Formule 1

Génération perdue : Tony Brise, du ciel à l’enfer

Romain Grosjean nous l’a rappelé malgré lui : la Formule 1, et les sports mécaniques sont dangereux. Sans les réformes sécuritaires menées au fil des ans pour rendre le sport plus sûr, il aurait hélas rejoint une longue liste de pilotes partis trop tôt. Si nous avions déjà évoqué le cas des pilotes français, nous allons ce mois-ci revenir sur la « génération perdue » du sport automobile anglais. Pas moins de quatre pilotes anglais promis à un grand avenir dans les années 1970 ont perdu la vie dans des accidents, majoritairement en course. Retour cette semaine sur Tony Brise, pilote pour Embassy-Hill en 1975.

Circuit du Castellet, le 29 novembre 1975. La saison est presque terminée depuis deux mois, mais tout le monde s’active pour préparer la saison 1976 qui débute dans un peu plus d’un mois. Ce jour-là, c’est l’écurie Embassy-Hill qui teste sa GH2, avec Graham Hill aux commandes de l’écurie et Tony Brise au volant. En fin de journée avec plusieurs membres de l’écurie, les deux hommes montent dans l’avion de Hill, direction l’Angleterre…

Beaucoup de pilotes naissent dans des familles ayant des liens plus ou moins forts avec le monde du sport automobile, et Tony Brise ne déroge pas à la règle. Il voit le jour en 1952 à Erith, une ville appartenant au Grand Londres. Son père est alors fermier mais également un pilote automobile renommé, triple champion national de stock-cars. Il a également couru en Formule 3, à l’époque où le championnat se disputait avec des voitures équipées de moteurs 500 cm3.

Comme déjà une bonne majorité de pilotes de cette époque, Brise se tourne vers le karting à la fin des années 60 pour commencer à se faire un nom dans la discipline. Il remporte le titre national et 1969 et effectue naturellement la transition vers la monoplace au volant d’une Elden MK8, engagée en Formule Ford. Les débuts sont un peu difficiles à cause des performances de sa voiture, et il doit attendre 1971 pour se mettre en évidence. Au volant d’une Merlyn plus performante, il finit vice-champion national en Formule Ford 1600 et finit sa saison en testant la Lotus 69 de F3. Hélas, il est victime d’un accident heureusement sans gravité à Snetterton où il part en tonneaux.

Il loupe donc le coche mais peut malgré tout passer en F3 pour la saison 1972. Il trouve ainsi refuge dans l’écurie semi-officielle Brabham, dirigée par un Bernie Ecclestone plus préoccupé par la Formule 1. Comme auparavant en Formule Ford, il doit attendre un changement de voiture pour se mettre en évidence. Il troque donc sa Brabham BT28 pour une GRD d’usine et peut enfin jouer devant. Il parvient à gagner trois courses en fin de saison, capable de se battre avec Roger Willliamson, jusque-là invincible ou presque.

Ce dernier parti en F2, Brise a le champ libre pour rouler sur la concurrence en 1973. Il gagne ainsi deux des trois championnats de Formule 3 britannique (le Lombard et le John Player) et s’affirme définitivement comme le pilote anglais à suivre dans les années à venir. Peut-être remplacera-t-il Williamson, décédé à Zandvoort dans un accident diffusé en direct dans le monde entier… Qui plus est, il parvient à allier sport automobile et études en poursuivant un cursus universitaire à Birmingham.

Mais la saison 1974 s’annonce mal pour Brise. Le sport automobile coûte cher, et faute de sponsors il ne peut s’aligner en Formule 2. Le jeune Anglais ne manque cependant pas de ressources, et décide d’emprunter un chemin de traverse. Il achète alors une March 733 d’occasion qu’il équipe d’un moteur Ford préparé et s’aligne dans le championnat britannique de Formule Atlantic. Le pari se révèle gagnant dans un premier temps puisqu’il remporte la première course de la saison à la surprise générale. Mais à Snetterton, sa progression semble devoir subir un nouveau coup d’arrêt lorsqu’il démolit sa voiture.

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Heureusement pour lui, le patron de Modus, Teddy Savory, n’a pas oublié les performances de Brise lors de sa première course et lui offre un volant. Pour le reste de la saison 1974, il ne dispose encore que d’une F3 modifiée en attendant une voiture de pointe pour la saison suivante. Il se fait aussi remarquer dans le bon sens à Monaco, où il termine second de la course F3, derrière un certain Tom Pryce. Il faut rappeler qu’à l’époque les vainqueurs de cette course se retrouvaient régulièrement engagés en F1 dans les années suivant cette performance. Il est également second lauréat des Grovewood Awards (aujourd’hui McLaren Autosport BRDC Awards), une nouvelle fois derrière le Gallois.

1975 va être l’année Brise et lui ouvrir bien des portes. En Formule Atlantic, sa Modus d’usine fait des merveilles et le jeune Anglais enchaîne pas moins de six victoires pour aller chercher le titre. Teddy Yip le fait également rouler en Formule 5000 aux Etats-Unis et Brise impressionne rapidement son monde. A Long Beach, il mène ainsi la course pendant un certain temps, devançant tous les pilotes réguliers de la discipline ! Mais le vrai tournant de sa carrière se dessine en avril, lorsqu’il reçoit un appel qui lance sa carrière en F1.

