Les destins brisés : Didier Pironi : si proche du titre…
Le 31 août dernier, le sport automobile perdait le jeune pilote français Anthoine Hubert. Percuté dans le raidillon de Spa à plus de 270 km/h par Juan Manuel Correa, il a succombé à ses blessures quelques heures plus tard. Il n’est hélas pas le premier pilote français à avoir été fauché en pleine ascension vers la consécration suprême. Retour sur Didier Pironi, celui qui aurait dû être le premier Français champion du monde.
Samedi 7 août 1982, circuit d’Hockenheim. Le circuit est noyé sous les eaux pour les essais du matin, mais certains pilotes sont tout de même en piste pour tester différentes pièces. Malgré les intempéries, les voitures sont capables d’approcher les 300 km/h, et avec les projections d’eau la visibilité est quasi-nulle. Mais soudain vers 10h30, une voiture rouge sort de la brume, les quatre roues à plusieurs mètres du sol…
Didier Pironi faisait partie de la « French Connection » de la fin des années 70-début des années 80- avec Laffite, Depailler, Prost, Jarier, Arnoux et Tambay. Né en Seine-et-Oise en 1952 dans une famille aisée, il se prend rapidement de passion pour le sport automobile, notamment grâce à son demi-frère José Dolhem, qui a eu une belle carrière dans la discipline. Il a ainsi couru en F3, F2, Endurance et même en F1 grâce à ses contacts avec Surtees. Hélas, cette seule course est le Grand Prix des USA 1974, où il abandonne sur ordre de l’écurie après la mort atroce de son coéquipier Helmut Koinigg, décapité par les barrières ARMCO quelques tours plus tôt.
Tandis que Dolhem poursuit sa carrière, Pironi lance la sienne dès le début des années 70. Il gagne ainsi le volant Elf en 1972 et se met peu à peu en évidence dans les diverses formules de promotion. Si sa première saison en Formule Renault française est difficile du fait de son manque d’expérience, il gagne le titre national à sa seconde tentative avec le challenge européen. Deux ans plus tard, c’est le championnat européen qui tombe dans son escarcelle et lui ouvre les portes de la F2 pour 1977. Il termine ainsi 3ème du championnat derrière son coéquipier René Arnoux et l’Américain Eddie Cheever, deux autres grands espoirs qui referont parler d’eux. Il gagne aussi le Grand Prix de Monaco F3, qui à l’époque, donnait rapidement un volant en F1, ce que Pironi confirme rapidement.
Il est ainsi intronisé chez Tyrrell en 1978 aux côtés de l’expérimenté Patrick Depailler, présent dans l’équipe depuis 1974. Il se fait rapidement remarquer pour ses belles performances, en signant quatre top six dont une cinquième place pour ses six premiers Grands Prix, ce qui est plus qu’encourageant. Cependant, Depailler signe de sublimes performances, avec une victoire à Monaco et une seconde place frustrante en Afrique du Sud entre autres. C’est ainsi qu’il participe pour la troisième fois au 24 Heures du Mans la même année sur l’Alpine A442B n°2 en compagnie de Jean-Pierre Jaussaud. Son demi-frère José court lui sur l’A442 n°4 aux couleurs de l’entreprise de transports de marchandises et de fret Calberson aux côtés de Fréquelin et Ragnotti. Cette aventure mancelle se clôt finalement sur une superbe victoire de la n°2, qui a succédé à l’A443 n°1 en tête jusqu’à son abandon.
Tel Lafayette lors de sa campagne américaine et les principes républicains outre-Atlantique, Pironi mesure rapidement l’écart entre l’organisation ultra-professionnelle de la Régie Renault au Mans et l’écurie de l’Oncle Ken. Il est cependant contraint de rempiler un an supplémentaire dans l’écurie britannique après cependant avoir marqué 7 points en 1978 et reçu le titre honorifique de meilleur débutant. Il est cette fois associé à l’expérimenté Jean-Pierre Jarier, non retenu chez Lotus malgré deux sublimes courses fin 78, ruinées par des casses mécaniques. Ses résultats sont en amélioration et il signe ses premiers podiums bien que sa voiture ne lui permette pas de jouer la victoire. Il termine devant Jarier au championnat à la faveur d’une quatrième place, les deux pilotes ayant chacun marqué 14 points, mais cette fois sa décision est prise et il rejoint Ligier en 1980. Il remplace Jacky Ickx qui a assuré l’intérim après le grave accident de Depailler mais ne souhaite plus piloter en F1. L’Auvergnat lui refuse de n’être qu’un second pilote et préfère rejoindre Alfa Romeo.
