qui sera capable de rejoindre l’arrivée… Et ils ne sont plus que dix lorsque Grouillard, alors neuvième, détruit sa Ligier dans le virage n°13 et se retrouve en pleine piste ! Par miracle, aucun suraccident ne sera à déplorer alors que des commissaires travaillaient sur la piste…

Après 23 boucles, Boutsen, le vainqueur du Canada est en tête devant Nannini et Patrese sur la seconde Williams. Cheever est un brillant quatrième, suivi par un surprenant Nakajima qui semble être comme un poisson dans l’eau. Jamais il n’a été à pareille fête cette saison, et sa course est aussi discrète que brillante. Accidenté au premier départ, Lehto est sixième, devant Martini à la peine avec ses Pirelli inefficaces, Pirro, Gugelmin et Modena. Le classement évolue encore car Cheever est à la peine avec son moteur et se voit doublé par Nakajima et Lehto, qui casse le sien dans le 29ème tour.

Le Japonais réalise la course de sa vie. A la surprise générale, il est le pilote le plus rapide en piste et n’ayant plus rien à perdre, part en chasse de Riccardo Patrese pour ce qui serait son premier podium, le premier également d’un Japonais en Formule 1. Il reprend ainsi en moyenne une seconde au tour au Padouan, tandis que derrière lui Pirro finit par doubler Martini, toujours autant à la peine et que Cheever abandonne sur casse moteur.

Le duel Patrese-Nakajima est le seul intérêt de la fin de course. Plus personne ne tente quoi que ce soit au fur et à mesure que la fin de course approche, craignant de tout perdre sur une faute stupide. Seul le Japonais reste à l’attaque, se rapprochant dangereusement du podium. Il est hélas gêné à plusieurs reprises par Modena et Martini… alors qu’il n’y a plus que huit voitures en piste, dont trois devant lui. C’est dire si ces deux-là apprécient peu de se faire dépasser… Il parvient malgré tout à signer un tour en 1.38.480, qui restera le meilleur tour en course pour deux dixièmes face au 1.38.685 de Patrese.

Thierry Boutsen signe ainsi son deuxième succès en Formule 1 sous le déluge, ce qui lui assure la cinquième place du championnat pilotes. Il devance Alessandro Nannini, qui reste ainsi sur 15 points marqués en deux courses, deux de moins que sur tout le reste de sa saison ! Troisième, Patrese prend la troisième place du classement pilotes à Mansell et termine meilleur des autres derrière les pilotes McLaren. Quatrième, Satoru Nakajima réalise la meilleure course de sa carrière et devient le premier Japonais à réellement signer un meilleur tour en course. Masahiro Hasemi avait été crédité du tour le plus rapide à Fuji en 1976… en étant dépassé par trois voitures dans ladite boucle. Cinquième à deux tours, Emmanuele Pirro marque ses premiers points en F1, devant Martini qui sauve un point à trois tours, Gugelmin à quatre tours et Modena, bon dernier avec six boucles de retard ! Avec Nakajima et Pirro dans les points, ce ne sont pas moins de 29 pilotes différents qui ont réussi à signer un top six au cours de la saison 1989, un record qui n’est pas prêt de tomber. On pouvait en effet à cette époque compter jusqu’à près de 40 engagements par course…

Malgré ses 36 ans, Satoru Nakajima reste un pilote attractif et capable par moments d’aller chercher de belles performances. Il a surtout avec lui le soutien de Honda ainsi que d’Epson, et son magnifique Grand Prix d’Australie lui permet entre autres de signer chez Tyrrell en 1990. Il parvient à marquer cinq points en deux saisons avant de mettre un terme à sa carrière en 1991, à 38 ans non sans briller une dernière fois sous la pluie lors du Grand Prix de Saint-Marin en pointant un temps quatrième.

Sa reconversion en tant que directeur d’écurie en Formule Nippon est une réussite, avec une structure qui deviendra l’une des références du championnat. Son fils Kazuki Nakajima a connu une courte carrière en Formule 1, avant de gagner trois fois les 24 Heures du Mans entre 2018 et 2020.

Pilote arrivé sur le tard en Formule 1, Satoru Nakajima était clairement doté d’un certain talent pour la conduite. Sa réussite plus marquée sous la pluie s’explique par un manque flagrant de force physique. Il expliquait ainsi être meilleur que sur le sec car la voiture devenait plus légère, plus souple à conduire. Il reste malgré tout le seul pilote japonais à avoir marqué au moins un point au cours de toutes les saisons auxquelles il aura participé. Très populaire au Japon, il reste une source d’inspiration pour bon nombre de jeunes pilotes souhaitant se lancer dans le sport automobile.

Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.

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