Séries

Les destins brisés : François Cevert, l’élève jamais devenu maître

Le 31 août dernier, le sport automobile perdait le jeune pilote français Anthoine Hubert. Percuté dans le Raidillon de Spa à plus de 270 km/h par Juan Manuel Correa, il a succombé à ses blessures quelques heures plus tard. Il n’est hélas pas le premier pilote français à avoir été fauché en pleine ascension vers la consécration suprême. Retour cette semaine sur François Cevert, prédestiné à succéder à Jackie Stewart chez Tyrrell.

« Je dois te dire quelque chose : ce garçon n’atteindra jamais ses 30 ans. »

Cette phrase, prononcée par une voyante à Anne Van Malderen, dite « Nanou », la femme du « Prince » comme on surnommait François Cevert, a l’effet d’une bombe pour elle. Cette même voyante avait prédit leur rencontre quelques années plus tôt, et cette fois elle voyait sa mort. Hélas pour eux, sa prémonition se révèlera juste…

François Cevert n’était pas de ceux qui étaient destinés à faire carrière dans le sport automobile. Né en 1944 à Paris dans une famille de confession juive, cette dernière attendait de lui qu’il devienne un pianiste renommé, art qu’il pratique pendant plus d’une dizaine d’années. Cependant, le démon de la vitesse triomphe des grands chefs d’orchestre, et son père décide de le virer de chez lui alors qu’il a la vingtaine. Il savait pour la passion de son fils pour les sports mécaniques, et c’est peu dire que cela l’exécrait…

C’est ainsi que François se retrouve à devoir vivre de petits boulots à droite à gauche, mais la chance va frapper une première fois. En effet, le mari de sa sœur n’est pas tout à fait un inconnu, en la personne de Jean-Pierre Beltoise, alors déjà un pilote reconnu. Ce dernier convainc Cevert le motard de participer à une course à Magny-Cours. La récompense est alors une « bourse Shell » permettant de se lancer dans le sport automobile. Le résultat est sans appel : Cevert gagne le volant Shell devant un autre grand espoir du sport auto français, l’Auvergnat Patrick Depailler, et cette victoire lui ouvre en grand les portes de la Formule 3 française. Sa carrière est désormais lancée, et quelques mois plus tard, il rencontre Nanou, la seule et unique femme de sa vie sur une plage méditerranéenne. Il a alors tout l’attirail pour devenir champion du monde de Formule 1 à moyen terme.

Francois Cevert et Jean-Pierre Beltoise

Après une saison de F3 couronnée de succès, il passe à l’échelon supérieur, la F2, en 1969 au volant d’une Tecno. S’il ne termine que troisième du championnat européen, son pilotage acéré et son aisance derrière le volant commencent à attirer les regards, notamment d’un certain Jackie Stewart. L’Ecossais, alors champion du monde en titre, craignait Cevert car il savait que le Français pourrait le concurrencer sans mal à voiture égale avec de l’expérience. Jaugeant qu’il valait mieux avoir un pilote de son calibre avec soi que contre soi, il profite du départ de Johnny Servoz-Gavin pour faire venir ce jeune Parisien qui éblouit son monde. De plus, Tyrrell fait plaisir à son commanditaire, le pétrolier Elf Aquitaine en engageant un pilote français, ce qui s’avère être un coup double du plus bel effet.

Rapidement, c’est une relation assez unique qui s’installe entre les deux pilotes. Stewart est bien évidemment le n°1 de Tyrrell, mais il s’improvise également mentor de Cevert, lui offrant toute son expérience et sa science de la course. Le Français est lui n°2, mais il boit les paroles de l’Ecossais, avide d’apprendre plus d’un pilote de son calibre. Qui plus est, il est un équipier modèle, enchaînant les podiums derrière Stewart, ce qui donnera un titre constructeurs à l’Oncle Ken en 1971.