La Ligier JS11/15 n’est peut-être pas aussi performante que sa devancière, mais Pironi fait mieux que tenir la comparaison avec l’expérimenté Laffite. Il gagne sa première course à Zolder, le tout en ayant mené toute la course. Après le Grand Prix de France, 7ème manche de la saison, il pointe à la troisième place du championnat, seulement devancé par Jones et Piquet qui se battront pour le titre. Malgré cinq podiums, il termine seulement cinquième du championnat du monde, deux points derrière Laffite. Mais il prend de nouveau une décision forte avant la fin de la saison, puisqu’il s’engage chez Ferrari en 1981, profitant de la retraite de Jody Scheckter.
Le voici désormais dans une Scuderia en pleine reconstruction après le désastre que fut la 312 T5. Il est associé au génie québécois Gilles Villeneuve, avec qui il va se lier d’amitié très rapidement de prime abord, bien qu’il soit dominé en piste. Quand Villeneuve fait triompher la 126 C turbo à Monaco (la piste la moins adaptée à cette voiture) et à Jarama, Pironi ne fait pas mieux que quatrième à Monaco justement et se retrouve loin derrière Villeneuve au classement pilotes. Il est cependant reconduit pour 1982, et cette saison va le mettre au cœur de l’attention dans un drame en cinq actes dans lesquels il aura plus ou moins d’incidence.
Tout commence dès le premier Grand Prix de la saison en Afrique du Sud. En effet, la FISA dirigée par Balestre et la FOCA d’Ecclestone ont décidé d’introduire une super-licence obligatoire de courir, mais des points de règlement font tiquer les pilotes. De plus, ils ont été totalement écartés des négociations, et furieux de la situation décident de prendre un bus direction un hôtel de Johannesburg afin de protester contre cette situation. Ecclestone, Balestre et les directeurs d’équipes font tout leur possible pour faire revenir les pilotes, mais seul Teo Fabi, alors néophyte craque sous la pression. Le lendemain, c’est Pironi qui prend le rôle du négociateur avec Ecclestone et Balestre, et obtient gain de cause, ce qui fait revenir les pilotes et permet au reste du week-end de se dérouler normalement.
Trois courses plus tard, Imola est victime d’un simulacre de Grand Prix. En effet, la FISA et la FOCA s’entredéchirent et créent des querelles politiques sans fin qui nuisent clairement à l’image du sport. Après l’affaire des faux réservoirs (des réservoirs remplis d’eau après la course qui permettent aux voitures de courir sous le poids minimal autorisé), la FOCA décide de boycotter le GP et emmène nombre de constructeurs avec elles. Il ne reste donc que les « légalistes », soutenus par la FISA (Ferrari, Renault, Alfa Romeo, Toleman) et partisanes du moteur turbo, Tyrrell forcé de courir par ses commanditaires bien que membre de la FOCA, Osella qui est alignée politiquement sur Ferrari et ATS. La structure allemande sait qu’il y a un bon coup à jouer pour aller chercher des points, mais Ecclestone bloque son camion chargé de livrer ses pneumatiques…
Une fois les Renault hors-course, Villeneuve est en tête devant Pironi, Alboreto, Jarier, Salazar et Winkelhock. Consciente qu’il n’y a plus rien à jouer, la Scuderia présente le panneau « Slow » à ses pilotes pour préserver le doublé. Or cette consigne se révèle on ne peut plus ambigüe. Si Villeneuve considère que les positions sont figées entre Pironi et lui, le Français ne le comprend pas de la même façon et décide de jouer sa carte personnelle. C’est ainsi que s’engage un duel fratricide dans les 15 derniers tours, qui voit finalement triompher Pironi devant Villeneuve. Ce dernier ne décolère pas tant il est déçu par pareille trahison de la part de son coéquipier, qu’il considérait comme un ami proche.
