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Génération perdue : Tom Pryce, à l’inconscience succéda l’horreur

Romain Grosjean nous l’a rappelé malgré lui : la Formule 1, et les sports mécaniques sont dangereux. Sans les réformes sécuritaires menées au fil des ans pour rendre le sport plus sûr, il aurait hélas rejoint une longue liste de pilotes partis trop tôt. Si nous avions déjà évoqué le cas des pilotes français, nous allons ce mois-ci revenir sur la « génération perdue » du sport automobile anglais. Pas moins de quatre pilotes anglais promis à un grand avenir dans les années 1970 ont perdu la vie dans des accidents, majoritairement en course. La série se clôt sur Tom Pryce, décédé dans ce qui reste l’un des accidents les plus horribles de l’histoire de la discipline.

5 mars 1977, circuit de Kyalami. Le championnat du monde de Formule 1 est en Afrique du Sud pour la troisième manche de la saison, et après deux courses Carlos Reutemann est en tête du championnat. Derrière lui, on retrouve Jody Scheckter qui soutient une écurie Wolf qui s’affirme comme la surprise de ce début de saison. Tous les regards sont cependant tournés vers la Lotus 78, première monoplace à introduire l’effet de sol dans la discipline. La voiture est plus que prometteuse bien que manquant encore de fiabilité, mais un autre événement va tout bouleverser…

Tom Pryce est ainsi le dernier pilote de la « génération perdue » du sport automobile britannique des années 70. Né en 1949 à Ruthin au Pays de Galles, il est à ce jour le seul pilote gallois à avoir couru en Formule 1. Fils de policier, il doit attendre ses 21 ans pour réellement commencer sa carrière en sport automobile. A un âge où bon nombre de pilotes débutent désormais en Formule 1, le jeune Gallois remporte le Daily Express Crusader Championship. Au volant d’une Lotus 51, il remporte une Lola T200 de Formule Ford d’une valeur de 1.500 £ (près de 20.000 € actuels) et abandonne son travail de mécanicien pour se lancer dans le sport automobile.

Il se retrouve à courir dans trois championnats différents entre 1971 et 1972, partagé entre la Formule F100, la Formule Super Vee et la Formule 3. Il gagne la Formule F100 avec « une aisance embarrassante » dixit David Tremayne, et fait de même en Super Vee avec une Royale RP9. En Formule 3, il fait ses débuts en 1972 à Brands Hatch et écrase la concurrence, composée de pilotes tels que Williamson, Mass et Hunt ! Pour l’anecdote, la plupart des équipes portent réclamation contre Pryce, suspectant sa voiture de rouler sous le poids autorisé. Après enquête, il s’est avéré que le pont-bascule du circuit n’était plus aux normes et que toutes les voitures étaient trop légères…

Tom Pryce en 1976 à Long Beach

Il continue sur sa lancée malgré un accident à Monaco où il se brise une jambe. Il gagne ainsi en Formule Atlantic en 1972 et en 1973, où il passe en F2. Toutefois, il ne peut suivre son projet initial d’y accéder avec Royale, qui comptait construire une nouvelle voiture pour le faire courir. Manfred Schurti devait soutenir financièrement le projet avec ses sponsors, mais le résultat final fut qu’une seule voiture fut construite et que John Royale démissionna de son poste de dirigeant. Pryce court finalement chez Rondel, alors dirigée par Ron Dennis. Le Gallois réalise sa meilleure performance au Norisring, où seule une casse mécanique le prive de la victoire. Il termine néanmoins second derrière Schenken et gagne le Grovewood Award devant Tony Brise. Cependant, son père avouera que Tom ne voulait pas de ce prix, qu’il voyait comme « une malédiction ». Peut-être faisait-il alors référence à Courage qui l’avait gagné en 1965, mais son intuition se révèlera juste…

Quoi qu’il en soit, Dennis veut le faire monter en F1 pour la saison 1974 et tente de monter un projet sur pied pour y parvenir. Hélas, sans soutien financier il doit y renoncer, mais l’écurie Token voit malgré tout le jour avec deux nouveaux investisseurs. Ceux-ci engagent la RJ02 hors-championnat à Brands Hatch, mais Pryce est terriblement lent à cause du manque de compétitivité de sa voiture. Il rend pas moins de 26 secondes à James Hunt, et abandonne après 15 tours de course. La situation s’améliore en Belgique, où il se qualifie 20ème et abandonne après 66 tours suite à une collision avec Scheckter alors qu’il était 20ème et bon dernier.

