Le duo Leclerc-Vettel : Grand Prix du Brésil, Ferrari voit rouge
La venue de Charles Leclerc chez Ferrari était l’une des grandes nouvelles du mercato 2019, et force est de constater que le Monégasque n’a déçu personne. S’il était au départ numéro deux derrière Vettel, il a rapidement prouvé qu’il valait mieux qu’un rôle de porteur d’eau. Après l’échec de la roulette russe et le doublé Mercedes qui en a découlé, le final de cette saison compliquée va se jouer à Interlagos et rester dans les mémoires.
Alors que l’on croyait les Ferrari ressuscitées après leurs trois victoires consécutives, force est de constater que ce ne fut qu’un feu de paille. Entre la Russie et le Brésil, il y a eu trois Grand Prix qui ont montré que si les Rouges sont toujours aussi performants sur un tour, les Mercedes finissent bien plus souvent sur la plus haute marche du podium. Second au Japon après un départ raté et second au Mexique à cause d’une erreur stratégique, Vettel a dû abandonner sur une casse de suspension à Austin. Quant à Leclerc, il n’a pu arracher le moindre podium malgré une pole au Mexique avec deux quatrièmes et une sixième place.
Qui plus est, l’écurie italienne est accusée de tricherie. Le moteur de la Scuderia semble anormalement puissant aux yeux de la concurrence, et ses rivales l’accusent de jouer sur le débitmètre d’essence afin de faire tourner le turbo plus rapidement. Si Binotto défend l’écurie italienne bec et ongles, la FIA publie la note technique suivante :
«Tout système ou procédure dont le but et/ou l’effet est d’augmenter le débit ou de stocker et recycler du carburant après le point de mesure est interdit .
En effet, un capteur contrôle tout le fonctionnement de ce dit débitmètre, et l’essence qui passe dans l’unité de puissance ne peut l’éviter, sans quoi désormais la disqualification ou de lourdes pénalités seront la règle. Après Austin, Max Verstappen ne manque pas de s’exprimer sur la question :
Cette réaction lui vaut une réponse cinglante de Binotto.
Quoi qu’il en soit, nous arrivons désormais au 20ème et avant-dernier Grand Prix de la saison au Brésil, sur le mythique circuit d’Interlagos. Celui-ci est cependant menacé par un projet de circuit à Rio de Janeiro, chapeauté par nul autre que le président Jair Bolsonaro. Mais quand on sait que Hermann Tilke sera aux commandes, on se dit qu’il vaudrait peut-être mieux garder le tracé pauliste au calendrier pour garder un peu de variété… Interlagos souffre en effet d’infrastructures dépassées mais aussi d’une insécurité assez dingue, qui fait que personne ne peut quitter le circuit sans être accompagné par la police…
Pour en revenir à la course, Verstappen profite des immenses progrès de Honda pour aller chercher sa seconde pole de la saison après la Hongrie. Il devance Vettel, les deux Mercedes et Albon, tandis que Leclerc ne part que 14ème à cause d’une pénalité de dix places. Et pour ainsi dire, le début de course est relativement calme, si on excepte le dépassement d’Hamilton sur Vettel au départ et la remontée de Leclerc tour après tour.
La seule surprise vient des pneumatiques : la chaleur écrase São Paulo pour la première fois du week-end et les pneus tendres s’avèrent plus performants que les pneus médiums. Une preuve en piste est que Leclerc en médiums ne remonte pas sur Albon en tendres alors qu’on connaît l’écart de performances entre les deux pilotes… Pendant ce temps, Verstappen manque de peu d’accrocher Kubica dans les stands, la faute à un unsafe release du Polonais mais remonte aisément sur Hamilton. La Mercedes ne marche pas aussi fort qu’à l’accoutumée, victime de problèmes de batterie et le Hollandais ne se fait pas prier pour passer l’Anglais et reprendre la tête.
