SÉRIE – Les circuits urbains américains : Détroit, un détour oubliable dans la « Rust Belt »
C’est désormais officiel : Miami accueillera un Grand Prix dans ses rues à compter de 2022. La Formule 1 fera donc une seconde escale aux Etats-Unis avec l’épreuve disputée à Austin sur le Circuit des Amériques. Miami sera le premier GP urbain disputé sur le sol américain depuis plus de 30 ans, lui qui en a connu pas moins de cinq entre 1976 et 1991. Nous allons ainsi revenir sur ces cinq tracés, avec à l’honneur cette semaine le circuit de Détroit, honni des pilotes mais présent pendant sept ans…
La saison 1982 n’aura pas vu moins de trois Grands Prix disputés sur le sol américain, pour la seule fois de son histoire. Obsédé par son envie de monopoliser le sommet du sport automobile, Ecclestone s’exporte autant que possible aux Etats-Unis pour tenter de faire de l’ombre à l’IndyCar. Pour ce faire, il privilégie les circuits urbains dans l’esprit de Monaco, pour avoir des courses resserrées et haletantes.
C’est dans ce contexte que le Grand Prix des Etats-Unis Est revient en 1982, mais fini Watkins Glen et bienvenue à Détroit. Place forte de l’automobile américaine avant la Seconde Guerre Mondiale, la ville a hélas sombré dans la criminalité et la misère au fil des ans. La population fuit, les infrastructures tombent en miettes… à l’opposé total du luxe et de l’arrogance de Vegas ou de la beauté des côtes californiennes. C’est un coup de publicité un peu désespéré pour la ville, qui dépense pas moins de trois millions de dollars pour accueillir la discipline. Henry Ford II a ainsi apporté la majorité du financement, assurant le déroulement de l’épreuve.
Véritable relais entre la Formule 1 et les États-Unis, Chris Pook est à l’œuvre pour dessiner la piste qui sera le théâtre du Grand Prix. Hélas, la scène a été visiblement montée par des amateurs peu compétents, et les pilotes se révoltent devant l’état déplorable de la piste. Tracé sans le moindre intérêt, bitume bosselé et parsemé de plaques d’égout, échappatoires quasi-inexistants murs de pneus posés de manière presque aléatoire… Qui plus est, les Formule 1 seront les premières à rouler sur ce circuit, alors que la règle veut qu’une autre catégorie y coure au préalable. Balestre prend les choses en main et sermonne sérieusement les organisateurs, exigeant que les pilotes soient entendus d’autant plus qu’ils devront courir. Après le boycott de Monaco, les sponsors sont montés au créneau, exigeant que le Grand Prix ait lieu… L’argent avant le sport, une fois de plus.
Il faut rajouter à ce tableau déplorable nombre d’accidents et de touchettes, avec des commissaires inadéquatement formés et un week-end de course qui commence seulement le vendredi. Autant dire qu’il y aura des surprises en tout genre… Tous les pilotes le massacrent, sauf Stewart, qui comme par hasard est un employé de Ford. C’est Alain Prost qui signe la pole devant les Alfa Romeo qui profitent des nombreux virages lents du circuit pour se placer à l’avant de la grille. Winkelhock réussit lui la qualification de sa vie avec une phénoménale cinquième place, alors que Piquet ne se qualifie même pas ! Ce n’est pas tant une surprise au fond, le Carioca abhorrant Monaco et les circuits dans le même style…
Prost garde la tête au départ, mais comme craint auparavant les accidents se multiplient dès les premiers tours. Plusieurs pilotes doivent rapidement renoncer, et le drapeau rouge est brandi au début du septième tour. De Angelis et Guerrero s’accrochent en début de tour et l’Ensign du Colombien atterrit détruite en plein milieu de la piste. Derrière lui, Patrese ne peut l’éviter et finit dans les barrières, avant de voir sa Brabham prendre feu. Entre l’épave de l’Ensign qui bouche la piste et celle de la Brabham en flammes, la direction de course arrête l’épreuve pendant une heure, le temps de tout remettre en ordre.
La course est relancée mais le classement final sera obtenu par addition du temps des deux manches (les six premiers tours + le reste de la course). Reparti devant, Prost sombre dans les profondeurs du classement, et seulement 11 voitures sont classées à l’arrivée. Parti dix-septième, John Watson a réalisé une course exceptionnelle pour s’imposer devant l’Américain Eddie Cheever et Didier Pironi. Rosberg termine lui quatrième, alors que Watson prend la tête du championnat devant Pironi. Mais tout le monde préfère oublier cette piste désastreuse et espère ne jamais la revoir…
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Las, elle est de retour en 1983 à contrario de Las Vegas, qui disparaît du calendrier. Le circuit est profondément remanié pour l’occasion, d’autant plus que toutes les grandes têtes de Ford ont fait le déplacement. Détroit est en effet la dernière occasion de voir un Cosworth gagner, tant les turbos prennent le pas sur les circuits rapides. La piste a été refaite, l’épingle située en début de tour est supprimée mais rien n’y fait, le circuit est toujours aussi déplorable. Ecclestone tient cependant ici son dernier bastion outre-Atlantique : l’IndyCar prend le pas avec un plateau tout aussi attractif à des prix bien plus raisonnables… Et le projet de Grand Prix à New York s’est vu condamné par les écologistes locaux.
