Génération perdue : Roger Williamson, prisonnier des flammes
Romain Grosjean nous l’a rappelé malgré lui : la Formule 1, et les sports mécaniques sont dangereux. Sans les réformes sécuritaires menées au fil des ans pour rendre le sport plus sûr, il aurait hélas rejoint une longue liste de pilotes partis trop tôt. Si nous avions déjà évoqué le cas des pilotes français, nous allons ce mois-ci revenir sur la « génération perdue » du sport automobile anglais. Pas moins de quatre pilotes anglais promis à un grand avenir dans les années 1970 ont perdu la vie dans des accidents, majoritairement en course. Roger Williamson est aujourd’hui le sujet de ce deuxième épisode.
Le Grand Prix des Pays-Bas 1973 est le théâtre de la neuvième manche de la saison. La bataille fait rage en tête de championnat entre Stewart et Fittipaldi, mais le peloton reste secoué par l’énorme carambolage survenu lors de la manche précédente à Silverstone. Pas moins de 10 voitures furent impliquées, mais cet accident va être supplanté par un autre accident autrement plus grave…
Né en 1948 à Ashby-de-la-Zouch, Roger Williamson accède au sport automobile par la voie du karting, qui déjà forme les champions de demain. Après de nombreux succès, il passe à l’étape supérieure avec l’aide de son père qui le soutient financièrement, conscient de son talent. Au volant d’une Mini Cooper, il enchaîne les victoires (pas moins de 14 succès), et en profite pour s’offrir sa première monoplace, une Cooper T71. Hélas, cette dernière est détruite dans l’incendie de son atelier…
Il se rabat donc sur une Ford Anglia et retrouve le chemin du succès, au point de voir sa carrière prendre un tournant. Tom Wheatcroft le remarque et décide de l’engager en F3 britannique pour la saison 1971. Williamson entre alors dans une nouvelle dimension avec cette opportunité en or et transforme l’essai avec la manière. Il gagne plus d’une dizaine de courses, gagne le trophée Lombard et termine second du trophée Shell, le tout en étant rookie ! Le British Racing and Sports Car Club le distingue en fin d’année en lui décernant le titre de « pilote de l’année ». Ses dauphins ? Jochen Mass, Jody Scheckter et Alan Jones…
Bis repetita en 1972, avec de nouveau des victoires à foison et deux nouveaux titres dans les trophées Shell et Forward Trust. De plus, Wheatcroft a réussi à assurer un partenariat avec GRD et Williamson court désormais en F2. Si ses performances sont plus modestes qu’en F3, il termine toujours et parvient même à gagner sa première course en Italie, ce qui continue d’asseoir sa réputation de grand espoir.Alors que ses grands débuts en F1 sont prévus pour 1974, Wheatcroft parvient à les avancer et lui trouve un volant pour le Grand Prix de Grande-Bretagne à Silverstone. Avec sa modeste March, Roger se qualifie à la 22ème place mais est hélas impliqué dans un énorme carambolage au départ. En milieu de paquet, Scheckter part à la faute, tape le rail et accroche Revson. Derrière lui, Hailwood le percute de plein fout et nombre de pilotes se retrouvent impliqués, dont Williamson dont le premier Grand Prix s’arrête ici. Une dizaine de voitures sont ainsi impliquées, mais heureusement tous les pilotes s’en sortent. Seul Andrea de Adamich est blessé aux chevilles et quitte le circuit en ambulance.
Le deuxième Grand Prix de Roger Williamson est donc le Grand Prix des Pays-Bas. Il se qualifie en 18ème position sur 24 voitures, et devance notamment son coéquipier David Purley sur la grille. Cette fois pas de carambolage au départ, et il profite de quelques abandons pour remonter dans le classement. Il se retrouve 13ème à la fin du troisième tour devant Purley et garde cette position, lorsque soudain…
Dans le huitième tour, son pneu arrière-droit explose dans Tunnel Oost, l’endroit où Courage avait perdu la vie il y a de cela trois ans. Sa March se retourne et glisse sur près de 300 mètres, avant de s’arrêter et de prendre feu. Williamson est indemne, mais prisonnier de sa voiture en flammes. C’est alors qu’un autre pilote va devenir le héros malheureux du jour.
