Les pires Ferrari de l’histoire: la 312 T5, si même Villeneuve n’en tire rien…
Seule écurie présente en Formule 1 depuis 1950, la Scuderia Ferrari possède un palmarès inégalé dans la discipline. 16 titres constructeurs, 238 victoires, 9 pilotes champions du monde sur les monoplaces rouges, et des voitures iconiques comme la F2004 ou la 500 F2. Mais au milieu de tous ces titres et honneurs, la firme italienne a parfois fait des monoplaces clairement ratées. La dernière SF1000 doit ainsi plus ses deux podiums au talent et à la chance de Charles Leclerc qu’autre chose tant elle se traîne en piste. Elle est cependant loin d’être la Ferrari la plus loupée de l’histoire, comme nous allons vous le montrer ce mois-ci. Focus cette semaine sur la Ferrari 312 T5, qui a marqué de façon abrupte la fin de l’ère T.
A la fin des années 1970, Ferrari est redevenue LA référence dans le monde de la Formule 1. Après le terrible échec de la 312 B3, Gianni Agnelli qui est alors le PDG de Fiat fait pression sur Enzo Ferrari pour redresser la Scuderia. Il obtient du Commendatore le retour de Mauro Forghieri en tant que directeur technique, son éviction ayant fortement fragilisé ce département de l’écurie. Ce dernier se remet au travail et fait évoluer en profondeur la B3, qui devient B3-74 pour la saison 1974. Ickx et Merzario sont ainsi remplacés par le revenant Regazzoni ainsi qu’un jeune autrichien de 25 ans, un certain Niki Lauda. Equipier de Regazzoni chez BRM l’an dernier, il doit sa place à deux superbes coups d’éclats à Monaco et au Canada.
La B3-74 fait revenir Ferrari au premier plan avec trois victoires, Lauda qui confirme tous les espoirs mis en lui et Regazzoni qui joue le titre jusque dans la dernière course, finalement battu par Fittipaldi. Pour 1975, Forghieri présente la Ferrari 312 T qui fait ses débuts en Afrique du Sud pour la troisième manche du championnat. Elle inaugure la série T, qui apportera sept titres et 25 victoires à la marque au cheval cabré entre 1975 et 1979. Seuls manquent les titres pilotes de 1976 (Lauda abandonnant à Fuji la course et le titre à Hunt), et les titres 1978, laissés à Lotus. Alors que Reutemann se bat comme il peut avec la T3, Andretti et Peterson écrasent le championnat avec la Lotus 79 à effet de sol. Cette technologie va être peu à peu reprise par les écuries anglaises, qui souvent y ajoutent un solide V8 Cosworth.
En 1979, Ferrari reprend les deux couronnes avec la 312 T4, voiture taillée à la serpe mais équipée d’un 12 cylindres à plat de plus de 500ch. Plus régulier, Scheckter devient le premier (et aujourd’hui seul) pilote africain champion du monde de Formule 1. Villeneuve termine second à seulement quatre points, mais ils ne se doutent pas que les beaux jours sont derrière eux…
Williams a pris la relève de Lotus comme rivale des Ferrari. L’écurie anglaise est la révélation de cette saison 1979 avec cinq victoires en fin de saison, dont quatre à mettre au crédit d’Alan Jones. Chez Renault, le moteur turbo commence enfin à faire ses preuves, et Jabouille s’impose à Dijon, une première pour un moteur turbo. C’est pourtant Arnoux et Villeneuve qui marqueront les esprits, au prix d’un duel acharné pour la seconde place à la faveur du Québécois.
Mais à la fin de cette campagne 1979 triomphale, Ferrari est dans une impasse. Elle a beau travailler sur le moteur turbocompressé, celui-ci ne sera pas immédiatement disponible. De plus, la 312 T4 n’était pas vraiment une « wing-car », ce qui la rendait éprouvante à conduire sur des tracés bosselés. Et la 312 T5 qui va courir en 1980 n’est qu’une évolution de la T4, alors que nombre d’écuries vont présenter de nouveaux modèles bien plus performants. Ferrari ne le sait pas encore, mais cette saison 1980 va être la pire de toute l’histoire du constructeur italien.
