Les Grands Prix perturbés: Afrique du Sud 1981, un championnat parallèle
À cause de l’épidémie de COVID-19 qui fait rage dans le monde entier, toute la saison 2020 de Formule 1 est compromise. Les Grands Prix d’Australie et de Monaco ont été purement et simplement annulés, tandis que d’autres ont été reportés, avec un début de saison prévu au plus tôt le 14 juin, au Canada. Ce n’est cependant pas la première fois que certains Grands Prix soient perturbés, au point parfois de virer à la farce. Retour sur le Grand Prix d’Afrique du Sud 1981, qui a débouché sur les premiers Accords Concorde.
La saison 1980 fut d’un point de vue politique plus qu’agitée sur fond de guerre entre la FISA de Balestre et la FOCA d’Ecclestone. Sportivement, seul le Grand Prix d’Espagne fut finalement impacté, et aucun boycott ne suivit durant toute la saison. Or Ecclestone continue de travailler sur son projet de championnat parallèle, afin de sauver la réglementation en vigueur (effet de sol et moteurs atmosphériques).
C’est ainsi que le 31 octobre 1980 naît la World Federation of Motor Sport (WFMS). Cependant, cette initiative se révèle être surtout un coup de bluff d’Ecclestone pour reprendre la main sur la réglementation technique. Les sponsors et les propriétaires de circuit ont refusé de suivre l’homme d’affaires britannique et restent fidèles à Balestre. C’est ainsi que de nouvelles négociations sont lancées pour trouver un nouveau compromis, car le risque de voir la Formule 1 mourir est bien réel avec une telle scission.
Un autre personnage important rentre alors dans la danse, en la personne de l’avocat anglais Max Mosley. A cette époque, il est proche de Bernie Ecclestone, et va mettre des bâtons dans les roues de la FISA pour favoriser la FOCA. Il parvient, grâce à l’aval de la Haute Cour de Londres à empêcher la FISA d’intervenir dans le calendrier de la saison de F1, et par conséquent allonge encore les négociations…
Fin janvier, Balestre parvient à réunir tous les constructeurs à Modène pour essayer de répartir les pouvoirs et rabibocher les deux camps. Ainsi, il garde avec la FISA le pouvoir sur la réglementation technique (adieu l’effet de sol, bonjour les turbos !), mais il offre à la FOCA la gestion de toute la partie financière. En bon homme d’affaires qu’il est, Ecclestone est partagé, car s’il se retrouve en contrôle de l’intégralité des revenus, les jupes vont devoir être remisées au placard…
Mais en Afrique du Sud, tout le monde s’inquiète de la situation. Le Grand Prix est prévu pour le 7 février, mais aucun accord n’a été signé, tant et si bien que l’incertitude est la plus totale sur le déroulement de la course. Un report de la course en avril est immédiatement rejeté, lié aux conditions météorologiques et au contrat signé avec la FOCA qui indique cette date du 7 février. Organiser une course illégale ou tout annuler mais perdre encore plus d’argent et avoir droit à un procès d’Ecclestone, tel est le dilemme des organisateurs.
Finalement un accord est trouvé. Balestre change l’appellation de la course en « épreuve internationale de Formule Libre » et décharge les organisateurs de toute responsabilité. Cette course va finalement être un test grandeur nature pour le championnat WFMS, qui par les accords en cours ne vivra pas plus longtemps. Les légalistes (Ferrari, Renault, Ligier, Alfa Romeo, Osella et les petits nouveaux Toleman) sont aux abonnés absents.
Ecclestone a beau être têtu, il est tout sauf stupide et sait que son projet de championnat parallèle était voué à l’échec. L’épreuve est ignorée par les journalistes, les médias, les radios… et Bernie lui-même ! C’est dire si ce championnat était bancal… Le petit Anglais sait que rien ne l’empêche de poursuivre sa folle entreprise, sauf les enjeux financiers déjà colossaux qui tuerait les deux championnats.
Le plateau au départ est cependant tout sauf ridicule. On y retrouve notamment les Williams de Jones et Reutemann, les Brabham de Piquet et Zunino (qui remplace Rebaque pour cette course), et les Lotus de de Angelis et de Mansell (qui à l’époque traîne une réputation peu élogieuse). La surprise de cette grille se trouve cependant chez Tyrrell : désargenté, l’Oncle Ken confie ainsi ses voitures à Eddie Cheever et à Désiré Wilson, la seule femme à avoir gagné en F1 (en Aurora Series l’année précédente). Pour la première fois depuis Lella Lombardi en 1976, une femme sera au départ d’un Grand Prix.
Piquet signe ainsi la pole devant les Williams et Rosberg sur la première Fittipaldi. Derrière, Wilson réalise le 16ème temps, quatre places derrière Cheever. Elle tient là une belle occasion de montrer ce qu’elle vaut derrière un volant face à des pilotes pour certains très expérimentés. La pluie s’invite cependant à Kyalami… mais certains pilotes choisissent de partir en slicks, décision juste impensable aujourd’hui ! On retrouve parmi ces casse-cous Reutemann, qui il est vrai a un excellent coup de volant…
Le départ est donné, et Piquet s’envole en tête devant de Angelis (parti en slicks) et Lammers, qui a gagné sept places ! Cependant le Néerlandais se rate en voulant dépasser l’Italien et disparaît dans les profondeurs du classement. Piquet continue de creuser l’écart mais la pluie s’en va et les slicks reprennent l’avantage, pendant que des anonymes du fond de grille comme Daly et Serra se mettent en évidence. On ne l’a jamais assez dit, mais rien de mieux que des conditions changeantes pour chambouler le classement…
Cependant la pluie ne reviendra plus à Kyalami, du moins de façon à chambouler le classement. Des pilotes comme De Angelis et Rosberg se retrouvent bien placés car ils ont su gérer l’épisode pluvieux en slicks et n’ont pas eu à repasser par les stands. Derrière, Wilson fait forte impression en signant un dépassement magnifique sur Mansell, mais dans le 51ème tour, elle sort de la piste et doit abandonner après avoir pointé en sixième position. Alors que Jones abandonne une fois les jupes de sa Williams coincées, la pluie revient en toute fin de course. Elle ne change cependant rien au classement, et voit Reutemann gagner devant Piquet, de Angelis, Rosberg, Watson et Patrese.
L’Argentin, tel Jones l’année passée en Espagne, se doute que cette victoire sera caduque, et un communiqué de la FISA confirme ses craintes le soir même. Le Grand Prix est logiquement annulé, mais Mosley revient sur ses pas et fait annuler l’interdiction de la FISA d’intervenir dans le calendrier de la saison. Ce geste consenti par Ecclestone ainsi que les diverses négociations permettent de sortir peu la F1 de la crise. C’est ainsi que le 5 mars 1981 sont établis place de la Concorde à Paris les premiers Accords Concorde. Pour faire simple, ils donnent le pouvoir sportif à la FISA et le pouvoir économique à la FOCA. C’est à compter de ce moment que Bernie Ecclestone devient le « Grand Argentier » que tout le monde connaît. Une fois les risques de scission disparus, c’est Enzo Ferrari qui les signe le 11 mars, scellant la paix entre FISA et FOCA.
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Pierre Laporte
Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.