C’est ainsi que s’engage le troisième acte. Le Québécois est terriblement déçu et se jure de battre le Français quoi qu’il arrive, pour lui montrer qui est le patron. Nous sommes alors le 8 mai 1982 à Zolder pour le Grand Prix de Belgique, cinquième manche de la saison. Pironi est provisoirement sixième sur la grille avec un temps en 1’16’’501, 115 millièmes plus rapide que Villeneuve. Ce dernier part en piste mais ne parvient pas à améliorer le chrono de Pironi. Forghieri le fait donc rentrer aux stands, mais le Québécois ne ralentit pas dans son tour de rentrée aux stands, et alors qu’il arrive à 250 km/h dans la courbe de Terlammen, il tombe sur Jochen Mass qui roule sensiblement moins vite. L’Allemand s’écarte sur la gauche de la piste, mais Villeneuve fait de même…
L’accident est effroyable. La Ferrari décolle, heurte le rail, part en tonneaux et se casse finalement en deux avant d’atterrir. Villeneuve lui est éjecté de sa monoplace et projeté contre les grillages, où il est retrouvé en position fœtale… et sans casque. Il est ainsi immédiatement transporté à l’hôpital de Louvain, tandis que plusieurs pilotes n’ont pu que regarder les secouristes à l’œuvre, totalement impuissants. Certains, à l’image d’Arnoux se retrouvent même au bord du malaise. Pironi est lui aperçu avec deux casques à la main, le sien et celui de Villeneuve.
Le pilote québécois est hélas irrémédiablement touché. Son foie a éclaté, ses deux premières vertèbres cervicales sont fracturées, son encéphalogramme est plat et ses pulsations cardiaques très faibles. Ce n’est qu’une question d’heures avant qu’il ne rende son dernier soupir. C’est ainsi que Sid Watkins le débranche à 21h12 après que sa femme Joann lui en ait donné l’autorisation, laissant le héros d’un sport et d’une région entière s’en aller. L’un des plus touchés reste Enzo Ferrari, effondré de chagrin à la mort de celui qu’il considérait presque comme un fils. Didier Pironi ne s’exprimera qu’une seule fois à propos de cet accident, évoquant le manque de sécurité évident de ces voitures avec de graves accidents à répétition.
Pironi est bien placé pour en parler, il s’est en effet sorti indemne d’une spectaculaire cabriole quelques mois plus tôt lors d’essais privés au Castellet, et demande que la sécurité des pilotes devienne une priorité dans le sport. Pour remettre dans le contexte, c’est une habitude de voir des pilotes se blesser dans des accidents, et la mort est encore bien trop présente dans les paddocks. Pryce, Peterson, Depailler et désormais Villeneuve… Et le quatrième acte va encore allonger la liste.
Cinq semaines et trois Grands Prix plus tard, la F1 est à Montréal sur le circuit désormais nommé Gilles Villeneuve en hommage au disparu. Ferrari n’amène qu’une seule voiture pour Didier Pironi, Patrick Tambay n’effectuant ses débuts qu’aux Pays-Bas pour la manche suivante. Cela n’empêche pas le Français de signer une superbe pole position, sa première pour Ferrari, mais la course vire au drame dès le départ.
En effet, il cale et toute la grille doit l’éviter. Tout se passe sans trop de mal jusqu’à ce que le fond de grille arrive sur la 126C2. Boesel touche une des roues, part en travers et embarque le pauvre Salazar avec lui, mais Ricardo Paletti va connaître un sort encore plus horrible… et tragique. Lancé à 185 km/h, il n’a rien vu de ce qu’il se passe devant lui et percute de plein fouet la Ferrari, l’envoyant en tête à queue. Pironi se porte immédiatement à son secours, rejoint par des secouristes dont le médecin Sid Watkins, qui voit rapidement que l’Italien est au mieux inconscient. Alors que la désincarcération commence, l’essence qui avait continué de couler met le feu à l’Osella, achevant le jeune Italien pour de bon. Il est finalement héliporté à l’hôpital de Montréal une demi-heure plus tard, où il décèdera d’une grave hémorragie interne et d’autres blessures. Après Villeneuve, la F1 rappelle à tous les pilotes que sans-grade ou grands champions, tous peuvent connaître le même sort.
Entre querelles politiques et accidents à répétitions, plusieurs points de règlement sont modifiés pour 1983, avec notamment l’abolition de l’effet de sol mais l’autorisation de la suralimentation, favorisant les écuries dites « légalistes »… Toutefois, les pilotes vont devoir courir avec ces voitures à effet de sol jusqu’à la fin de la saison. Le Grand Prix de France voit un triomphe total des turbos et des pilotes Français : Arnoux gagne devant Prost, Pironi et Tambay, ce qui donne deux Renault devant deux Ferrari. Pironi a toutes les raisons du monde de sourire : il compte 39 points, soit neuf de plus que Watson et 14 de plus que Prost, ce qui le place dans d’excellentes conditions pour être titré et devenir le premier champion du monde de F1 français.