Stewart et Cervert

Les débuts sont cependant difficiles pour lui avec la March 701, puisqu’il ne marque qu’un petit point en neuf courses. Seule l’Italie lui évite de terminer la saison sans points puisqu’il y termine 6ème. Mais la Tyrrell 002 qui lui est donnée en 1971 change radicalement la donne et lui permet d’exprimer tout son talent. C’est ainsi qu’il signe son premier podium en F1 lors du Grand Prix de France au Castellet, où il termine 2ème derrière Stewart. Il réédite cette performance en Allemagne et termine 3ème en Italie à seulement 0,09s du vainqueur Peter Gethin. Mais sa plus belle performance reste le Grand Prix des USA 1971 à Watkins Glen. Suivant Stewart comme son ombre pendant les premiers tours, il passe rapidement l’Ecossais, victime d’un mauvais réglage de sa voiture qui use prématurément ses pneus. Livrant une sublime prestation, sauvé il est vrai par une casse moteur pour Ickx qui se faisait alors très menaçant, il signe ce qui restera hélas sa seule victoire en F1.

Ce succès, fêté comme il se doit par toute l’écurie Tyrrell, Stewart en tête, en fait la nouvelle coqueluche du public français. C’est la première victoire d’un pilote français depuis Trintignant à Monaco en 1958, soit plus de 13 ans d’attente ! De plus, il est le premier Français à finir dans le Top 3 du championnat du monde, à distance respectable cependant de Stewart. Mais il faut dire que le « Prince » a tout ou presque pour lui. Rapide en piste, il est à la fois jalousé et apprécié dans le paddock pour ses qualités humaines. Beau garçon cultivé, pour qui tout semble d’une facilité enfantine, mais également humble et modeste, il était de ceux dont on savait qu’un jour ou l’autre qu’ils deviendraient champions du monde.

La saison 1972 se révèle cependant plus compliquée, Emerson Fittipaldi et sa Lotus 72 prennent le pouvoir. Les Tyrrell insuffisamment fiables de Cevert et Stewart ne peuvent lutter pour le championnat, finalement remporté par le Brésilien. François doit lui se contenter de deux secondes places en F1, mais il se retrouve à piloter en Sport-Prototypes avec Matra et en CanAm également. S’il gagne à Vallelunga, sa saison avec Matra sera marqué par de nombreuses casses mécaniques, alors que bien souvent il menait la course. Il gagne également une course en CanAm, preuve s’il en est qu’il est capable de jongler entre diverses disciplines avec succès.

1973 marque l’arrivée de la Tyrrell 006 et le retour en force de l’écurie de l’Oncle Ken. Cependant, les Lotus 72 sont tout aussi affûtées, et le titre se joue alors entre Stewart et Fittipaldi. Derrière, Cevert bataille avec le coéquipier du Brésilien, un certain Ronnie Peterson, et va amasser l’incroyable bagatelle de six secondes places ! Un vrai n°2, qui ne cherche pas à concurrencer Stewart bien que cette place commence à lui peser. Ferrari l’a senti et lui a proposé un volant pour 1974, ce qui fait logiquement balancer son cœur. L’Ecossais a pourtant pour projet de quitter la F1 à la fin de cette année 1973, et de laisser Cevert prendre la relève comme n°1 de Tyrrell pour 1974, mais il ne lui en dit pas un mot. Il savait que dans ce cas le Français le laisserait gagner et il voulait justement le laisser triompher pour symboliser ce passage de témoin.