Frank Williams cherche un remplaçant à Jacques Laffite pour le Grand Prix d’Espagne, alors que le Français se bat pour le titre en Formule 2. Il décide donc de confier ce volant à Brise, se basant sur les performances de l’Anglais jusqu’ici. Qualifié 18ème, il remonte rapidement dans le classement et pointe même au sixième rang après 17 tours de course. Malheureusement, il est percuté par Pryce et dégringole au classement, pour finalement récupérer la septième place après 29 tours de course.

En tête, Stommelen est victime d’un terrible accident après avoir perdu son aileron arrière. La Embassy-Hill de l’Allemand qui menait alors la course finit sa course dans la foule et tue cinq personnes, donc quatre sur le coup. La course est arrêtée et seule la moitié des points est attribuée. Lella Lombardi devient à cette occasion la première femme à terminer dans les points en Formule 1 avec sa sixième place devant Brise. Laffite étant de retour à Monaco, il rend son baquet et retourne en Formule Atlantic, mais pas pour longtemps.

L’accident de Montjuïc a en effet perturbé Embassy-Hill. Au-delà des faits en eux-mêmes l’écurie de Graham Hill doit trouver un remplaçant à Stommelen, gravement blessé. Le double champion du monde tente de courir à Monaco, mais essuie une non-qualification. Triste fin de carrière pour celui qui gagna cinq fois dans les rues de la Principauté… Conscient qu’il est temps pour lui de raccrocher les gants, il décide de se pencher sur le cas Brise et l’invite à faire des essais sur l’Embassy-Hill GH1. Les chronos du jeune Anglais sont tels qu’il est intronisé pilote aux côtés de François Migault.

Pour sa première course en Belgique à Zolder, il impressionne déjà en se qualifiant septième sur la grille ! Hélas, il part rapidement en tête-à-queue et se retrouve en queue de peloton et abandonne plus loin sur casse moteur. 18ème au départ lors de la manche suivante en Suède, il remonte peu à peu dans le peloton, et marque son seul point de la saison en terminant sixième, dépassé par Donohue en fin de course. Septième aux Pays-Bas lors de la course suivante, il n’en finit plus de montrer tout son talent, bien que sa fougue l’envoie parfois dans le rail. C’est d’ailleurs à partir de cette course qu’il accueille un nouveau coéquipier, un certain Alan Jones.

Brise termine de nouveau septième en France, loin devant Jones qui ne fait pas mieux que 16ème. Il connaît son premier abandon en Allemagne suite à une rupture de châssis, alors que Jones termine cinquième et signe le meilleur résultat de l’écurie. Le jeune Anglais continue d’enchaîner les performances en qualifications, mais manque parfois de chance en course. Stommelen retrouve sa place en fin d’année mais sans marquer de points, et Embassy-Hill termine donc 11ème du classement constructeurs avec trois points. Brise lui est 19ème du classement pilotes avec un point.

Cependant, tous les espoirs sont de mise pour 1976. Brise est logiquement confirmé, et si la GH2 est réussie, le jeune Anglais a toutes les chances d’aller chercher les gros bras de la discipline. Après tout, Stommelen avait mené quelques tours en Espagne avant son accident alors qu’il était en tête… Mais c’est en ce 29 novembre 1975 que tout va basculer.

Toute l’écurie Embassy-Hill est alors au Castellet lors des essais hivernaux pour mettre au point la GH2. En fin d’après-midi, Hill, Pryce et quatre autres membres de l’écurie montent à bord du Piper Aztec piloté par Hill, pour rejoindre Londres dans la soirée. L’avion doit atterrir à l’aérodrome d’Elstree, mais le brouillard ainsi que la faible visibilité rendent l’atterrissage compliqué voire dangereux. Le double champion du monde F1 tente malgré tout de s’y poser, mais la manœuvre vire au drame. Son Piper, alors en position d’atterrissage, percute un arbre à environ 140m du sol et est pris dans une chute mortelle. Déséquilibré, il percute d’autres arbres, s’écrase au sol sur l’hélice avant de terminer sa course dans un taillis et de s’embraser. Les six occupants de l’avion sont tués sur le coup.

L’annonce fait l’effet d’un tremblement de terre dans le monde de la Formule 1. Avec cet accident, la discipline perd Graham Hill, sans conteste l’un de ses plus grands champions avec ses deux titres mondiaux. A ce jour, il reste le seul pilote à avoir gagné la Triple Couronne (Monaco, Indianapolis et Le Mans). Toutefois, elle perd aussi Brise, qui a 23 ans voit sa carrière et surtout sa vie brutalement stoppée dans cet effroyable accident d’avion. Embassy-Hill disparaît quelques semaines plus tard, décapitée par ce drame qui la laisse totalement démunie. Tony Brise rejoignait alors Piers Courage et Roger Williamson au paradis de la « génération perdue » du sport automobile britannique. Rapide et talentueux, certains observateurs voyaient en lui un futur champion du monde. Sans cet accident, sans doute aurait-il pu atteindre les sommets de la discipline, d’autant plus qu’il tenait en respect son coéquipier Alan Jones, champion du monde 1980. Par la suite, son nom est réapparu en Britcar par le biais de son neveu David, devenu lui aussi pilote automobile.

Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.

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