SÉRIE – Les pilotes japonais et la course de leur vie : Indianapolis 2004, une première hors du Japon
Yuki Tsunoda est devenu en cette année 2021 le 18ème pilote japonais à prendre le départ d’un Grand Prix de Formule 1. Promis à un grand avenir après une superbe saison 2020 en Formule 2, il peut devenir le premier représentant nippon à s’imposer dans la discipline. Nombreux sont ceux qui avant lui ont tenté leur chance, sans jamais atteindre les sommets. Nous allons revenir sur la course la plus marquante de certains d’entre eux, qui ont su malgré tout se distinguer. Focus aujourd’hui sur le podium de Takuma Sato à Indianapolis en 2004, le seul d’un Japonais dans la discipline hors de Suzuka.
Pour la cinquième fois depuis 2000, la Formule 1 se rend à Indianapolis pour ce qui est la neuvième course de la saison. La course au titre semble être réduite à une procession de Michael Schumacher, toujours vainqueur excepté un abandon à Monaco. Derrière lui la bataille fait cependant rage, et son coéquipier Rubens Barrichello n’en sort pas toujours vainqueur. Mais cette fois les Ferrari sont toutes deux en première ligne devant les Bar-Honda, avec en troisième position un pilote parti pour faire la meilleure course de sa carrière : Takuma Sato.
Le sport automobile n’était pourtant pas la passion première du pilote nippon, lui qui ne se voyait pas sur quatre mais deux roues. Né en 1977 à Tokyo, ses premiers rêves sportifs sont attirés par le vélo, au point qu’il rêve de participer au Tour de France. Il serait alors le troisième cycliste de l’archipel à y participer après Kisso Kawamura dans les années 20, et Daisuke Imanaka en 1996. C’est cependant en cette année 1996 que sa carrière prend un tournant.
Il découvre le karting à seulement 19 ans, un âge où la plupart des pilotes sont aujourd’hui en F3 ou en F2, mais monte rapidement les échelons. Champion national en karting, il est ensuite lauréat du championnat Honda Suzuka Racing School en 1997. Mais à la surprise générale, il refuse le baquet du vainqueur (une saison en F3 japonaise chez Dome, l’une des meilleures écuries de la grille) pour s’exiler en Europe.
Alors qu’habituellement les jeunes pilotes japonais font leurs classes dans les championnats nationaux face à des pilotes bien plus expérimentés, Sato se retrouve lui en Formule Vauxhall pour 1998, puis en Formule Opel Euro Series la saison suivante où il termine cinquième, et fait par la même occasion ses débuts en Formule 3 britannique en fin d’année. Son ascension est fulgurante : lors de la saison 2000, il remporte cinq courses et termine troisième du championnat chez Carlin, l’une des meilleures écuries de la grille. Le top six de cette saison (excepté Tomas Scheckter, fils de Jody) courra en Formule 1 (Pizzonia, Sato, Karthikeyan, Bruni et Kiesa), le plus souvent sans résultats notables.
Il confirme cette bonne forme en 2001 en remportant le championnat avec 12 victoires devant Anthony Davidson. Entretemps, Honda a remarqué ses belles performances au point de le placer en tant que pilote-essayeur chez Bar-Honda. Fin 2001, il se voit soudainement propulsé en Formule 1 chez Jordan en compagnie de Giancarlo Fisichella. Sa saison d’apprentissage se révèle compliquée, et il est constamment dominé par l’Italien, plus expérimenté. Il l’accroche même en Malaisie, et se fait aussi remarquer en Autriche en étant violemment percuté par Heidfeld. Il sauve sa saison à domicile à Suzuka, en arrachant une sublime cinquième place.
Cela ne suffit pas à lui assurer un volant de titulaire pour 2003. Il profite cependant du licenciement de Jacques Villeneuve en fin de saison pour courir au Japon et terminer à une remarquable sixième place. Cela lui offre ainsi un volant pour la saison 2004 aux côtés de Jenson Button, qui restera la plus belle de sa carrière. Pilote offensif et rapide, il régale le public mais perd de nombreux points à cause des blocs Honda qui cassent sans cesse ! Il en est à cinq casses moteur en course dont trois consécutives lorsqu’il arrive à Indianapolis et compte seulement huit points contre 44 pour Button…
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Il est cependant qualifié troisième derrière les intouchables Ferrari, bien que ce soit Barrichello en pole cette fois. Au départ, il perd une place face à Alonso tandis que le chaos se produit derrière eux. Cristiano da Matta se retrouve au ralenti et se fait percuter de plein fouet par Christian Klien. Derrière, Pantano et Massa se retrouvent sur le carreau de même que Bruni, suspension endommagée. Quatre abandons sont déjà à déplorer car da Matta continue malgré tout, alors que la voiture de sécurité est de sortie pour les cinq premiers tours.
Michael Schumacher reprend la tête à la relance face à Barrichello, tandis que Sato reste sagement quatrième derrière Alonso, auteur d’un départ stratosphérique. Bien lui en prend, car deux tours plus tard l’Espagnol crève au bout de la ligne droite des stands et percute le mur, le contraignant à l’abandon. Sato est donc troisième derrière les Ferrari, et alors que le drapeau jaune est agité pour Alonso, un autre accident se produit dans le banking de l’ovale.
