Les coups de Schumacher : Jerez 1997, la guerre froide revisitée
Le récent accident entre Lewis Hamilton et Max Verstappen a provoqué tout un déluge de critiques sur les réseaux sociaux. La guerre fut farouche entre partisans du Britannique et du Hollandais, notamment sur Twitter. Certains n’ont même pas hésité à qualifier ce Grand Prix de « victoire à la Schumacher ». Le Britannique a en effet bénéficié de circonstances de course favorables ainsi que de la prétendue mansuétude de la direction de course pour triompher. C’est pour nous l’occasion de revenir sur divers faits de courses montrant le septuple champion du monde allemand sous un angle peu glorieux, bien moins que ce fait de course ayant impliqué les deux prétendants au titre 2021. Pleins feux aujourd’hui sur le célèbre Grand Prix d’Europe 1997, où justice fut cette fois rendue et bien rendue.
Cette saison 1997 est placée sous des auspices quelque peu étranges au vu des transferts ayant eu lieu. Ainsi, Damon Hill a purement et simplement été remercié par Williams, et ce malgré son titre mondial ! Le voici condamné à piloter pour Arrows en compagnie de Pedro Diniz, qui malgré un coup de volant plus que correct est toujours considéré comme un pilote payant… Il est remplacé par Heinz-Harald Frentzen, ancien pilote Mercedes en Endurance en compagnie de Schumacher et Wendlinger et transfuge de Sauber.
La lutte pour le titre semble donc opposer la Ferrari de Michael Schumacher à la Williams-Renault de Jacques Villeneuve. Le Québécois est l’immense favori de cette saison 1997, après avoir réalisé une campagne 1996 couronnée de succès. Vainqueur à quatre reprises, il bénéficie en outre de la meilleure monoplace du plateau. Mais la Ferrari F310B semble en nets progrès par rapport à sa devancière, et Michael Schumacher reste double champion du monde…
La saison prend toutefois une tournure extrêmement bizarre… puisque Villeneuve et Schumacher ne se retrouvent jamais ensemble sur un podium ! Lorsque l’un des deux termine sur la boîte, l’autre abandonne ou finit au mieux quatrième… On y verrait presque une reconstitution involontaire de la guerre froide que se livraient Américains et Soviétiques des années 40 à la fin des années 80. Mieux, chacun y trouverait son rôle :
- A gauche, Jacques Villeneuve, pilote pour Williams-Renault. Né au Québec, au volant d’une monoplace britannique à moteur français, seul un drapeau américain aurait pu symboliser davantage les puissances de l’Ouest. Il faut en plus rajouter que sa monoplace est aux couleurs bleues du cigarettier sud-africain Rothmans, couleur qui sied parfaitement au pays de l’Oncle Sam.
- A droite, Michael Schumacher, pilote pour Ferrari. Né en Allemagne près de Cologne dans l’ancienne République Fédérale d’Allemagne (RFA), il ne faut pas oublier que son pays fut séparé entre RFA et République Démocratique d’Allemagne (RDA) entre 1949 et 1990 suite à la seconde guerre mondiale. La RFA était du côté américain, la RDA du côté soviétique… Sa Ferrari est elle rouge, couleur de l’Italie mais aussi du communisme, du drapeau de l’URSS frappé du marteau et de la faucille. Et il ne faut pas oublier que l’Italie fut frappée dans les années 70 par de nombreux mouvements terroristes d’extrême-gauche… Les « années de plomb » avaient alors marqué durablement l’Italie entre attentats et enlèvements.
Il ne faut cependant pas oublier malgré tout que si jamais les deux pilotes ne se croisaient jamais sur le podium, ils croisaient souvent le fer en piste. Chaque course devenait un champ de bataille où chacun démontrait sa supériorité à tour de rôle : en arrivant à Jerez, dernière manche de la saison, seul le Grand Prix d’Italie n’a vu aucun des deux belligérants à la couronne sur le podium ! Mais Villeneuve reste lui sur une stratégie ratée au Japon, forcée par une sanction de la FIA.