Monaco va se révéler être un énorme paradoxe pour Pryce, qui se voit refusé par les instances de la Formule 1. Il est en effet jugé trop peu expérimenté pour courir dans les rues de la Principauté et doit donc plier bagages… dans un premier temps. Tony Vlassopoulos, l’un des deux patrons de Token décide de faire courir le Gallois pour la manche F3 en lieu et place de Buzz Buzaglo, le pilote habituel. Pryce saisit l’opportunité à deux mains et prend une belle revanche en s’imposant devant Brise. Ce coup d’éclat lance sa carrière et pas moins de quatre équipes veulent le faire signer !

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C’est Shadow qui remporte la mise, et l’écurie américaine le fait débuter aux Pays-Bas où il abandonne au départ, percuté par Hunt. Il se qualifie troisième en France pour son troisième Grand Prix, mais rate complètement son départ, se fait percuter par Reutemann qui l’envoie contre Hunt et abandonne à nouveau. Il marque son premier point de la saison en Allemagne en terminant sixième, et termine la saison 1974 avec un point. Il a cependant prouvé son potentiel avec de superbes qualifications tout en étant à la hauteur de son coéquipier Jean-Pierre Jarier.

1975 part sur des bases similaires pour Pryce : rapide en qualifications, il peine à confirmer en course. Malgré tout, il remporte la Course des Champions disputée hors-championnat, sa seule victoire au volant d’une Formule 1. Il se qualifie ainsi en première ligne à Monaco, mais doit abandonner après divers chocs qui ont ruiné sa course. Il marque son premier point de la saison lors de la course suivante en Belgique avant de récidiver aux Pays-Bas. A Silverstone, il signe la pole et prend la tête de la course dans le 20ème tour, avant de sortir de la piste sous la pluie deux tours plus tard. Sa fin de saison est plus heureuse, avec notamment un premier podium sous le déluge autrichien derrière Brambilla et Hunt. Avec huit points marqués, il est en nette progression mais sa saison est quelque peu frustrante avec bon nombre d’occasions manquées.

1976 sera marquée par plus de régularité. Pryce commence la saison en fanfare avec un podium lors de la manche inaugurale au Brésil, bien que Shadow fasse grise mine : pour la deuxième fois en deux ans, Jarier abandonne alors qu’il pouvait viser la victoire. Le Gallois lui signe le dernier podium de sa carrière, bien qu’il aie quelques autres opportunités au fil de la saison. Il n’abandonne cependant que quatre fois, toujours sur casse mécanique dont une casse moteur au Japon alors qu’il était second… Il marque en tout dix points qui le font terminer à égalité au championnat avec Ronnie Peterson. Le Suédois sort d’une saison compliquée : parti chez March après le Grand Prix du Brésil, il ne doit ce classement qu’à une victoire surprise à Monza.

Tom Price (à droite) en briefing pilote à Watkin Glens en 1975

Le début de saison 1977 est compliqué au championnat du monde pour Pryce. Non classé en Argentine, il est frappé par la malchance au Brésil puisque son moteur casse en vue de l’arrivée alors qu’il était second. Cela offre la sixième place à son coéquipier Renzo Zorzi, qui marque là son seul point en Formule 1. Pryce doit donc se relancer en Afrique du Sud, mais il ne se qualifie que 15ème sur la grille. Mal parti et 22ème à la fin du premier tour, il doit se lancer dans une remontée depuis les tréfonds du classement. Il est ainsi 13ème dans le 21ème tour… lorsque tout va basculer sans qu’il puisse s’en rendre compte.

Dans le tour suivant, son coéquipier Renzo Zorzi s’arrête dans la ligne droite des stands, victime d’une casse moteur. Les caméras de télévision restent fixées sur l’Italien qui peine à s’extirper de sa Shadow, qui commencer à légèrement prendre feu. Soudain, un commissaire arrive pour maîtriser le début d’incendie… tandis que quelque chose traverse le bas du champ de la caméra, sans que l’on puisse deviner de quoi il s’agit. Quelques secondes plus tard, les téléspectateurs voient deux voitures dans le rail, la Ligier de Laffite et ce qui semble être la Shadow de Pryce qui est complètement détruite. Le Français a tenté de faire l’extérieur au Gallois et s’est fait envoyer sans ménagement dans les barrières. Furieux, il se dirige vers la Shadow, mais la coque maculée de sang de la monoplace américaine le fait rebrousser chemin, pâle comme la mort qui vient de frapper à deux reprises.