Alors que les caméras de la FOM sont fixées sur la bataille entre Coulthard, Webber et Trulli pour la huitième place, Ralf Schumacher perd le contrôle de sa Williams-BMW dans le virage de l’ovale. Victime de l’explosion d’un de ses pneus arrière, il percute le mur à plus de 290 km/h dans un accident digne de l’IndyCar mesuré à 78g. Incapable de parler à son écurie du fait que sa radio a été détruite par l’impact, il est évacué par ambulance, victime de fractures légères à la colonne vertébrale. On ne le reverra pas sur la grille avant le Grand Prix de Chine…
Pendant ce temps, bon nombre de pilotes profitent de cette longue neutralisation pour rentrer aux stands. En bon porteur d’eau, Barrichello perd un temps précieux dans l’opération : bloqué derrière Schumacher, il peine ensuite à repartir et se fait doubler par Räikkönen. Sato est lui deuxième sans s’être arrêté : tient-il enfin son premier podium ? Il croit même à la victoire, puisqu’il met la pression à Michael Schumacher dès le restart au 19ème tour, profitant d’une voiture bien plus légère. Manque de chance pour lui, la Ferrari a une meilleure traction à la sortie du virage 11, le seul où il est possible de dépasser.
Il finit donc par s’arrêter dans le 25ème tour et repart onzième, juste devant Button. Comme à son habitude, il entame sa remontée : il double Webber, Fisichella, Coulthard et Heidfeld en quelques tours à peine. Avec Räikkönen aux stands, il se retrouve sixième cinq tours plus tard ! Sa remontée s’arrête temporairement ici, mais il remonte tour après tour sur Olivier Panis, qui n’avait pas été à pareille fête depuis bien longtemps.
Cinquième au 36ème tour avec l’arrêt de Montoya, Sato double Panis quelques boucles plus tard et se retrouve quatrième, ce qui serait le meilleur résultat de sa carrière. Il s’arrête toutefois de nouveau dans le 45ème tour et repart sixième, mais repasse la Toyota de Panis deux tours plus tard après l’arrêt du Français. Et comme le malheur des uns fait le bonheur des autres, il hérite de la quatrième place après la disqualification de Juan Pablo Montoya. Le Colombien paye son changement de voiture lors de la procédure de départ…
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Et alors que Mark Webber essaie de garder le contrôle de sa Jaguar, contraint à l’abandon alors qu’il était sixième, Sato met la pression sur Trulli. Le Japonais sait qu’il tient là une chance unique d’aller signer son premier podium en F1, et la FOM rate leur passe d’armes à se concentrer sur l’infortuné Webber. Sur le coup, on voit simplement Trulli repartir après ce qui semble être une sortie de piste, ce qui est confirmé par le ralenti. La BAR-Honda et la Renault ont toutes deux viré dans l’herbe dans le premier virage, mais la monoplace française est partie en tête-à-queue, contrairement à la voiture japonaise.
Dès lors, Takuma Sato n’a plus qu’à assurer un podium historique, le second d’un Japonais dans la discipline derrière les intouchables Ferrari. Toutefois, certains pensent que sa décision de ne pas s’arrêter derrière la safety-car lui a coûté très cher, au point qu’il aurait peut-être pu gagner la course… Il devance Trulli, Panis, les McLaren de Räikkönen et Coulthard, reléguées à un tour mais dans les points… et la Minardi de Baumgartner ! Le Hongrois est certes relégué à trois tours, mais il marque les premiers points de Minardi depuis plus de deux ans, et devient le premier pilote de son pays à marquer un point dans la discipline.
Avec une telle performance, il était logique de penser que Sato continuerait sur cette lancée, mais ce podium reste le seul de sa carrière. Malgré une belle fin de saison 2004 avec des arrivées régulières dans les points, il ne retrouvera plus jamais les sommets. Plombé par une saison 2005 cauchemardesque avec un seul point marqué, il est viré par Honda et doit son salut à l’arrivée de l’écurie Super Aguri. Après, peut-on parler de salut à courir au volant d’une Arrows A23 de 2002 (!) modifiée pour correspondre au règlement 2006 ? Après une saison 2007 un peu plus brillante (avec une incroyable sixième place au Canada et un dépassement sur Alonso en fin de course !), l’écurie disparaît après le Grand Prix d’Espagne 2008.
Takuma Sato se reconvertit alors en IndyCar à partir de 2010, et devient l’un des principaux animateurs du championnat. Il rentre dans l’histoire en 2017 en devenant le premier pilote japonais à remporter les 500 Miles d’Indianapolis, performance qu’il réédite en 2020 après avoir terminé 3ème en 2019. Ses performances en championnat sont cependant plus modestes, avec une 8ème place en 2017 comme meilleur résultat. Avec 90 Grands Prix disputés, Takuma Sato compte parmi les pilotes japonais ayant disputé le plus grand nombre de courses en Formule 1, Rapide, combattif, fougueux, le natif de Tokyo a su briller aux yeux des observateurs, mais a commis de nombreuses erreurs en course. Ce Grand Prix des Etats-Unis 2004 montre cependant qu’avec un peu de sagesse et de chance, et malgré une mauvaise stratégie, il pouvait aisément jouer les premiers rôles en course. Ses victoires à Indianapolis n’en sont qu’une confirmation.
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Pierre Laporte
Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.