Alors que les leaders s’arrêtent de nouveau au fil des tours pour chausser leur dernier train de pneus, Bottas va malgré lui donner un second souffle à une course jusqu’ici assez peu passionnante. Dans le 52ème tour, le moteur de sa Mercedes casse pour la première fois de la saison et le contraint à ranger sa voiture vers la Curva del Lago. Bien qu’il se range proche d’une échappatoire, les commissaires brésiliens peinent tant à manœuvrer la monoplace allemande qu’une grue vient les aider. En conséquence, Michael Masi envoie la voiture de sécurité en piste, une habitude depuis la mort de Jules Bianchi au Japon en 2014…
Bernd Maylander reste trois tours en piste avant de rentrer aux stands, pendant que nombre de pilotes se sont arrêtés pour changer de pneus. De plus, tout le monde est désormais dans le même tour, ce qui donne de belles chances pour les pilotes hors top-team d’accrocher un podium si d’aventure du grabuge se produisait à l’avant… Le restart est cependant étonnant et un délice pour les fans, puisque Hamilton attend la ligne de chronométrage pour réaccélérer au lieu de se relancer bien avant. Verstappen le repasse malgré tout, pendant qu’Albon se paye le luxe de doubler Vettel et de passer troisième ! Le Thaïlandais peut ainsi entrevoir son premier podium en F1 d’autant plus qu’il lâche les deux Ferrari qui se battent entre elles.
Dans le 66ème tour, Leclerc double Vettel juste avant les S de Senna pour prendre la quatrième place à son coéquipier. Ce dernier profite cependant du DRS dans la ligne droite suivante, et redouble Leclerc… avant le drame. Ce que tout le monde redoutait depuis des mois allait se produire, au plus grand désarroi des tifosi.
Les deux monoplaces rouges se touchent légèrement, mais suffisamment pour occasionner une double crevaison. Le pneu avant gauche de Leclerc explose et le laisse immédiatement sur la touche. Vettel lui crève à l’arrière droit et ne va guère plus loin. Pour la première fois en 70 saisons de Formule 1, les deux Ferrari se sont auto-éliminées toutes seules (Singapour 2017 impliquait Verstappen entre les deux monoplaces italiennes). Les deux pilotes tempêtent à la radio, Vettel jurant même en allemand tant il ne peut contenir sa rage. Stroll se retrouve à devoir abandonner lui aussi à cause de cet accident, un débris ayant explosé son porte-moyeu avant droit. Difficile de retenir sa déception face à cette saison bien décevante des rouges et cette improbable collision.
Et pendant que les caméras de la FOM montrent un Vettel dépité, désabusé, qui regarde impuissant les commissaires enlever sa voiture blessée à mort, Maylander est de nouveau de sortie pour calmer le jeu en piste. Le classement est assez incroyable : si Verstappen en tête ne surprend personne, Albon est deuxième… et Gasly troisième ! Le Français profite ainsi de l’arrêt d’Hamilton qui n’a plus rien à perdre désormais et qui tente le tout pour le tout en s’arrêtant de nouveau. Cela nous donne trois moteurs Honda aux trois premières places, mais Hamilton devrait passer Gasly et Albon sans problème…
La safety car s’efface dans le 69ème tour, à mon plus grand désarroi dans un premier temps car comme prévu Gasly se fait doubler par Hamilton et voit ses rêves de podium s’envoler… mais un Grand Prix n’est jamais joué avant la ligne d’arrivée non ? Et dans le tour suivant Hamilton attaque Albon, se loupe et envoie le pauvre Thaïlandais en tête-à-queue, qui se relance en queue de peloton. Un véritable crève-cœur pour lui, qui avait jusque là signé une course magnifique.
Mais Hamilton a lui aussi perdu du temps dans la manœuvre et se relance troisième… derrière Gasly ! Il va l’avoir son podium, mais sera-t-il deuxième ou troisième ? Qui plus est, l’Anglais de Mercedes est reparti à toute berzingue et est collé aux échappements du Français. C’est ainsi que se déroule une incroyable dernière ligne droite semblable à une course de dragsters. Pendant que Verstappen s’impose pour la troisième fois cette saison, Gasly résiste pied au plancher à Hamilton… et le bat pour 60 millièmes de seconde, à la régulière !
Impossible de retenir sa joie devant pareil exploit du Normand, qui prend une éclatante revanche sur sa rétrogradation chez Toro Rosso par Helmut Marko. Oubliée la déception Ferrari, on a un Français sur le podium !!! Pierre devient le plus jeune Français à monter sur un podium dans la discipline, et il est le premier à finir aussi haut dans la hiérarchie depuis Romain Grosjean au Grand Prix de Belgique 2015. Il ne manque pas de dédier cette incroyable performance à son pote Anthoine Hubert, qui doit être immensément fier de ce résultat où qu’il soit.
