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SÉRIE•Les GP d’Espagne | 1981, la der de Villeneuve

C’est officiel : le Grand Prix d’Espagne est maintenu jusqu’en 2026 suite à la reconduction de son contrat. Rendez-vous régulier du championnat du monde depuis les années 80, il a connu plusieurs théâtres avant de se fixer à Barcelone en 1991. Il a cependant eu lieu pour la première fois en 1951, dans un pays encore soumis à l’autarcie franquiste. Nous allons ce mois-ci revenir sur quelques-unes des éditions les plus marquantes du Grand Prix. Retour cette semaine en 1981, sur la sixième et dernière victoire de Gilles Villeneuve en Formule 1.

Gilles Villeneuve n’en finit plus d’être la coqueluche du public. Son style agressif oscillant entre l’art et la folie ne cesse de conquérir les fans, qui y voient pour certains la quintessence du pilote automobile ultime. Il vient encore de démontrer tout son talent à Monaco lors de la manche précédente en allant chercher une victoire totalement inespérée. Bien qu’il la doive à l’abandon de Piquet et aux problèmes moteur de Jones, elle n’en reste pas moins éclaboussée de tout son talent. Tenir la médiocre 126 CK dans les rues de la Principauté n’est pas une sinécure : son coéquipier Pironi a fini trois fois dans le rail !

Toutefois, il n’a en théorie rien à espérer au championnat du monde à moins de voir sa Ferrari transfigurée. Les Williams de Reutemann et Jones dominent le championnat en compagnie de la Brabham de Piquet, qui aurait pu gagner à Monaco sans un accrochage avec un retardataire. Toutefois, l’ambiance chez Williams est toxique à souhait. Reutemann a refusé de jouer les porteurs d’eau pour Jones, et les deux pilotes sont montés l’un contre l’autre. Piquet lui est tranquille : Rebaque est très loin de son niveau et l’écurie peut donc entièrement se consacrer à lui. Et si le Brésilien coiffait les pilotes de Grove au poteau ?

Pendant ce temps, une tradition a pris fin sans vraiment faire de bruit : celle de l’engagement de pilotes locaux pour une seule course. Emilio de Villota a voulu participer au Grand Prix, mais s’est vu refuser son ticket d’entrée, n’étant pas engagé sur toute la saison. Mais après le retard injustifié d’ATS, le RACE décide de l’autoriser à prendre la place de l’ATS de Slim Borgudd et donc de courir. Quelques heures plus tard, un télex tombe : si de Villota court, le Grand Prix est exclu du championnat du monde… L’Espagnol abandonne donc et cède sa place à ATS, finalement parvenue sur le circuit madrilène.

Nous sommes cependant loin de la fin du championnat, le Grand Prix d’Espagne n’étant que la septième manche de la saison. Reutemann est leader avec dix points d’avance sur Jones et 12 sur Piquet. Villeneuve s’est replacé en quatrième position, mais compte 22 points de retard, soit environ deux victoires et demie… Et les Williams partent favorites sur le tracé de Jarama en se qualifiant derrière le poleman Laffite. Villeneuve est septième, Piquet neuvième ! Autant dire que ce dernier aura fort à faire pour remonter.

La course se déroule dans des tribunes clairsemées avec seulement 25.000 spectateurs au rendez-vous, dont le roi Juan Carlos Ier. Le prix des places prohibitif ainsi que les menaces de l’ETA ont dissuadé bon nombre de passionnés de venir. L’organisation indépendante basque, alors à son apogée, menace ni plus ni moins que de faire sauter le circuit ! Ce dernier est par conséquent bouclé par la Guardia Civil, mais aucun incident ne sera à déplorer.

Le départ est plus animé qu’attendu. Victime de son embrayage, Laffite rate complètement son départ et se retrouve ainsi en milieu de peloton. Les Williams en profitent parfaitement et Jones boucle le premier tour en tête devant Reutemann… suivi par Villeneuve et Andretti ! Ces deux derniers ont bondi de la quatrième ligne pour gagner chacun quatre places. Toujours aussi spectaculaire, le Québécois a cependant tordu l’aileron de Prost dans la manœuvre. Déchaîné, il passe Reutemann et se retrouve second après deux tours.

