Les sponsors originaux ou douteux : ABBA, le coup de communication aussi original qu’inefficace
L’année 1968 fut un grand tournant économique pour la Formule 1 avec l’avènement du sponsoring sur les voitures. Au fil des ans, de nombreuses marques de tous univers ont ainsi dépensé jusqu’à des millions d’euros pour apparaître sur l’une des monoplaces présentes sur la grille. Si les cigarettiers furent jusque dans les années 2000 les principaux sponsors dans la discipline, il y eut d’autres sources de financement plus originales, ou plus douteuses. Nous allons ainsi en voir quelques-unes, avec cette semaine le groupe de musique ABBA.
« Gimme Gimme Gimme », « Money Money Money », ou comment résumer en deux titres d’ABBA l’objectif visé de l’apparition du groupe comme sponsor. Il faut dire que la Formule 1 est bien la dernière chose à laquelle on pense en entendant l’un des titres de cette mythique formation suédoise, qui rythme bien des soirées depuis les années 1970. Pour comprendre comment ils en sont arrivés là, il faut raconter deux histoires, celles d’ATS et de Slim Borgudd.
Le patronyme ATS avait fait une première apparition dans le championnat du monde en 1963. Cette écurie italienne, née d’un schisme dans la Scuderia Ferrari avait été un échec cuisant. Malgré un duo Hill-Baghetti loin d’être ridicule sur le papier, la voiture est une charrette incapable de rivaliser avec les Ferrari et l’écurie disparaît rapidement.
En 1977, Penske se retire de la Formule 1 et se voit rachetée par un certain Günther Schmidt, qui est le patron d’Auto Technisches Spezialzubehör (ATS). L’entreprise est spécialisée dans la fabrication de jantes en alliage léger, ce qui constitue un lien solide avec le monde du sport automobile. Cependant, ATS ne court que très peu en 1977 vu le faible niveau de performance des Penske et se prépare pour 1978. Avec Jarier et Mass au volant, tous les espoirs sont de mise mais après des premières courses prometteuses, la voiture chute dans le classement à cause de soucis de tenue de route.
Entre 1978 et 1980, les résultats ne décollent pas malgré la conception de quatre voitures différentes. Les pilotes s’enchaînent (Stuck, Surer, Lammers…), mais seul le premier cité marque des points lors du Grand Prix des Etats-Unis Est 1979, en terminant cinquième. L’écurie ne parvient pas à déployer ses ailes malgré la présence en tant que team manager d’un certain Jo Ramirez, qui fera reparler de lui des années plus tard. Il faut dire que Schmidt est littéralement irascible, ce qui n’aide pas réellement pour aller chercher des résultats probants… Pour 1981, il n’engage d’abord qu’une seule voiture pour Jan Lammers, avant de lui adjoindre un coéquipier à partir de Saint-Marin, un inconnu au nom de Slim Borgudd.
Ce pilote suédois sorti de nulle part, ou presque, n’a pas vraiment un palmarès qui parle pour lui. Il faut dire que pilote automobile n’est que sa deuxième casquette, étant avant tout un musicien. Champion de Suède de Formule Ford 1600 en 1971 et 1972, il finance sa carrière en réinvestissant l’argent généré par ses cachets de musicien. Cette dernière semble décoller quelque peu en 1979, à la suite d’un double engagement en championnat de Suède et d’Europe de Formule 3. Champion national, il termine troisième du championnat d’Europe notamment derrière Prost. Hélas, il ne trouve pas de volant en Formule 2 et ne peut que retourner occasionnellement en Formule 3 pour ne pas perdre la main.
Mais pour cette saison 1981, il parvient à la surprise générale à obtenir un volant en Formule 1, chez ATS donc. Mais ce qui retient l’attention du plus grand nombre est le sponsor de l’ATS D4 : le groupe ABBA, ni plus ni moins ! Musicien émérite, Borgudd est ami avec nul autre que Bjorn Ulvaeus, le fondateur du célébrissime groupe suédois. Ce dernier avait notamment fait participer Borgudd sur plusieurs enregistrements en tant que batteur, et il lui permet d’accéder à la consécration ultime. Toutefois, le groupe apporte un soutien plus moral que financier, ne payant que le pilote suédois. Il espère ainsi attirer d’autres sponsors qui viendraient eux renflouer les caisses de l’écurie.
Toutefois, les Suédois ne suivent plus la Formule 1 comme auparavant. Dans les années 1970, le pays possédait deux pilotes de pointe en la personne de Ronnie Peterson et de Gunnar Nilsson, avec aussi Reine Wisell qui évoluait un ton en-dessous. Hélas, aucun des deux premiers cités ne finiront l’année 1978 en vie. Peterson décède d’une embolie pulmonaire alors qu’il est opéré de ses blessures consécutives au terrible accident au départ du Grand Prix d’Italie la même année. Quant à Nilsson, il lui est diagnostiqué plusieurs tumeurs cancéreuses après le Grand Prix du Japon 1977, auxquelles il succombera le 20 octobre 1978, à peine plus d’un mois après Peterson.
