Les records indésirés : Martin Brundle, neuf podiums et zéro tour en tête
Au-delà du sport et de la course en elle-même, la Formule 1 représente une série de records dans divers domaines. Si certains comme Lewis Hamilton ou Max Verstappen brisent les plus prestigieux, d’autres en détiennent de moins enviables… Nous allons ainsi revenir sur ces records dont personne ne veut, en revenant cette semaine sur le baroudeur Martin Brundle.
Contrairement à l’Allemagne dans les années 2000 et à la France à la même époque, Martin Brundle arrive à point nommé pour la Formule 1 britannique. Si les écuries du Royaume (McLaren, Williams et Brabham en tête) se portent relativement bien, les pilotes eux sont quelque peu à la traîne. John Watson a perdu son unique occasion de gagner le titre en 1982, Mansell est encore bien loin de jouer les premiers rôles et Warwick, sur sa modeste Toleman a signé une superbe fin de saison, mais ne dispose pas d’un matériel pour aller jouer devant.
Tous les regards britanniques se tournent donc vers leur championnat national de Formule 3, l’un des plus relevés du monde. A cette époque, le gagner offrait presque automatiquement un volant en F1, et cette saison 1983 va voir dans premier temps une domination sans partage d’un jeune pilote brésilien du nom d’Ayrton Senna. Débarquant de la Formule Ford 2000, il signe huit pole positions, neuf victoires et six meilleurs tours en course… après seulement neuf courses ! Tout le monde se dit alors que le titre est joué…
C’est alors que Martin Brundle se met en évidence et commence lui aussi à gagner course sur course. Senna est tellement obsédé par la victoire qu’il en part à la faute et perd de précieux points, qui permettent à l’Anglais plus calme et plus régulier de se rapprocher de lui. La domination des deux pilotes est si implacable qu’il faudra un célèbre accrochage à Oulton Park (avec la Ralt du Brésilien « garée » sur le capot moteur de celle de l’Anglais…) pour que Calvin Fish devienne l’unique autre pilote à gagner une course cette saison. La stratégie de Brundle se révèle payante au point qu’il reprend la tête du championnat avant la dernière course de la saison, mais Senna la gagne et le titre avec.
C’est ainsi que les deux pilotes vont trouver un volant pour la saison 1984. Si Senna part chez Toleman et que tout le monde connaît la suite, Brundle signe lui chez Tyrrell, hélas loin de son glorieux passé. Les dernières victoires de l’Oncle Ken sont plus dues au talent de Michele Alboreto qu’à la qualité des monoplaces… De plus, les Tyrrell 012 sont toujours équipées d’un moteur atmosphérique alors que le turbo a fait ses preuves depuis plusieurs années déjà. Cependant, Brundle est associé à un autre grand espoir de la discipline, l’Allemand Stefan Bellof qui lui a fait ses gammes en Sport-Prototypes avec Ickx, Mass, Bell…
Les débuts sont cependant prometteurs bien que les deux pilotes se contentent de briller sur les circuits urbains. Brundle termine ainsi cinquième de son premier Grand Prix au Brésil, puis Bellof termine sixième en Belgique, cinquième à Saint-Marin et se met en évidence derrière Senna à Monaco, volant sur la piste comme le Brésilien pour terminer troisième. Brundle lui termine même second à Détroit, juste derrière Piquet qui a mené l’intégralité de la course. Mais la carrière de l’Anglais va connaître deux gros coups d’arrêt à seulement quelques jours d’intervalle.
En effet, les officiels de la FIA décident de contrôler la Tyrrell de Brundle, mais Gabriele Cadringher demande à contrôler le réservoir d’eau et découvre alors un liquide brunâtre ainsi que des dizaines de billes de plomb… un sorte de lest illégal ? Les voitures seraient-elles lestées en fin de course pour passer au-dessus du poids réglementaire et donc courir en-dessous des 540 kg imposés ? L’affaire Tyrrell démarre donc, et lors du Grand Prix suivant à Dallas, Brundle part à la faute lors des essais et se fracture le pied droit, ce qui le force à ne plus courir pendant au moins trois mois. Il doit ainsi attendre 1985 pour revenir en F1, car entre temps Tyrrell a été exclue du championnat du monde face au nombre d’infractions en tout genre commises par l’écurie anglaise. Pilotes et écurie perdent tous leurs points et podiums réalisés pendant la saison.
Cette saison 1985 tourne au fiasco pour Martin, qui malgré l’arrivée du V6 turbo dans la Tyrrell 014 ne fait pas mieux que trois fois septième et ne marque donc aucun point. Pis, Stefan Bellof qui réalisait de belles performances au point d’être courtisé par Ferrari se tue à Spa-Francorchamps en voulant doubler Ickx dans le Raidillon. Il est notamment remplacé par Ivan Capelli, qui termine quatrième à Adélaïde.
Pour la saison 1986, les performances de Brundle sont en progrès avec les Tyrrell 014 et 015. Il domine son équipier Philippe Streiff, espoir de la F1 française et marque 8 points avec notamment une belle quatrième place à Adélaïde pour la dernière course de la saison. Il est cependant remercié à la fin de la saison et trouve refuge chez Zakspeed pour 1987. Hélas, excepté une cinquième place à Imola, sa saison est un long chemin de croix. Sa monoplace est aussi rapide que fiable, et Brundle n’a rallié l’arrivée qu’à trois reprises…
Il décide donc de prendre une année sabbatique, faute de volant intéressant et part donc piloter en Sport-Prototypes pour Jaguar en 1988. L’expérience tourne au triomphe, puisqu’il gagne cinq fois et termine également trois fois deuxième, ce qui lui offre largement le titre de champion. Il est également appelé pour remplacer Mansell en Belgique chez Williams, et termine à la porte des points pour son seul Grand Prix de la saison.