En Italie, le fils du grand Gilles avait oublié de ralentir sous drapeau jaune, ce qui lui avait valu une course de suspension avec sursis avec neuf courses de mise à l’épreuve. Hélas pour lui, il refait la même erreur trois courses plus tard au Japon justement, lors des essais du samedi matin suite à une panne de Verstappen dans le 130R. La sanction tombe : il est exclu du Grand Prix du Japon ! Il fait toutefois appel et peut courir, mais décide de changer de stratégie : il va rouler lentement en tête pour que tout le monde double Schumacher. Mais un Irvine en feu ruine ses plans, tant et si bien qu’il finit cinquième alors que l’Allemand de Ferrari gagne. Ce dernier reprend donc la tête du championnat avec un point d’avance après la disqualification de la Williams. Toutefois, une épée de Damoclès est posée sur la tête des deux pilotes : personne n’a oublié le duel Schumacher-Hill en 1994…
Jerez sera donc l’ultime bataille pour le titre entre deux pilotes, que tout semble opposer en apparence. Et les qualifications promettent un scénario rocambolesque à souhait. Villeneuve signe ainsi le meilleur temps en 1’21’’072. Schumacher se lance dans un tour rapide… et réalise lui aussi un chrono de 1’21’’072 ! Et comme on dit jamais deux sans trois, c’est au tour de Frentzen de tourner en 1’21’’072 ! Trois pilotes en pole dans le même millième de seconde, c’est tout simplement du jamais-vu, et Villeneuve décroche la pole vu qu’il est le premier à avoir réalisé ce temps. Il est suivi donc par Schumacher, Frentzen et Hill qui est à moins d’un dixième des trois premiers.
Les calculs pour être champion sont simples : celui qui finit devant l’autre est sacré. Villeneuve doit cependant marquer un point dans tous les cas, mais serait sacré au nombre de victoires (sept contre cinq) s’il finissait sixième et que Schumacher abandonnait ou terminait hors des points. Cependant, le départ est à l’avantage de l’Allemand qui prend la tête alors que le Québécois fait cirer ses gommes et se fait également doubler par Frentzen. Ce dernier s’écarte finalement dans le huitième tour et laisse Villeneuve partir en chasse de la couronne mondiale.
La Williams est cependant à quatre secondes de la Ferrari qui pousse pour garder la tête de la course, alors que les premiers arrêts aux stands surviennent. Schumacher reste devant Villeneuve dans le 23ème tour après l’arrêt de la Williams, mais les McLaren et Frentzen se retrouvent dans leur bataille. Ces derniers s’arrêtent dans les tours qui suivent, alors que Jean Todt est aperçu chez Sauber. Norberto Fontana, qui remplace Gianni Morbidelli blessé, est en passe de concéder un tour aux leaders…
Et cela se confirme dans le 31ème tour : l’Argentin laisse passer Schumacher mais bouchonne Villeneuve sur une bonne partie du tour, lui faisant perdre trois secondes ! Tous les moyens sont bons pour gagner… Furieux, le Québécois remet les gaz, bien décidé à vaincre cette Ferrari de malheur. La seconde salve de ravitaillements dans les 43ème et 44ème tours semble encore favoriser l’Allemand : il est devant Villeneuve qui est également derrière Coulthard, qui heureusement rentre à son tour aux stands. Le Québécois est alors en train de fondre sur la Ferrari et se lotit dans ses échappements… jusque dans le 48ème tour.
Dans la ligne droite ramenant sur l’épingle dite de « Dry Sack », Villeneuve prend l’aspiration de Schumacher, plonge à l’intérieur et surprend la Ferrari. Ni une ni deux, le pilote Ferrari donne un violent coup de volant à la Williams… mais la finalité est cette fois différente. Le Québécois parvient à prendre le virage et à continuer sa course, alors que l’Allemand est bloqué dans les graviers et contraint à l’abandon. Les réactions sont assez différentes selon de quel côté de la Manche on se trouve…
- Alors que Murray Walker s’emballe au son de « Out goes Michael Schumacher ! », Martin Brundle comprend immédiatement l’intention de l’Allemand. « That didn't work, that didn't work, Michael ! You hit the wrong part of him, my friend ! I don’t think that will cause Villeneuve a problem ! » (Ca n’a pas marché, ça n’a pas marché Michael ! Tu ne l’as pas percuté au bon endroit, mon ami ! Je pense pas que Villeneuve rencontrera des soucis !). Avec flegme et lucidité, il fait comprendre en quelques secondes que Schumacher a voulu refaire comme à Adélaïde trois ans plus tôt.
