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|SERIE| Les porteurs d’eau : Johnny Dumfries, pour la gloire de Senna

Après cinq ans de bons et loyaux services, Valtteri Bottas va quitter Mercedes à la fin de cette saison 2021 pour rejoindre Alfa Romeo. Il garde cette image de l’éternel second, et ce malgré un talent indéniable. Il n’est cependant pas le seul pilote à avoir endossé ce costume peu envié. Comme lui, d’autres ont joué les porteurs d’eau, plus ou moins selon leur bon gré. C’est au tour du regretté Johnny Dumfries d’apparaître dans cette série, après une saison 1986 dans l’ombre de « Magic »…

Être le coéquipier de Senna n’est jamais facile pour quiconque, peu importe son talent. C’est ainsi qu’Elio de Angelis quitte Lotus fin 1985, lui qui s’est retrouvé propulsé au rang de second pilote par le Brésilien. L’Italien est pourtant loin d’être un second couteau même face à Senna, terminant à seulement cinq points grâce à une excellente régularité. Mais il ne peut rien face au talent exceptionnel de son coéquipier, qui avait notamment humilié la concurrence au Portugal. Seul Alboreto avait fini dans le même tour !

Dès la mi-saison, sa cause est entendue : soit il part, soit il sera réduit à être le faire-valoir de Senna. Lui qui avait dominé un Mansell encore trop peu gestionnaire et aux coups d’éclat aléatoires, le voici face à un diamant brut qui le réduit en cendres. C’est ainsi qu’il part chez Brabham pour la saison 1986, pour essayer d’exister sur le plateau. Lotus doit donc lui trouver un remplaçant, et le nom de Derek Warwick est celui qui ressort le plus souvent. L’Anglais sort d’une saison 1985 compliquée chez Renault après un brillant exercice 1984, et le retrait de la Régie de la F1 fait de lui un pilote convoité par l’écurie anglaise.

Mais Senna voit d’un mauvais œil son arrivée. Il faut croire que c’est la marque de nombreux champions : pour gagner, il faut gagner seul, sans avoir un concurrent sérieux dans sa propre écurie. Il essaie donc d’abord de faire venir son ami Mauricio Gugelmin, mais Lotus refuse. La diva brésilienne fait donc miroiter son départ pour Brabham grâce à l’argent d’Ecclestone, et les hommes de l’écurie du regretté Colin Chapman cèdent. Warwick peut donc se chercher un autre volant pour 1986, mais au vu du fort caractère et du talent de l’Anglais nul doute que la collaboration aurait rapidement tourné à l’aigre…

Et c’est ainsi qu’un aristocrate en remplace un autre : à l’Italien Elio de Angelis succède le Britannique John Colum Crichton-Stuart, marquis de Bute, qui court sous le pseudonyme Johnny Dumfries. Sur le papier, il semble être capable de pouvoir briller en course, vu qu’il a succédé à Senna au palmarès du championnat britannique de Formule 3. Il avait notamment battu le Brésilien en 1983 en F3 Européenne, mais ses débuts en Formule 3000 Internationale ont été… compliqués. Avec un seul point marqué, il est licencié à la mi-saison par son écurie, une certaine Onyx gérée par Mike Earle. Ephémère pilote essayeur chez Ferrari, personne ne donne cher de sa peau.

Le premier Grand Prix donne le ton : à domicile, Senna signe la pole et termine second derrière Mansell, alors que Dumfries se retrouve dans le ventre mou du peloton. Il se qualifie certes onzième… mais à quatre secondes du Pauliste ! Un temps cinquième, il est victime d’un cafouillage au stand Lotus et ne termine que neuvième, non sans avoir montré de belles choses. Senna a de quoi être satisfait : ce jeune aristocrate n’aura aucune chance de le confronter.