Ses belles performances ne sont pas passées inaperçues, et il retrouve un volant de titulaire chez Brabham en 1989. De nouveau, la voiture est décevante et il ne peut se battre devant à quelques exceptions près (notamment Monaco où il termine sixième après être parti de la deuxième ligne). Malgré quatre points marqués, il quitte de nouveau la Formule 1 pour rejoindre Jaguar en Sport-Prototypes. C’est de nouveau un succès, avec en point d’orgue rien de moins qu’une victoire aux 24 Heures du Mans. 1991 marque son retour avec Brabham et une énième déception, avec pour seul résultat notable une cinquième place au Japon devant son ancien coéquipier Stefano Modena…
Ses succès chez Jaguar vont lui ouvrir des portes jusqu’alors inespérées en Formule 1. Grâce à un coup de piston de Tom Walkinshaw, également patron de Jaguar, il se retrouve au volant d’une des deux Benetton-Ford pour la saison 1992, aux côtés d’un immense espoir de la discipline en la personne de Michael Schumacher. S’il connaît un début de saison difficile avec quatre abandons en autant de courses, il va ensuite terminer dans les points à chaque épreuve, sauf au Canada où il abandonne de nouveau. Au Grand Prix de France, il signe son premier podium « officiel » (celui de Détroit 1984 lui ayant été retiré) après 91 Grand Prix, ce qui est alors un nouveau record. Carlos Sainz l’a ainsi battu lors du dernier Grand Prix du Brésil, et est devenu le premier pilote de l’histoire à courir plus de 100 Grands Prix (!) avant de monter sur la boîte pour la première fois. Martin Brundle signe ainsi cinq podiums et marque près de 40 points, faisant montre d’une grande régularité bien que moins véloce que son prestigieux coéquipier.
Il n’est cependant pas conservé pour 1993, remplacé par le vétéran Riccardo Patrese et trouve refuge chez Ligier en compagnie de son « presqu’homonyme » Mark Blundell. Les deux pilotes se retrouvent de nouveau ensemble après avoir fait cause commune chez Brabham en 1991. La monoplace française est cependant moins performante que la Benetton de l’an passé et Brundle arrache une troisième place à Imola, tout en marquant quelques points au gré des courses. Il termine sa saison avec 13 points et parvient à signer chez McLaren en 1994.
Il tient là sa deuxième vraie chance de démontrer tout son talent, mais le moteur Peugeot va donner bien du fil à retordre à lui ainsi qu’à Mika Häkkinen. Sa voiture casse régulièrement, tant et si bien qu’il signe deux podiums mais se fait dominer par son coéquipier finlandais qui lui aussi voit sa mécanique le trahir régulièrement. Il signe une saison 1995 chez Ligier marquée par une sorte de collaboration avec Aguri Suzuki : il doit laisser son volant au Japonais pour six courses, la faute à Mugen, le motoriste de l’écurie vichyssoise. Il termine malgré tout troisième en Belgique, son dernier podium en F1 et quatrième en France.
1996 marque sa dernière saison en Formule 1, et il boucle la boucle en courant avec Eddie Jordan, qui l’avait révélé 13 ans plus tôt en F3 britannique. Son premier Grand Prix en Australie est marqué par un effroyable crash en début de course, où sa voiture finit coupée en deux ! Miraculeusement indemne, il participe même à la course sur son mulet mais abandonne. Dominé par Rubens Barrichello, il ne marque que huit points mais termine malgré tout cinquième de son 158ème et dernier Grand Prix, au Japon.
Sa fin de carrière lui offre un record hélas peu glorieux, puisqu’il bat un record qui appartenait à Eddie Cheever : il devient le pilote qui a couru le plus de Grands Prix sans jamais mener le moindre tour. L’Américain en était lui resté à 132 courses sans prendre la tête… Cependant, sur la grille actuelle Carlos Sainz et Kevin Magnussen comptent 102 courses sans mener un tour, et vu la configuration actuelle du championnat il y a des chances pour que l’un des deux batte ce record un jour. Daniil Kvyat en est lui à 93 courses sans jamais mener.
Devenu commentateur pour la télévision anglaise dès 1997 et toujours en poste pour Sky Sports, Martin Brundle a connu une situation assez similaire à celle de Nico Hülkenberg par moments. Entre une écurie Tyrrell coupable de tricherie, des voitures lentes et parfois calamiteuses comme la Zakspeed, il doit surtout son salut à ses performances chez Jaguar en Sport-Prototypes qui lui ont offert un volant chez Benetton. Cette saison 1992 a démontré ses qualités mais aussi ses limites en tant que pilote, mais peut-être qu’il aurait pu mieux faire au volant d’une telle voiture au début de sa carrière. Il est également arrivé au mauvais moment chez McLaren, avec une MP4/10 peu fiable tout comme son moteur. Comme pour Hulk, il y a comme un goût d’inachevé avec un pilote qui a certes une carrière flatteuse mais qui aurait au moins mérité une victoire en égard à son talent intrinsèque.
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Pierre Laporte
Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.