Certes, la T5 est plus rapide, mais comme elle le refera en 1991 avec les 642 et 643, l’écurie italienne s’est reposée sur ses lauriers et cette voiture est larguée d’entrée de jeu. En Argentine, les deux voitures cassent alors qu’elles jouent le podium. Au Brésil, Villeneuve réussit un petit miracle en se qualifiant troisième et en menant le premier tour de course… le seul de cette monoplace. Rapidement contraint de changer ses pneus, il remonte en septième position avant d’abandonner en vue de l’arrivée. Scheckter casse trois moteurs en trois courses, alors qu’il n’avait abandonné qu’une seule fois avec la T4…
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Une première éclaircie semble arriver à Long Beach, puisque Scheckter classe enfin une Ferrari dans les points avec une cinquième place. Villeneuve lui jouait le podium avant de s’accrocher avec Daly puis de voir sa mécanique le trahir. Dans tous les cas, les performances de la T5 sont totalement indignes de l’écurie, d’autant plus que tous les efforts de la Scuderia se concentrent sur le moteur turbo. Adieu le flat 12 et bonjour le V6 turbo en 1981 ! Quant à Scheckter, il ignore que ce seront ses seuls points de la saison…
Villeneuve marque son premier point en Belgique avec une sixième position, mais il apparaît clairement démotivé tout comme son coéquipier. Il avoue ne pas voir d’intérêt à ce résultat tant la voiture est lente et peu performante… Sa cinquième place à Monaco, à un tour du vainqueur est plus due à la cascade d’abandons au fil des tour qu’à son intrinsèque talent. Qui plus est, le Commendatore avait fait de ce Grand Prix un moment crucial de la saison : si les performances ne suivent pas, les T5 finiront de se traîner tandis que Maranello mettra les bouchées doubles sur le futur V6 turbo.
Les Grands Prix se suivent et se ressemblent désormais pour la Scuderia. Inconduisibles et désespérément lentes, les T5 ne marquent que quelques points ci et là avec un Villeneuve acharné qui sauve ce qui peut l’être, autrement dit presque rien. Il ne prend le dernier point du Grand Prix d’Allemagne que dans l’avant-dernier tour, et seuls ses départs lui permettent de figurer dans le top 10 en début de course ou presque. Scheckter lui semble avoir lâché l’affaire pour de bon et se retrouve qualifié en fond de grille… Le Sud-Africain, conscient d’être désormais dans une impasse décide de prendre sa retraite à la fin de la saison. Pour le remplacer, le Commendatore étudie plusieurs profils, dont ceux de de Angelis, Patrese et Prost.
Pendant ce temps, les T5 se traînent toujours en piste. Villeneuve fait un temps illusion à Zandvoort en pointant troisième en début de course, mais il termine finalement septième à un tour. Pour le Grand Prix d’Italie, terre sacrée des tifosi, c’est le pilote Ligier Didier Pironi qui est annoncé chez les Rouges en 1981 avec Villeneuve. On voit aussi en qualifications la nouvelle Ferrari 126 CK conçue par Forghieri, qui est la première monoplace Ferrari à moteur turbo. Toutefois, le temps de réponse de ce dernier est si long que la voiture ne prendra pas le départ : cela en dit long sur la performance du nouveau V6 à ce moment précis… En course, Villeneuve joue devant avant d’éclater un pneu à 280 km/h peu avant Tosa. Il sort miraculeusement indemne d’un spectaculaire accident, tandis que Scheckter n’est que neuvième…
Ferrari boit le calice jusqu’à la lie au Canada : Villeneuve n’est que 22ème sur la grille… alors que Scheckter ne parvient même pas à se qualifier ! C’est la première fois depuis Andretti à Monaco en 1971 que les Rouges doivent souffrir pareil affront… En course toutefois, le Québécois parvient à égaler sa meilleure performance de la saison en terminant cinquième dans le tour des vainqueurs. La dernière course de la saison à Watkins Glen ne changera rien, et même Alfa Romeo brillera plus avec Bruno Giacomelli, poleman et facile leader avant une casse mécanique.
Avec seulement huit points marqués et pour meilleurs résultats trois cinquièmes places, Ferrari n’est que 10ème au classement constructeurs. Jamais la Scuderia n’avait fini aussi bas au classement, un gouffre par rapport à la saison précédente. Elle ne devance qu’Alfa Romeo, qui sans ce problème pour Giacomelli aurait pu prendre la sixième place de ce classement. Villeneuve n’est que 14ème avec ses six petits points, et Scheckter 19ème ! Autant dire que la 126CK va devoir remonter la barre au plus vite…
Le problème majeur de cette 312 T5 fut une évolution en douceur plutôt que de profondes modifications. Ne pouvant exploiter l’effet de sol et ne possédant pas de turbo, elle s’est retrouvée larguée au bout de quelques courses au point d’errer en fond de peloton. Aussi peu performante que le fut la 312 B3 en son temps, elle est à n’en pas douter l’une des pires Ferrari jamais construites, l’enfant raté d’une dynastie jusque-là auréolée de succès. Quand même Villeneuve ne peut rien tirer d’une voiture à ce point, c’est un signe assez révélateur…
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Pierre Laporte
Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.