Borgudd part quelque peu avec l’idée de faire renaître la passion pour la Formule 1 en Suède, mais il n’est ni Peterson, ni Nilsson et sa voiture est loin d’être la plus rapide du plateau… Il parvient cependant à se qualifier 24ème et dernier à Saint-Marin pour 33 millièmes de seconde avant de finir 13ème, alors que Lammers ne passe pas le cut. Cependant, il échoue ensuite quatre fois à se qualifier et devient le seul pilote de l’écurie, avant de réapparaître sur la grille à Silverstone.
Parti 21ème sur la grille devant un certain Elio de Angelis, musicien comme lui mais pianiste émérite, il profite de nombreux abandons pour peu à peu remonter au classement. Il pointe ainsi au neuvième rang après 20 tours, alors que la moitié de la grille est déjà hors-course. Il devance Rosberg, Daly et Jarier, qui ne disposent pas de monoplaces plus performantes que l’ATS. En fin de course, il profite des abandons d’Andretti, d’Arnoux, de Surer et de Patrese pour remonter au sixième rang après avoir été doublé par Rebaque. Il marque ainsi son premier point en Formule 1, le troisième d’ATS et montre qu’il peut avoir sa place dans la discipline.
Hélas, ce sera sa seule performance de la saison. Il ne se qualifie jamais mieux que 20ème et ne revoit l’arrivée qu’à une seule reprise, aux Pays-Bas où il termine 10ème. Faute de liquidités suffisantes et de résultats probants, Schmidt le limoge à la fin de cette saison 1981 et le remplace par Manfred Winckelhock. ABBA n’a ainsi pas atteint ses objectifs et ne reviendra plus jamais en tant que sponsor. Qui plus est, les membres du groupe se séparent deux ans plus tard, en 1983.
Quid d’ATS et de Borgudd ? Le pilote suédois a réussi à obtenir un volant chez Tyrrell en 1982 aux côtés du jeune espoir italien Michele Alboreto. Reprenant les baguettes le temps d’un soir à Johannesburg pendant la grève des pilotes à propos de la superlicence, son partenariat avec Tyrrell ne durera que trois courses. Malgré sa septième place au Brésil, il est licencié car n’ayant plus d’argent à donner à l’écurie. Il est remplacé par Brian Henton, « trouvé » par l’Oncle Ken à Imola, sans plus de résultats. Il se reconvertit ensuite avec succès dans les courses de camions et de voitures de tourisme avant de prendre sa retraite sportive en 1997.
Quant à l’écurie allemande, elle n’a pas survécu bien longtemps au départ du musicien suédois. Winckelhock et Salazar arrachent deux cinquièmes places en 1982, qui seront les derniers points d’ATS. Les monoplaces allemandes réalisent pourtant quelques coups d’éclat comme la 5ème place de Winckelhock en qualifications à Détroit cette même année, mais ne peut transformer l’essai en course. L’aventure s’arrête en 1984, avec le mérite d’avoir lancé la carrière de Gerhard Berger qui arrachera même le point de la sixième place à Monza. Hélas, pour de sombres raisons de droits d’inscription personne ne récupèrera ce point (comme Osella avec la cinquième place de Gartner).
Schmidt retire son écurie car entre ses dettes et l’arrivée de Zakspeed, il est condamné à rapidement sombrer dans l’oubli. Il revient une dernière fois en 1988 avec Rial, autre marque spécialisée dans les jantes. Avec une voiture dessinée par Gustav Brunner, qui venait de dessiner la Ferrari de 1987, et Andrea de Cesaris, il avait de quoi espérer, mais seul le Grand Prix des USA rapportera des points à l’écurie avec une quatrième place. De Cesaris ne termine que trois courses et il est viré pour 1989, remplacé par Christian Danner. Ce dernier réalisera la course de sa vie à Phoenix, terminant quatrième en étant parti dernier, mais ne se qualifiera que quatre fois dans la saison. Gachot, Weidler, Raphanel et Foitek eux ne qualifieront jamais la voiture, et Schmidt décidera d’arrêter les frais en fin d’année.
Revoir un sponsor comme ABBA est aujourd’hui plus qu’improbable, compte tenu de la professionnalisation de la discipline. Il est aujourd’hui impensable de voir débarquer une écurie faite de bric et de broc et fonctionnant avec les moyens du bord et des sponsors parfois en défaut de paiement, ou presque… Ce sponsoring est le témoin d’un temps aujourd’hui révolu, où la volonté et un peu d’argent pouvaient assurer une place dans la plus prestigieuse des disciplines automobiles. Aujourd’hui, il en reste une voiture à la livrée plutôt réussie et l’exploit d’un musicien épris de sport automobile, capable d’aller marquer un point au volant d’une voiture en soi peu performante.
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Pierre Laporte
Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.