C’est ainsi qu’après des vacances aux Bahamas, les deux pilotes sont à Watkins Glen pour le dernier Grand Prix de la saison 1973, qui doit être le 100ème et dernier de Stewart en F1. Cevert lui est déterminé comme jamais auparavant, bien décidé à montrer à tous qu’il peut devenir celui qui va dominer la discipline dans les années à venir. C’est ainsi que débutent les qualifications, et prêt à tout pour aller chercher sa première pole position, il suggère de passer dans les Esses en quatrième, pour avoir plus de puissance et ainsi plus de vitesse dans la ligne droite qui suit. Stewart émet une réserve, conscient qu’il est moins risqué de les passer en cinquième, mais Cevert n’en a que faire : il veut rentrer dans la légende. C’est ainsi que la Tyrrell n°6 sort des stands quelques minutes avant la fin…

Soudain, tout le circuit se tait, frappé par un drame absolument terrible. Dans les Esses gît une voiture retournée, à moitié de l’autre côté de la barrière et partiellement détruite. Jody Scheckter, qui suivait cette voiture, tente d’aller porter secours au malheureux, mais comprend rapidement qu’il n’y a plus rien à faire. François Cevert est mort, qui plus est décapité par le rail. Beltoise est écarté par Scheckter alors qu’il veut aller voir ce qui s’est passé, le Sud-Africain préférant lui épargner cette image de son beau-frère. Amon et Stewart sont les suivants à arriver sur la scène et découvrent avec effroi la scène. L’Ecossais en fera l’annonce officielle aux médias, épargnant les détails pour les plus sensibles.

La nouvelle se répand rapidement dans le paddock, terriblement frappé par la mort du « Prince » qui jamais n’aura pu devenir roi. François Cevert vient de mourir en ce 6 octobre 1973, et personne ne saura jamais ce qu’il aurait pu accomplir tant sa voie était tracée. Helen Stewart, profondément choquée par cet accident atroce, interdit à Stewart de courir, ce qui offre le titre constructeurs à Lotus qui voit Peterson gagner la course. L’Ecossais en restera ainsi à 99 Grands Prix disputés, et malgré tout trois titres mondiaux.

La voyante avait hélas vu juste, le prodige français est décédé quelques mois avant ses 30 ans qu’il aurait célébrés le 25 avril. Le sport automobile venait de perdre là son porte-étendard, celui qui aurait dû devenir le premier champion du monde de F1 français. C’est son ancien rival Patrick Depailler qui récupèrera son volant chez Tyrrell pour la saison 1974… un autre pilote français, Auvergnat de surcroît qui connaîtra également un destin tragique.

Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.

4 commentaires

  • gauthier d'introno

    J’ai le souvenir de François Cévert en 1972, je l’ai eu comme client d’hôtel, il courait sur le circuit Paul Ricard avec son équipe. J’ai le souvenir d’un très beau garçon et sympa.
    J’ai appris sa mort en octobre 73 et j’en ai été très triste.
    Je ne l’oublierai jamais.
    AGD’I

  • Christ

    j’habite Nivelles en Belgique près de l’ancien circuit nous avons eu 2 GP de formule 1 et pendant la semaine il y avait souvent des voitures qui tournaient nous avions 12 ou 13 ans à l’époque vers 1971 voire 72 le bruit des F1 sur le circuit nous ont attirés 2 écuries de F1 faisaient des tests de va- et- vient dans les stands dans une il y avait mario andretti pour ferrari je pense et dans l’autre le regretté François Cevert j’ai pu l’observer pendant tout le temps des teste il ne sortait pas de la voiture je ne voyais que ses grands yeux magnifiques
    Quelques mois plus tard un ami ma annoncée son accident je ne le croyais pas ce n’était pas possible dans ma tête de gosse en plus les images de formule 1 à la télé étaient assez rares ,malheureusement quelques mois semaines plus tard j’ai pu le constater c’était terrible pour moi un choc je n’ai jamais oublié François

  • Yann Le Clère

    Francois Cevert était le pilote français promis une carrière fulgurante comme beaucoup d’autre pilote après la f1 comme tout autre sport automobile et mécanique est extraordinairement dangereux comme l’a prouvé l’accident tragique d’Anthoine Hubert le 31 août dernier à Spa Francorchamps. tout marchais pour le pilote français, la voiture, l’équipe bref de quoi faire une très belle performance à Watking Glen. On saura jamais clairement ce qui c’est passé le 6 octobre 1973 mais il restera comme un pilote très respecté par tout le monde.

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