En piste, les turbos sont à l’avant avec Arnoux qui prend la pole devant Piquet et Tambay, alors que les meilleurs Cosworth sont en troisième ligne avec Surer et Alboreto. Toutefois, le déroulement de la course va faire la part belle aux moteurs atmosphériques. Tambay cale dès le départ et doit abandonner, tandis qu’Arnoux et Piquet s’envolent en tête. Toutefois, les deux pilotes rencontrent tous deux des problèmes qui bouleversent leur course. Arnoux abandonne suite à la rupture d’un fil de son système d’injection. Quant à Piquet, il crève sur un clou et termine au pied du podium. Après Vegas, c’est à Détroit que Michele Alboreto confirme tout son talent et s’impose devant Rosberg et Watson : un triplé Cosworth ! Quatrième, Piquet devance trois autres pilotes motorisés par Ford : Laffite, Mansell et Boutsen. Tyrrell savoure, mais ignore qu’il voit ici là dernière victoire de son écurie.
Alors que les pilotes espèrent un changement de décor, il n’en est rien et retour à Détroit en 1984, avant un détour à Dallas dont nous aurons l’occasion de reparler… Nigel Mansell expérimente la délinquance locale : il est agressé dans le Renaissance Center. Pendant ce temps, la piste est toujours aussi inintéressante et étroite, si bien que tout accident sérieux provoque une interruption de séance. En qualifications, Piquet signe la pole devant Prost et Mansell, mais le premier départ est plus qu’agité. Le Carioca est percuté par un Mansell trop pressé qui envoie aussi Alboreto dans le mur. Plusieurs autres pilotes en fond de grille s’accrochent ou reçoivent des débris, ce qui cause l’interruption de la course.
Relancée pour la distance initiale, la course voit Piquet remporter sa deuxième course d’affilée, malgré le retour de Brundle en fin de course. Le jeune anglais, vice-champion britannique de Formule 3 en titre a réalisé une magnifique course, à l’image de Bellof à Monaco pour réaliser le premier podium de sa carrière. Teo Fabi accompagne les deux hommes sur le podium après être parti 23ème ! Mais ce Grand Prix va marquer le début de « l’affaire Tyrrell ». Après la course, la Tyrrell 012 de Brundle est contrôlée comme d’habitude par Gabriele Cadringher et d’autres experts délégués par la FISA. Or, une surprise les attend au moment d’inspecter les réservoirs d’eau. Ils y trouvent en effet un liquide de couleur sombre où baignent des dizaines de billes de plomb. Tyrrell lesterait-il ses voitures après la course pour avoir un avantage en piste avec une monoplace plus légère ?
Année après année, la réputation de Détroit se confirme et personne ne supporte ce tracé abominable pour les mécaniques et les organismes. Tout le monde s’accorde à le massacrer, mais il est encore et toujours présent au calendrier. Si Rosberg s’y impose en 1985 devant les Ferrari, Senna y remporte les trois dernières éditions entre 1986 et 1988. Laffite y décroche son dernier podium en 1986, deux Grands Prix avant son terrible accident à Brands Hatch.
1988 voit également de gros accidents lors des essais, qui poussent encore plus les pilotes et cette fois la FIA à vouloir abandonner le tracé. Stefano Modena part dans le mur et percute le béton par l’arrière, ce qui lui vaut une nuit en observation. Une heure plus tard, c’est Capelli qui pirouette à plus de 200 km/h, mais cette fois une roule folle part dans les stands. Plus de peur que de mal avec quatre blessés légers et des dégâts matériels importants, mais Ecclestone est furieux. Il exige des organisateurs d’importants travaux s’ils veulent garder le Grand Prix en 1989 : refonte des stands, des infrastructures, de la piste… Pour résumer, tout est à refaire et un autre projet à Belle Isle est également évoqué.
Finalement, Détroit quitte la discipline fin 1988, au grand bonheur des pilotes qui ne supportaient plus de devoir courir dans cet enfer. Rien n’allait sur ce circuit sorti de nulle part, entre une piste en morceaux, des infrastructures à la traîne, des courses éprouvantes physiquement, un tracé sans le moindre intérêt… La liste de reproches adressable est tout bonnement interminable, mais due encore et toujours à l’argent. Ford a permis de maintenir l’épreuve pendant sept ans, sept de trop il faut croire. Détroit aura au moins le mérite de nous faire réfléchir sur la qualité des pistes conçues par Hermann Tilke…
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Pierre Laporte
Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.
Un commentaire
lionel
Perso je l’aime bien, la piste avec le recul est loin d’être la pire, notamment quand on la rejoue en sim race, d’autant qu’elle permis souvent à des micro équipes de connaître leur heure de gloire ou de signer une ultime victoire pour Tyrrell. De Cesaris étonnament y marcha pas mal en 1988 sur la Rial. Les courses étaient d’ailleurs pas si mal, en tout cas moins chiantes que Sotchi ou Abu Dhabi. Phoenix est prévu ou pas.