Formule 1

SÉRIE | Les courses tronquées : Monaco 1984, deux révélations pour le prix d’une

Le Grand Prix de Belgique 2021 restera à coup sûr au palmarès des courses les plus honteuses de l’histoire de la discipline. Pas de course et deux tours sous Safety Car pour attribuer la moitié des points aux pilotes. Une situation qui survient pour la sixième fois de l’histoire en 1047 Grands Prix. Retour sur les cinq autres courses au même scénario. Focus aujourd’hui sur le célèbre Grand Prix de Monaco 1984, avec les révélations des regrettés Ayrton Senna et Stefan Bellof.

Ah Monaco, ton tracé si atypique… Ce Grand Prix est aujourd’hui d’un anachronisme total avec des Formule 1 si larges qu’être à deux de front relève du funambulisme. Il est toutefois un porte-étendard du glamour propre à la discipline et jouit d’une telle aura qu’il est indissociable du sport. Nombre d’immenses pilotes s’y sont imposés, parfois à plusieurs reprises, le tout en pilotant 78 tours le long des rails sans commettre la moindre erreur. Et si parfois le circuit n’offre que des processions, la météo peut en faire une véritable loterie.

C’est exactement ce qui s’est produit lors de l’édition 1984. A cette époque, mieux vaut rouler en McLaren TAG-Porsche si l’on veut jouer la victoire. Meilleure voiture du plateau, la MP4/2 est de plus pilotée par le double champion du monde Niki Lauda, et l’étoile montante Alain Prost, vice-champion du monde en titre. Après cinq courses, Renault, Brabham et Ferrari sont impuissantes, exception faite du Grand Prix de Belgique où aucune des monoplaces de Woking n’a pu franchir la ligne. C’est donc Michele Alboreto qui s’est imposé à Zolder, près de deux ans après la disparition de Gilles Villeneuve sur ce tracé.

Nous voici donc à Monaco pour la sixième manche de la saison, et certains observateurs se demandent si les voitures à moteur atmosphérique pourront avoir une chance de briller. Enfin les voitures atmosphériques… Seul Tyrrell engage encore deux voitures à moteur naturellement aspiré pour les espoirs Stefan Bellof et Martin Brundle tandis qu’Arrows amène une ancienne A6 pour Surer. Tout le reste du plateau s’est converti au turbo après l’interdiction de l’effet de sol fin 1982. Une victoire pour Balestre face à Ecclestone…

Affiche GP Monaco 1984 © STATS F1

Bellof et Brundle sont parmi les débutants à surveiller de près avec Ayrton Senna. Le premier cité s’est fait un nom en Groupe C avec les Porsche 956, battant notamment le record de la Nordscheleife en 6’11’’15 en 1983. Les deux autres ont écrasé le championnat britannique de Formule 3 en se partageant les victoires. Pour dire à quel point ils survolaient le plateau, la seule victoire qui leur ait échappé résulte d’un célèbre accrochage entre eux à Oulton Park… Senna lui roule chez Toleman en compagnie de Johnny Cecotto, qui est passé du championnat du monde moto à la F1.

Les qualifications disputées sur le sec ne réservent que peu de surprises. Prost améliore de plus de deux secondes sa pole de l’année précédente et devance Mansell et les Ferrari. Lauda n’est que huitième, et seul Bellof a réussi à se qualifier avec sa Tyrrell atmosphérique. Il ne compte que 0,156 secondes d’avance sur Surer et 0,256 secondes sur Brundle, qui a été victime d’un gros accident lors des qualifications. Senna n’est lui que 13ème, mais nul ne se doute du scénario du lendemain…

De gros nuages planent sur le circuit de la Principauté, et tout le monde craint de voir le déluge s’abattre sur la course. La course de F3 se déroule sur le sec le samedi, et voit un certain Ivan Capelli s’imposer devant Gehrard Berger et James Weaver. Les deux premiers cités referont parler d’eux… Et voici que les intempéries noient Monaco et que la course se voit pimentée d’un nouvel élément, pour peu qu’elle ait lieu !

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Le départ est finalement donné avec 20 minutes de retard, et comme attendu la piste est humide à souhait. Imaginez-vous donc conduire entre les rails avec des monstres de presque 1000ch, sans la moindre aide au pilotage et avec une aéro loin de ce qu’elle est aujourd’hui… Au vu des conditions, Toleman tente un pari fou et fait partir Senna avec peu d’essence, si bien qu’il ne peut couvrir les 78 tours ! Il faudra espérer pour lui que le rythme soit si lent que la course soit arrêtée après deux heures…

Au départ, la première ligne s’envole bien tandis que derrière la Renault de Warwick finit dans le rail en voulant éviter Arnoux. Derrière lui, son coéquipier Tambay le percute et se brise le péroné après qu’une suspension ait perforé son cockpit. Les deux Ligier se percutent aussi mais continuent leur route, tandis que Lauda, Senna et Bellof ont réalisé des départs canons. L’Autrichien a gagné trois places, le Brésilien quatre… et l’Allemand 10 ! La pluie joue en faveur de la Tyrrell, doté d’un moteur bien plus souple.