- Sur TF1, Jacques Laffite ne peut retenir sa colère sur l’instant : « Oh quel c** ! Oh me*** ! », tandis que Pierre van Vliet se contente d’annoncer l’abandon de Schumacher tout en se demandant si la Williams n’a pas été endommagée. Et alors que le journaliste belge accuse Schumacher d’avoir délibérément accroché Villeneuve une fois qu’il s’est rendu compte qu’il avait été doublé, l’ancien pilote F1 défend l’Allemand malgré tout…
Si la Ferrari est hors-course, la Williams elle est plus lente et tourne en 1’27 contre 1’25 pour les McLaren. Serait-elle blessée à mort comme celle de Hill trois ans auparavant ? Ses ingénieurs le rassurent : sa FW19 n’est que légèrement endommagée et pourra aller au bout sans problème. Toutefois, il doit garder un bon rythme car tout le monde revient sur lui… dont Irvine qui est quatrième ! Et mieux vaut éviter de croiser la route d’un pilote Ferrari aujourd’hui…
Une fois le titre assuré, il laisse passer Häkkinen et Coulthard, l’Ecossais ayant laissé filer le Finlandais afin qu’il remporte son premier Grand Prix. Les deux McLaren signent donc un doublé devant Villeneuve et Berger, qui échoue à un dixième du Québécois. Irvine est lui cinquième devant Frentzen, mais le fils du grand Gilles a réussi là où son père aurait dû avant lui : devenir champion du monde. Et comme dans la guerre froide, le bloc de l’Ouest l’a emporté, qui plus est avec les honneurs…
Schumacher se fait littéralement détruire par tout le monde après cette manœuvre aussi stupide qu’anti-sportive. Nombre de journaux veulent sa tête et vomissent leur haine à coups de titres dont il émane une forte odeur de vitriol. Si l’accident est d’abord considéré comme un vulgaire fait de course, Mosley est obligé de diligenter une enquête pour calmer l’opinion publique, et faire un exemple pour éviter pareil accident dans le futur.
Le double champion du monde allemand s’en sort finalement très bien : il est simplement exclu du championnat du monde 1997 mais garde ses victoires et son palmarès. Entre l’instinctivité de son acte, son statut de superstar et l’influence de Ferrari, il n’aurait jamais été exclu… Mais il a montré une fois de plus la part la plus sombre de son être, celle d’un pilote prêt à envoyer son adversaire dans le décor pour sauver sa couronne. Mal lui en a pris cette fois…
Un ultime coup de théâtre survient en novembre 2006, près de 10 ans après la course. Dans une interview pour un journal argentin, Norberto Fontana revient sur son dernier Grand Prix de Formule 1, celui-ci disputé à Jerez. Il confie que Jean Todt serait venu dans le motorhome Sauber avant la course pour intimer l’ordre aux pilotes (motorisés par Ferrari) de ralentir Villeneuve si l’occasion se présentait. Peter Sauber et Jean Todt ont fermement démenti les propos du pilote argentin, mais n’oublions pas que le Français était dans le stand Sauber quelques tours avant la manœuvre de Fontana… Pierre Van Vliet disait « qu’il y a quatre Ferrari dans la course », alors que Murray Walker lançait pour sa part que Ferrari offrirait une caisse de champagne à Sauber pour ce blocage ô combien litigieux… Même son de cloche au Québec où les commentateurs qualifient Sauber « d’écurie satellite de Ferrari ».
Quoi qu’il en soit, ce Grand Prix d’Europe 1997 a laissé des traces indélébiles dans l’histoire de la Formule 1. Nombre des détracteurs du Kaiser vont ainsi réutiliser à envi cette manœuvre pour tenter de le désarçonner pendant les années à suivre, et la plupart se délecteront volontiers du titre d’Häkkinen en 1998. Une fois de plus, Mister Hyde a pris la place du docteur Schumacher et terni sa réputation, qui se redorera avec la période faste de la Scuderia. Villeneuve quant à lui ne le sait pas encore, mais les belles années sont désormais derrière lui…
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Pierre Laporte
Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.