En Espagne le constat est le même : Senna signe la pole et gagne (pour 14 millièmes de seconde !) devant Mansell, alors que Dumfries part 10ème (à 3,5 secondes du Pauliste) et abandonne sur casse mécanique alors qu’il était cinquième, mais à un tour… Hors du coup à Imola, il subit sa pire humiliation de la saison à Monaco : il ne signe que le 22ème temps à plus de cinq secondes et ne se qualifie pas ! Il est même derrière l’Osella de Ghinzani, qui est pourtant loin d’être un foudre de guerre…

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Les courses se suivent et se ressemblent pour le pauvre Dumfries, qui passe son temps à essayer de se rapprocher de Senna en jouant les porteurs d’eau comme voulu par le Brésilien. En Belgique, il abandonne rapidement alors qu’il avait signé un superbe départ pour remonter en cinquième position. Au Canada, il se retrouve avec une Lotus 98T à peine conduisible, et se sort avec Johansson en début de course. A Détroit, il termine septième après une course discrète, à la porte des points.

Et preuve supplémentaire que Lotus se fiche éperdument de lui, il apprend son licenciement en Allemagne, alors qu’il s’agit de la 10ème des 16 manches du championnat ! L’écurie anglaise a décroché un contrat de fourniture moteur avec Honda, et accepte de placer Satoru Nakajima dans la seconde voiture en contrepartie. Pilote populaire dans son pays, non dénué de talent mais totalement inconnu en Occident, tout le monde s’accorde à dire que Senna n’en fera qu’une bouchée. Un argument supplémentaire pour retenir le Pauliste un an de plus…

Mais lors de la course suivante en Hongrie, il réalise ce qui reste son meilleur Grand Prix de la saison. Il se qualifie tout d’abord en huitième position à seulement deux secondes de Senna pour ce qui reste la meilleure qualification de sa carrière. En course, il profite des déboires de Rosberg et Prost pour pointer en quatrième position vers le 20ème tour avant d’être doublé par Berger. Profitant de l’abandon de l’Autrichien mais doublé par Johansson, il termine donc cinquième et marque ses premiers points en Formule 1… mais à deux tours de Piquet et Senna, qui se sont livré un duel homérique pour la victoire.

Il aura donc fallu 11 manches à Dumfries pour hisser sa Lotus dans les points, mais le constat est terrible : il est 12ème à égalité de points avec Fabi et Patrese avec ces deux points, alors que Senna est second avec 48 points, sept unités derrière Mansell ! Et pour ne pas aider, les cigarettes John Player Special décident de stopper leur sponsoring. Ces derniers apprécient peu l’intrusion d’Honda dans l’équipe…

Après plusieurs courses sans relief, Dumfries achève son calvaire en Australie. Senna a connu un gros passage à vide et ne joue plus rien, mais reste encore et toujours le numéro 1 incontesté. Certains en oublient presque l’Anglais, qui a été d’une discrétion plus qu’exemplaire… Il ne se qualifie que quatorzième, mais bénéficie pour cette course d’une caméra embarquée installée à côté de son casque. Au moins pourra-t-on le voir à l’œuvre et se rappeler un peu de lui.

Parti prudemment alors qu’il était coutumier des bons départs, il fait une course discrète mais solide. Il profite parfaitement des incidents de course en tête et parvient à se débarrasser d’Arnoux pour aller chercher la sixième place, synonyme de troisième et dernier point. Au moins marque-t-il au contraire de Senna, qui a eu d’insolubles problèmes moteur. Pour l’anecdote, il parvient même à tourner plus vite en course qu’en qualifications !

C’est finalement sur une bonne note que Dumfries quitte la Formule 1 pour de bon et se reconvertit avec succès en Sport-Prototypes. Avec Jaguar, il remporte même les 24 Heures du Mans 1988 avec Andy Wallace (alors rookie sur la classique mancelle !) et Jan Lammers. Les trois hommes échouent même pour quelques kilomètres à battre le record de distance de 1971 (5332 km contre 5335 pour Marko et Van Lennep). Il mettra finalement un terme à sa carrière au début des années 1990 après avoir redoré son blason.

Devenu marquis de Bute en 1993 à la mort de son père, il le restera jusqu’à sa mort le 22 mars 2021 des suites d’un cancer, à seulement 62 ans. Pilote discret, il ne doit finalement sa courte carrière en F1 qu’aux caprices d’Ayrton Senna, qui refusait d’avoir un adversaire à sa taille comme coéquipier. On est en droit de se demander de quoi aurait pu être capable Dumfries dans une autre situation, mais il était condamné avant même le moindre tour de roue. Sa carrière post-F1 fut quant à elle couronnée de succès, rendant justice à un pilote qui méritait mieux.

Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.

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