Devant, Prost et Mansell mènent la danse, tandis que bon nombre de pilotes passent par les stands pour réparer leurs voitures. Mais dans le 11ème tour, Corrado Fabi (qui remplace son frère Teo chez Brabham) se sort au Portier. Alors que les commissaires interviennent, Prost ne peut éviter un commissaire et le blesse involontairement à la jambe. Mansell en profite pour passer et s’envoler en tête. Derrière, le Français refuse de prendre des risques inutiles et le laisse rouler sur la concurrence, tandis que derrière Senna n’en finit plus de remonter. Après une petite erreur dans ce 11ème tour où il était sixième, il a doublé Rosberg et Arnoux pour remonter sur Lauda.

Qui plus est, Mansell se sort dans Beaurivage après un aquaplanning et doit abandonner. Prudence est mère de sûreté, et le bouillant Anglais l’a appris à ses dépens… Prost récupère donc la tête devant Lauda et Senna, tandis que derrière un autre pilote se fait plus discret mais remonte lui aussi : Stefan Bellof. L’Allemand est lui sixième derrière Arnoux et Rosberg et les rattrape tour après tour… pour monter sur le podium ? Après tout Senna est bien troisième…

Dans le 19ème tour, Lauda cède à Senna et voici l’incroyable Brésilien second pour ce qui est son sixième Grand Prix ! De plus, ce dernier lâche le pilote McLaren pour revenir sur celui qui sera son plus grand rival. Alors que la pluie s’intensifie, Senna et Bellof sont comme des poissons dans l’eau et s’en donnent à cœur joie dans ces conditions dantesques. Le Brésilien remonte sur Prost au rythme de trois secondes au tour, tandis que l’Allemand est encore plus rapide juste derrière ! Ils seront ainsi les deux seuls pilotes à tourner sous les 1’55 en course.

Lauda finit par partir à la faute dans le 24ème tour et laisser Arnoux troisième, mais le pilote Ferrari a beau résister, Bellof trouve la faille et passe troisième. Mais dans le 31ème tour, devant le déluge biblique qui arrose les coureurs, Prost fait signe aux officiels d’arrêter la course tant le circuit est impraticable. Senna n’en a cure et fond sur le pilote français, mais malheureusement pour lui Jacky Ickx prend la sage décision d’arrêter la course dans le 32ème tour. Prost se gare sur la ligne tandis que Senna le dépasse et brandit un poing victorieux, croyant avoir gagné. Mais le classement retenu est celui du 31ème tour, et donne vainqueur le Français devant le Brésilien.

Ce dernier est fou de rage et laisse éclater sa colère en tous sens, s’estimant lésé et volé. Personne ne sait ce qui se passe et certaines écuries essaient de connaître l’heure d’un second départ qui n’aura jamais lieu. C’est ainsi que Prost s’impose pour la première fois à Monaco devant les deux révélations du jour, Ayrton Senna et Stefan Bellof. Mais rien ne peut consoler le Brésilien, qui se savait capable d’aller gagner son premier Grand Prix. Toutefois, l’arrêt de la course a sûrement sauvé son résultat :

Mais les fans de Senna n’en ont cure. Pour eux, il est clair et net qu’Ayrton a été volé par Ickx, au point que la fédération brésilienne le remettra en cause ! Ce dernier répliquera en mettant en avant la sécurité des pilotes, préférant arrêter le Grand Prix trop tôt que trop tard. Prost sera même accusé car proche de Jean-Marie Balestre. Et Dieu sait ce qui se passera dans quelques années… Si Arnoux se range du côté de Senna, Prost et Laffite se montrent plus mesurés et saluent la décision du Belge, alors toujours engagé en Endurance et en rallye-raid. Lui qui pilote depuis près de 20 ans sait mieux que quiconque à quel point rouler sous la pluie est dangereux. Contrairement à certains, il a vu plus d’un pilote se tuer en course…

Quoi qu’il en soit, les carrières de Senna et de Bellof sont définitivement lancées avec cette course. Mais un seul des deux aura le temps d’étaler son talent aux yeux du monde entier avant d’être frappé par la mort. Stefan Bellof perd ses points et son podium de Monaco après que Tyrrell fut convaincue de tricherie plus tard dans la saison. Arnoux est donc finalement classé troisième. Et le 1er septembre 1985, lors des 1000 kilomètres de Spa, le pilote allemand tente une manœuvre complètement insensée sur Ickx dans le Raidillon. Les deux Porsche se touchent, et si le Belge finit dans le rail en haut du virage, l’Allemand pulvérise sa 956 de face dans le mur, l’écrasant complètement. Stefan Bellof décède de ses blessures peu avant ses 28 ans, alors que Ferrari était sur les rangs pour le recruter.

Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.

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