Les super-subs de la F1 : Jean-Pierre Jarier, un essai non transformé
Dans une saison 2020 marquée par l’épidémie de COVID-19, il est un pilote qui a fait sensation sans avoir de volant de titulaire. En effet, Nico Hülkenberg a réussi à terminer deux courses dans les points sur deux départs, alors qu’il ne devait pas courir de la saison. Il n’est cependant pas le premier pilote dans ce cas, et nous allons revenir ce mois-ci sur ces « super-subs ». Sans volant pour la saison comme Hülkenberg, ou propulsés du jour au lendemain dans une écurie de pointe, ils ont pour point commun d’avoir réalisé des performances extraordinaires. Jean-Pierre Jarier ouvre donc le bal avec son engagement sans lendemain chez Lotus fin 1978.
10 septembre 1978, Monza, Italie. Le petit monde de la Formule 1 est au départ du Grand Prix d’Italie, rendez-vous traditionnel de début septembre. Mario Andretti file vers son premier titre mondial, le premier d’un Américain depuis 17 ans et Phil Hill en 1961. Il compte 13 points d’avance sur Ronnie Peterson, son coéquipier muselé au rôle de numéro 2 par Chapman. Pour rien arranger, le Suédois a décidé de partir chez McLaren pour la saison suivante, ce qui irrite fortement son patron. Après avoir cassé sa 79 au warm-up, Peterson se voit contraint de piloter une vieille 78 pour la course, sorte de punition pour sa trahison…
Le départ va hélas virer au drame par la faute du starter. Ce dernier lance la course alors que seule la première ligne (Andretti et Villeneuve) sont arrêtés sur leur emplacement. L’écart de vitesse entre ces deux pilotes et le reste du peloton crée un terrible carambolage au niveau du « goulot d’étranglement », où nombre de voitures sont impliquées. Si la plupart des pilotes en sont quittes pour de la peur, deux hommes sont plus sévèrement touchés : Vittorio Brambilla qui a reçu une roue sur la tête, et Ronnie Peterson dont les jambes sont en charpie.
La panique étant totale, ce sont les pilotes qui sortent Peterson de sa monoplace en flammes. Hunt et Regazzoni sortent le malheureux Suédois, puis sont rejoints par Depailler et Merzario, le sauveur de Lauda deux ans plus tôt sur la Nordscheleife. Le pilote Lotus est conscient, mais ses jambes sont dans un sale état, et aucun médecin n’est présent sur la piste ! Il est finalement transporté à l’hôpital de Milan, où lui sont décelées une commotion cérébrale ainsi que 27 (!) fractures. Il s’exprime pourtant de façon claire et les médecins italiens décident de l’opérer le soir même…
Le lendemain matin, la stupeur frappe le cirque de la Formule 1 qui peine à croire les nouvelles. Ronnie Peterson s’est éteint au petit matin, le lendemain de son accident. L’opération précoce des médecins de Milan a provoqué une embolie pulmonaire qui a terrassé le pilote suédois. Il est ainsi enterré quelques jours plus tard dans sa ville natale, qui voit également l’une des dernières apparitions publiques de son compatriote Gunnar Nilsson. Vainqueur à Zolder l’an dernier, il succombera à un cancer le mois suivant.
Terrassé comme tout le monde par la mort de Peterson, Chapman doit cependant lui trouver un remplaçant pour les deux dernières manches de la saison. Andretti est désormais champion du monde et Lotus détient déjà le titre constructeurs, mais l’écurie anglaise souhaite tout de même finir la saison en beauté. C’est ainsi que lui est soufflé le nom de Jean-Pierre Jarier, qui jusque là n’a signé que quelques coup d’éclats ci et là avec Shadow. Pilote rapide, il avait longtemps mené le Grand Prix du Brésil 1975 avant d’abandonner sur casse mécanique. Il est cependant réputé pour sa fragilité psychologique, ayant le besoin d’avoir son équipe entièrement acquise à sa cause pour garder le cap. Imaginez si Lauda avait été ainsi en 1977…
Dans tous les cas, il se retrouve avec une chance absolument unique de démontrer tout son talent. Alors qu’il se débattait en queue de peloton avec les ATS de l’irascible Günther Schmidt, le voilà désormais au volant de la meilleure voiture du plateau ! Il a désormais deux courses pour briller et espérer décrocher un bon volant pour 1979.
La question est de savoir si les tracés nord-américains de Watkins Glen et de Montréal vont lui permettre de rivaliser avec Andretti, voire de le vaincre. La première manche le voit se qualifier à une honorable huitième position, d’autant plus qu’il souffre atrocement des côtes. Les ingénieurs de Lotus ont ainsi oublié de lui faire un cockpit sur mesure et il doit composer avec un habitacle dessiné pour les mensurations de Peterson. Sauf que Jarier n’est pas aussi mince que le regretté Suédois…
Le début de course se révèle plus que compliqué pour « Godasse de plomb ». Bien parti et sixième à la fin du premier tour, il dégringole dans le classement aux alentours du dixième tour à cause d’une crevaison lente. N’ayant plus rien à perdre, il repart le couteau entre les dents, bien décidé à remonter dans la hiérarchie. Entre les abandons et son rythme effréné, il gagne en moyenne presque une place par tour ! Les chiffres le montrent : il passe de la 21ème position dans le 16ème tour à la cinquième place au 37ème tour ! Le Français est pied au plancher et espère encore remonter à la faveur de sa machine et des abandons.