Face à l’accident, son coéquipier David Purley arrête immédiatement sa voiture et court vers l’accident pour tenter de le sauver. Hélas pour lui, il se retrouve seul face au brasier. Les commissaires de piste sont totalement passifs, faute d’équipement et de formation adéquats, au point que Purley doit arracher de leurs mains le seul extincteur disponible. Il le vide ainsi sur la March en feu, essaie de la retourner, mais rien n’y fait et son coéquipier reste prisonnier de sa monoplace. La police quand à elle refoule des spectateurs qui comme Purley veulent sauver Williamson…
Il essaie de nouveau de retourner la voiture, car l’extincteur est vide et le brasier encore plus vif. Il essaie également d’avertir les autres pilotes de l’accident, mais ils pensent que la voiture qui brûle est celle de Purley. Et plutôt que de l’aider, un policier le force à s’écarter de l’accident. Purley résiste dans un premier temps, avant de se résigner et d’abandonner son coéquipier et ami à son triste sort. Sa démarche, ses gestes trahissent un chagrin terrible, car il sait Williamson condamné dans sa voiture. La March est ainsi retournée huit minutes après l’accident une fois le brasier éteint, mais Roger Williamson est déjà mort asphyxié.
Mais si jusqu’ici les accidents mortels étaient vus comme une sorte de fatalité inhérente à la discipline, celui-ci choque fortement les spectateurs. En effet, la télé retransmettait la course en direct, et ce sont des millions de personnes qui ont vu la scène. La mort de Williamson, l’héroïsme de Purley, la passivité des secours et l’indifférence des autres pilotes ont ainsi fait le tour du monde, montrant le côté sombre du sport automobile de l’époque. Pilotes et journalistes élèveront la voix suite à cet accident, d’autant plus qu’il aurait suffi de rapidement éteindre l’incendie pour le sauver.
Paradoxalement, aucune mesure immédiate ne sera prise par les autorités sportives, si ce n’est l’apparition de la voiture de sécurité. Elle fait ses débuts au Canada, mais provoque un chaos indescriptible dans le classement de cette course… Cette année 1973 verra un autre drame à Watkins Glen avec la mort de François Cevert. David Purley sera lui décoré de la George Medal pour avoir tenté de sauver son compatriote. Le pilote anglais sera lui aussi victime d’un grave accident quelques années plus tard, où il battra un record du monde malgré lui. Il survit ainsi à une décélération de près de 180 G ! Il se tue en 1985 dans un accident avec son avion personnel.
Roger Williamson était promis à un avenir radieux avec ses nombreux titres en Formule 3. Alors qu’il était capable de battre des pilotes qui se feront un nom en Formule 1 par la suite, sa trajectoire a été brisée au même endroit que Piers Courage trois ans plus tôt. Toutefois, il a été pour sa part victime de l’incompétence des services de secours qui l’ont condamné à une horrible agonie dans sa voiture en flammes. C’est ainsi qu’une fois de plus, le sport automobile angalis a perdu l’un de ses talents les plus prometteurs, qui aurait peut-être pu devenir l’un des plus grands de ce sport… mais nous ne le saurons jamais.
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Angélique Belokopytov
Fondatrice et rédactrice en chef. Amoureuse de la course et du journalisme depuis des années, le ronronnement des moteurs m'a bercée depuis ma plus tendre enfance et rythme mon quotidien. F1nal Lap a pour but de rapprocher les amoureux de la F1 au plus près du Paddock au travers d'un contenu original et recherché. F1nal Lap, la F1 comme vous ne l'avez jamais vue !