De plus, Hamilton est logiquement pénalisé de cinq secondes pour cet accrochage avec Albon, et Sainz monte ainsi sur la troisième marche du podium, le premier de McLaren depuis Magnussen et Button en Australie en 2014 ! L’Espagnol bat également un vieux record de Martin Brundle, en devenant le premier pilote à attendre plus de 100 Grands Prix avant de monter sur la boîte. Une performance d’autant plus miraculeuse qu’il partait dernier et avec une stratégie décalée.
Quelque peu éclipsé par l’incroyable performance de Gasly, Verstappen a démontré comme en Allemagne qu’il est l’homme des situations difficiles. Auteur d’une course parfaite tant au niveau de la stratégie que du pilotage, cette victoire est plus que méritée. Jamais piégé dans les restarts, dominateur du début à la fin, rien ni personne ne pouvait l’empêcher de gagner. Albon lui pourra regretter cette attaque désordonnée d’Hamilton, qui a été trop gourmand et gâché une course qui était alors aussi belle que celle de son coéquipier néerlandais. Quoi qu’il en soit, Honda signe son premier doublé en F1… depuis le Grand Prix du Japon 1991 ! Et à cette époque McLaren avait offert la victoire à Berger devant Senna malgré l’évidente domination du Brésilien en piste, Mansell étant parti dans les graviers avec ses chances de titre.
Chez Ferrari, l’orage a explosé. Personne ne s’explique comme on a pu en arriver à un tel point de non-retour. Enzo Ferrari doit se retourner dans sa tombe à voir pareil accident, et qu’elle semble loin l’époque Schumacher avec une hiérarchie respectée à la lettre, jusqu’à l’excès… Fou de rage, Binotto calfeutre ses pilotes dans le motorhome Ferrari et poste des gardes du corps pour repousser les journalistes qui auraient l’idée saugrenue de les approcher. Bien évidemment, chacun rejette la faute de l’accident sur l’autre, Vettel accusant Leclerc de ne pas avoir laissé suffisamment de place pendant que le Monégasque reproche à son coéquipier allemand de s’être rabattu trop tôt. Ils peuvent refaire la course autant qu’ils le veulent, le résultat est là…
C’est ainsi que Binotto résume ce qu’il s’est passé au Brésil dans ce désormais fameux 66ème tour. Mais s’il refuse d’admettre sa responsabilité dans cet accident, force est de constater que de ménager la chèvre et le chou a ses limites. Au contraire de Mercedes qui a une hiérarchie bien établie vu que Ferrari a repris de l’aplomb malgré tout, les Italiens n’ont jamais réussi à clairement établir un n°1 et un n°2.
Vettel était logiquement désigné comme le leader de l’écurie, mais les ambitions de Leclerc ont rapidement tout bousculé, tant et si bien que Binotto n’a plus su quoi faire, entre les stratégies douteuses de Sotchi et Marina Bay ou la carte blanche finalement laissée. Il arrivait que de telles frictions arrivent entre Hamilton et Rosberg chez Mercedes (Autriche 2015, Espagne 2016)… mais les Flèches d’Argent étaient seules au monde. Entre 2014 et 2016, seules 8 courses sur 59 leur ont échappé, et 3 d’entre elles seulement n’ont vu aucune des deux voitures grises sur la boîte ! Là Ferrari est en position d’outsider, et décidément la stratégie est son gros talon d’Achille, que ce soit en piste ou en matière de gestion des pilotes…
La presse italienne a bien évidemment éreinté les Rouges.
« Hara-kiri rouge »
pour la Gazetta dello Sport,
« Un bout contre son camp »
pour la Reppublica… Il Giornale
Ce dernier est quant à lui assez pessimiste et prévoit une saison 2020 comparable au « Far-West » chez la Scuderia. Si tout le monde ne met pas de l’eau dans son vin, Mercedes serait dans une position royale pour écraser la saison 2020 sans concurrence et les relations entre Vettel, Leclerc, Binotto et les autres risquent de tourner au vinaigre… Une situation qui risque fort d’animer le marché des transferts 2021 avec un Vettel en fin de contrat.
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Pierre Laporte
Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.