En effet, ce qui passait dans le bas du champ de la caméra qui filmait Zorzi était le corps de Frederik Jansen Van Vuuren, un jeune commissaire de piste de 19 ans. Tout s’est joué en quelques secondes : face à l’accident de Zorzi, lui et l’autre commissaire prénommé Bill ont traversé la piste pour lui prêter main forte alors qu’il avait fait signe que tout allait bien. Or, les deux commissaires ont traversé la piste derrière le virage de Kink, une bosse où les voitures déboulent à environ 260 km/h… Qui plus est, les deux commissaires avaient interdiction formelle de traverser à cet endroit en raison de sa dangerosité.

Ils se sont donc engagés sur la piste alors qu’arrivait le groupe Stuck-Pryce-Laffite-Nilsson. Si l’Allemand est parvenu à éviter les deux commissaires au prix d’un réflexe inouï, Pryce qui était dans son aspiration s’est lui retrouvé complètement aveuglé et n’a rien pu faire. Sa roue avant-gauche a percuté Van Vuuren de plein fouet, tuant le commissaire sur le coup. Son corps fut projeté à plusieurs dizaines de mètres du point d’impact, avec des blessures telles que le seul moyen de l’identifier fut de faire l’appel des commissaires après le Grand Prix…

Hélas, ce commissaire portait également un extincteur d’environ 20 kg, qui a percuté Pryce de plein fouet. Le pilote gallois fut lui aussi tué sur le coup sous la violence du choc, qui lui arracha son casque et fractura son crâne en deux. Cela explique pourquoi sa voiture accrocha la Ligier de Laffite avant d’aller se fracasser dans les barrières au bout de la ligne droite. Pour sa part, l’extincteur fut projeté par-delà la tribune principale avant d’atterrir sur un parking situé derrière celle-ci.

Les deux cadavres sont évacués sous les yeux effarés des spectateurs et téléspectateurs, et l’on voit les brancardiers traverser la piste pour évacuer Pryce… Mais au milieu de l’horreur, la course continue comme si de rien n’était ou presque. Alors tranquillement en tête, Lauda sent que sa Ferrari 312 T2 a des problèmes de tenue de route sans savoir pourquoi. Un morceau de l’arceau de la Shadow de Pryce s’est fiché dans un de ses radiateurs et perturbe le comportement de la monoplace italienne. Il se retrouve alors à se battre bien plus que prévu, tandis que la nouvelle de la mort de Pryce fait son chemin dans le paddock. Derrière lui, Scheckter ne parvient pas à le rattraper, et le Sud-Africain termine second à domicile derrière l’Autrichien, qui a signé là l’une des plus belles victoires de sa carrière. En effet, son moteur a également gravement souffert, si bien que les mécaniciens de Ferrari découvrent des niveaux d’eau et d’huile si bas qu’ils se demandent comment le moteur n’a pas cassé…

La mort de Pryce est bien évidemment au centre de toutes les attentions une fois le drapeau à damiers brandi et les pilotes informés du drame. Tout le monde est profondément choqué et attristé par la tragédie qui a frappé le pilote gallois, promis à un grand avenir. Colin Chapman voulait le faire courir au volant de ses wing-cars, et quand on sait que la Lotus 79 a dominé le championnat du monde 1978, il y a de quoi avoir de profonds regrets.

Tom Pryce est enterré quelques jours plus tard à l’église Saint-Bartholomé d’Otford, là où il s’était marié deux ans plus tôt avec Nella, désormais sa veuve. Cette dernière monte ensuite une boutique d’antiquités à Fulham en compagnie de Janet Brise, veuve elle de Tony Brise. Avec son accord et celui des parents de Tom, un mémorial est inauguré le 11 juin 2009 à Ruthin, sa ville de naissance. Aujourd’hui, le Tom Pryce Award récompense la personnalité galloise ayant eu la plus grande contribution dans les domaines du transport. Comme Brise, Williamson et Courage avant lui, Tom Pryce fut fauché en pleine ascension par les sommets. Pilote brillant promis à un magnifique avenir, il fut brutalement stoppé par l’inconscience de deux commissaires incapables de réaliser le danger auquel ils se sont inutilement exposé. Aussi stupide qu’horrible, cet accident est resté dans les mémoires en plus de montrer le côté le plus sombre du sport automobile, où la frontière entre la vie et la mort est parfois des plus ténues. Là où comme en F2 l’année précédente à Spa la course avait été immédiatement interrompue, ici tout avait continué sans drapeaux jaunes, sans voiture de sécurité, preuve des immenses progrès entrepris au niveau de la sécurité. Cependant, quand on voit des commissaires traverser la piste encore aujourd’hui, cet accident pourrait leur faire réaliser à quel point leur comportement peut être dangereux, mais fort heureusement aucun accident n’est à déplorer ces dernières années.

Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.

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