En fin de course, Jabouille rencontre des problèmes avec sa Renault et ne peut plus tenir son rythme de course. Scheckter double le Français, mais Jarier parvient à se défaire des deux pilotes. Le voilà troisième alors qu’il ne reste que cinq tours… mais deux tours plus tard, sa remontée prend fin en même temps que sa course. Sa Lotus 79 tombe en panne d’essence et réduit à néant tous ses efforts pour rattraper le temps perdu en début de course après sa crevaison. Il est toutefois félicité par Chapman, qui est épaté par une telle performance. Jarier a désormais une seconde et dernière chance de briller : Montréal, sur les terres d’un certain Gilles Villeneuve…
C’est un tout nouveau tracé qui accueille la Formule 1, qui abandonne définitivement Mosport. Et pour marquer le coup, Jarier réalise ni plus ni moins que la troisième pole position de sa carrière ! Il arrache la position de pointe pour un centième seulement devant Scheckter, tandis que Villeneuve, le héros de tout un peuple est qualifié troisième. Chapman n’en revient toujours pas : « Godasse de plomb » montre des aptitudes tout bonnement incroyables pour ce qui est seulement son deuxième Grand Prix avec la 79 !
Loin de s’effondrer en course, il garde le bénéfice de sa pole position et s’envole en tête, humiliant Andretti entre autres à qui il prend rapidement un tour. L’Américain a perdu beaucoup de temps après une tentative de dépassement ratée sur Watson. Tour après tour, l’écart se creuse et Jarier aligne les meilleurs temps en course. Sauf accident, il va enfin décrocher sa première victoire en Grand Prix, loin devant Villeneuve qui a pris la seconde place à Scheckter…
Mais dans le 50ème tour, Jarier ralentit brutalement avant de rentrer aux stands au ralenti. Alors qu’il dominait la course jusqu’ici, une fuite d’huile endommage ses freins et le contraint à un abandon crève-cœur. Sa chance vient de passer, Andretti et Reutemann étant pilotes Lotus pour 1979. En piste, c’est tout un peuple qui se lève pour Villeneuve, qui mène à domicile la course la plus froide de l’histoire de la Formule 1 : il ne fait pas plus de 5°C ! Le Québécois de Ferrari est élevé au rang de héros national après sa victoire devant Scheckter et son coéquipier Reutemann, qui termine sa collaboration avec Ferrari sur un podium.
Dans le stand Lotus en revanche, un homme est prostré, terrassé par la douleur et la frustration. Cet homme n’est autre que Jean-Pierre Jarier, à qui la victoire était promise sans cette stupide casse mécanique… Renaud de Laborderie résume ainsi le destin du Français : « En deux courses, à Watkins-Glen et à Montréal, il a vécu un raccourci saisissant de son destin de pilote. Il a frôlé le succès, pour mieux être accablé par la suite. » En effet, jamais il n’avait tutoyé de si près les cimes du succès dans la discipline, et jamais il ne retrouvera une voiture capable de le porter aussi haut de façon régulière.
Après ces deux piges, il est recruté par Tyrrell où il pilote la 009, copie carbone de la 79 mais pas aussi performante. Il arrachera malgré tout deux podiums, mais sans pouvoir jouer la victoire. Il reste deux ans chez l’oncle Ken, avant de rejoindre la petite écurie Osella, qui se contente de faire de la figuration en fond de grille. En deux saisons, il ne marque que trois points, ceux de la quatrième place à Imola en 1982 avec seulement 14 voitures au départ et cinq classées…
Sa dernière chance de briller se présentera au Grand Prix des Etats-Unis Ouest en 1983 avec Ligier. En bataille pour la tête en début de course, il percute Rosberg qui vient d’éjecter Tambay hors-piste et de tasser Laffite contre le mur. Suspension cassée, il est contraint à l’abandon. Après une saison vierge de points chez Ligier, il prend sa retraite à la fin de cette saison 1983.
Jean-Pierre Jarier est la démonstration d’un talent gâché car ne disposant pas d’un bon matériel. Ces deux courses pour Lotus ont démontré à quel point il pouvait être rapide et capable de s’adapter rapidement à une nouvelle voiture. Une victoire aurait été ô combien méritée pour un pilote de son calibre, souvent l’ « oublié » de la French Connection des années 70/80. Il est en effet le seul à ne pas avoir gagné, à contrario de Laffite, Pironi, Depailler, Jabouille, Arnoux et Tambay. Il n’en reste pas moins un excellent pilote mésestimé, qui aurait mérité une carrière d’une autre ampleur.
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Pierre Laporte
Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.