C’est alors que la manche suivante, la 12ème se déroule à Hockenheim, sur l’ancien tracé qui était bien plus rapide que l’actuel. Il pleut des cordes le samedi matin, et alors que Pironi est en pole, il est en piste à tester des nouveaux pneus Goodyear. Dans la ligne droite qui ramène les pilotes dans le Stadium, il suit Daly qui se déporte sur la droite. Pironi pense que c’est pour le laisser passer… et voit trop tard la Renault de Prost. Ce dernier est à 180 km/h et teste des étriers de freins, alors que la Ferrari est lancée 100 km/h plus vite…
Pironi percute l’arrière de la Renault, décolle sur plus de 100 mètres, rebondit, redécolle avant d’atterrir sur le museau et d’enfin s’immobiliser. Plus chanceux que Villeneuve et Paletti, il est en vie et conscient, mais pas sans séquelles. Les commissaires interviennent rapidement, et l’un d’entre eux ne peut réprimer une expression de dégoût en voyant les blessures du Français. En effet, sa jambe droite est en lambeaux, au point que l’un des médecins présents avec lui suggère une amputation, ce qu’il refuse sur le champ. Il est ainsi emmené à l’hôpital d’Heidelberg, comme Depailler deux ans auparavant, mais lui survivra. C’est cependant une longue et lourde rééducation qui l’attend, puisqu’il s’est brisé les deux jambes et le bras gauche, tandis que Tambay gagne la course le lendemain. Hélas, Keke Rosberg prend l’avantage au championnat et devient le premier Finlandais champion du monde, devant Pironi et Watson qui finissent à égalité. Le Français recevra cependant un trophée de la part d’Enzo Ferrari, avec inscrit dessus « Pour le vrai champion du monde 1982 ».
S’il ne recourra jamais en F1, Pironi va cependant effectuer des tests en 1986 pour le compte d’AGS, Ligier et Larrousse, alors qu’il ambitionnait de revenir avec Ferrari en 1983… Aucune de ces voitures n’étant à la hauteur de ses ambitions (il souhaiterait pouvoir rejouer le titre !), il tourne définitivement le dos à la F1 pour se consacrer à sa nouvelle passion : les courses de bateaux offshore. Il fait alors construire le Colibri, un bateau ultra-performant pour l’époque qui lui permet de triompher en Norvège en août 1987. Malheureusement, son oiseau des mers se retourne deux semaines plus tard et le tue, ainsi que le journaliste Bernard Giroux (vainqueur du Dakar 1987 avec Ari Vatanen) et Jean-Claude Guénard. Enceinte de jumeaux, sa veuve les appelle Gilles-Didier et Didier-Gilles à leur naissance en janvier 1988, en hommage à ces deux grands pilotes.
Didier Pironi eut une courte carrière de seulement cinq ans, qui l’a vu fauché en pleine ascension vers les sommets. Inextricablement lié au destin de Gilles Villeneuve, il n’en reste pas moins un excellent pilote, qui se sera battu pour plus de sécurité dans son sport pour ne plus voir ses collègues se tuer en piste. Son demi-frère José Dolhem se tue en avril 1988 dans un accident d’avion, le rejoignant dans la tombe. Pironi est cependant parti avec certains secrets, notamment quant à l’accident de Villeneuve à Zolder, puisque nul ne sait réellement ce qu’il a pu ressentir à ce moment précis.
Le hasard fait aussi que l’écriture de cet article coïncide avec la diffusion de « Rouges Sang » dimanche dernier sur Canal+, et l’émotion est bien présente tout au long du documentaire. On voit ainsi les pilotes dans diverses situations (courses, shows télé), et avec aussi les accidents et cette vision de la mort. On sait ce qu’il est arrivé à ces pilotes, et on ne peut s’empêcher de se sentir triste pour eux, tués à vouloir vivre de leur passion. Pironi survécut à son premier accident, mais tel Stommelen ou Depailler avant lui, le deuxième fut définitif.
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Pierre Laporte
Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.