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Toutefois, il peut difficilement espérer mieux. Devant lui, Jones est intouchable et aligne les meilleurs tours en course pour s’envoler en tête vers une victoire certaine. Derrière, Laffite s’échine à rattraper le temps perdu et remonte peu à peu dans le peloton. Mais dans le 14ème tour, coup de théâtre ! Jones bloque ses roues et part tout droit à Ascari, terminant son embardée dans le sable. Il est poussé et peut repartir, mais il a sombré au 16ème rang derrière Rebaque…

Voilà donc Villeneuve propulsé en tête devant Reutemann, Prost et Andretti. Beaucoup se demandent cependant si le Québécois sera capable de tenir jusqu’au bout tant le comportement de sa voiture est horrible. Seul son puissant moteur turbo et la virtuosité de son coup de volant lui permettent de tenir le rythme… Derrière lui, la Williams est cependant sujette à des problèmes de boîte. Reutemann voit sa troisième vitesse faire des siennes et ne pas s’enclencher comme il devrait. Prost est déchaîné et fond sur les deux prétendants à la victoire.

Pendant que Piquet et Andretti s’accrochent et perdent deux places au profit de Watson et Laffite, Prost offre malgré lui la victoire à Villeneuve. Dans le 29ème tour, il sort de la piste à la Ciega et s’enlise dans le sable. Il était le seul autre pilote turbo en lice pour gagner… Reutemann est en effet incapable de dépasser la Ferrari. A l’arrêt dans les virages, elle profite cependant de son incroyable cavalerie pour se mettre à l’abri en ligne droite. D’autres pilotes en profitent ainsi pour revenir, à commencer par Watson et Laffite. Quant à Jones, il continue de remonter mais ses pneus usés l’empêchent de fondre sur la tête de course.

Reutemann resterait malgré tout le grand gagnant de l’après-midi : il prendrait des points à tous ses rivaux au championnat. Jones est hors des points, et Piquet n’est que cinquième. Ce dernier se sort dans le 44ème tour et perd encore des points précieux dans la course au titre… A ce moment, Villeneuve résiste encore et toujours à Reutemann tandis que Watson et Laffite mènent toujours la chasse. Ces deux groupes devraient finir la course roues dans roues, si les deux poursuivants ne se mettent pas dans le mur : voici qu’ils se battent entre eux ! Laffite prend le dessus et mène désormais la chasse.

La situation finit par bouger vers les trois-quarts de la course. Reutemann sait que la Talbot-Ligier remonte à tire-d’aile et représente une réelle menace, mais il ne trouve toujours pas l’ouverture sur Villeneuve. Il finit par céder à Laffite dans le 62ème tour dans la courbe Nuvolari. Un peu plus loin, il est gêné par Salazar et se fait doubler par Watson qui monte sur le podium provisoire. Deux places et trois points perdus en un seul tour…

Mais Villeneuve va résister jusqu’au bout à ce peloton. Laffite a beau chercher de le dépasser par tous les moyens, il s’y casse les dents comme Reutemann avant lui. L’Argentin ne peut remonter sur Watson et voit de Angelis tenter de le dépasser ! Il y a en effet cinq voitures qui se suivent en moins de deux secondes, ce qui n’était pas arrivé en fin de course depuis dix ans et le Grand Prix d’Italie 1971. Qui plus est, ce sont cinq constructeurs différents qui se battent pour cette victoire (Ferrari, Talbot-Ligier, McLaren, Williams et Lotus). Un scénario inconcevable aujourd’hui…

Après son tour de force de Monaco, Villeneuve rentre un peu plus dans la légende avec cette victoire incroyable. Avec une 126 CK au châssis désastreux mais à la cavalerie galopante, il est allé chercher une victoire inespérée tant il était à l’arrêt dans les virages. Il joue également de chance : sa Ferrari tombe en panne dans son tour d’honneur ! Il devance Laffite, Watson qui signe le premier podium de McLaren depuis le Grand Prix d’Argentine 1979 (!), Reutemann et de Angelis. Ces cinq pilotes terminent groupés en 1,24 s ! Il faut remonter à Monza en 1971 pour trouver des écarts plus serrés : les cinq premiers étaient groupés en 0,6 s… et les quatre premiers en 0,18 s, contre 1 s ici.

Tout le monde s’accorde cependant pour saluer la victoire de Villeneuve. Enzo Ferrari le considère ni plus ni moins comme « le Tazio Nuvolari des temps modernes » ! Et quand on connaît l’estime du Commendatore pour le Campionissimo, cela donne une idée de la valeur de ce compliment… Laffite ne peut s’empêcher d’être déçu malgré tout : sans son départ raté, il aurait pu gagner ! Ce que rumine également Guy Ligier… Au championnat, Reutemann creuse légèrement l’écart en tête tandis que Villeneuve se replace quatrième à un point de Piquet. Mais sa 126 CK ne fait pas de lui un candidat au titre crédible…

Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.

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