Formule 1,  Séries

Dans les yeux de Pierre : GP d’Europe 2007, Winckelhock sorti de nulle part

Être journaliste F1 implique presque toujours d’être passionné et de suivre le sport depuis un certain nombre d’années. Pour ma part, je regarde la discipline depuis 2004, aussi loin que je me rappelle, alors que je n’avais que 5 ans. ce cette époque, il me reste des flashs, des moments précis gravés en ma mémoire. Bien que ces courses n’aient pas toujours eu une signification particulière ou un retentissement immense, lors de cette série spéciale, nous allons les revivre ensemble.

Si j’avais expliqué dans l’article précédent tout l’amour que je porte à la Scuderia Ferrari depuis tout petit, il est une autre catégorie d’écuries que je soutiens tout autant : celles qui se battent en fond de grille, aussi appelées « backmarkers ». Véritable David bien souvent écrasés par les moyens investis par des Goliath comme Ferrari, il arrive parfois que les conditions de course les favorisent et les mettent en lumière, même si ce n’est que pour quelques tours.

C’est ainsi que je suis devant la télé avec mon père pour notre messe dominicale, ici le Grand Prix d’Europe, 10ème manche de la saison. A ce moment de la saison, ma Scuderia adorée est fortement malmenée par les McLaren d’Alonso, et surtout d’Hamilton, qui n’en finit plus de faire halluciner les observateurs. Il compte déjà 70 points sur 90 possibles, 12 de plus qu’Alonso, 18 de plus que Räikkonën sur la meilleure Ferrari, qui reste cependant sur deux victoires de rang et 19 de plus que Massa. Le duel McLaren-Ferrari à son apogée…

Cependant les qualifications voient Hamilton seulement 10ème sur la grille ! Une bien mauvaise opération pour le rookie anglais, alors que Räikkonën est en pole, devant Alonso et Massa. Les Spyker, descendantes des Midland monopolisent le fond de grille, Sutil est à une seconde et demie de Coulthard 20ème, et une seconde et demie devant son coéquipier d’une course, Markus Winckelhock. Il n’est autre que le fils du regretté Manfred, qui avait couru chez ATS et en sport-prototype avec Porsche, se tuant à Mosport en 1985. Son oncle Joachim, jamais préqualifié avec AGS en 1989 mais vainqueur au Mans avec 1999 avec Dalmas et Martini (autres pilotes de fond de grille en F1), s’est aussi fait un nom dans le monde du sport auto. Pour l’anecdote, Dalmas avait remplacé Winckelhock chez AGS en 1989, quand le Varois avait été viré de chez Larrousse. Dix ans plus tard, ils se sont offert ensemble la classique mancelle au volant de la BMW V12 LMR n°15, une voiture depuis iconique.

Partant dernier, il décide de tenter un pari osé, partant en pneus pluie alors que tout le monde choisit les slicks. Une averse est attendue juste après le départ… Je me rappelle encore de voir ces pneus rainurés sur sa Spyker, sans avoir la moindre idée de ce qu’il allait advenir ensuite…

Ce choix de pneumatiques va s’avérer être un véritable coup de maître, le circuit se retrouve noyé en à peine un tour ! Je vois ainsi tout le monde rentrer, sauf Räikkonen qui se rate dans le dernier virage et doit boucler un tour de plus en slicks, et devinez qui est en tête ? Winkelhock ! Sa Spyker est un véritable offshore et s’envole en tête, pendant que derrière, le premier virage devient une patinoire puis un cimetière pour voitures blessées. Je perds presque le compte tant de pilotes se font piéger, six au total… dont Hamilton ! Il n’est décidément pas verni pour son premier Grand Prix à domicile, mais il sera le seul à repartir. Sutil, Liuzzi, Speed, Rosberg et Button restent au tapis.

Bien évidemment, la safety car entre en piste pour éviter l’aggravation du carnage en cours, mais face aux éléments la course est interrompue deux tours plus tard, le temps que l’averse se calme. C’est ainsi que nous devons attendre plusieurs dizaines de minutes (et quelques pages de publicité, pour voir les voitures repartir en piste, sous régime de safety car. La course reprend ses droits au septième tour, et Markus Winckelhock, le héros du jour est irrémédiablement rejeté au fond du peloton, à mon plus grand désarroi. David s’est une fois de plus fait rouler dessus par un impitoyable Goliath…

Preuve de l’ingratitude dont peut faire preuve la discipline, l’Allemand voit sa course prendre fin au 13ème tour sur un problème d’hydraulique. Il était retombé en avant-dernière position, devant Hamilton alors déjà relégué à un tour d’une course cauchemardesque pour lui. Je vois encore sa Spyker fumante mourir dans l’herbe, fin d’un rêve qui l’aura vu mener six tours en Grand Prix. C’est plus que des pilotes du calibre de Stefan Johansson (3 tours), ou encore Martin Brundle qui a disputé 158 Grands Prix sans jamais mener le moindre tour, un record !

Devant, les choses sont plus ou moins revenues à la normale avec Massa en solide leader devant Alonso et Räikkonën, et forcément mes espoirs se reportent sur les bolides rouges de ma Scuderia. Hélas, Kimi est contraint à l’abandon sur problème hydraulique, et Alonso parvient à passer Massa à cinq tours de la fin. L’Espagnol s’impose donc devant le Brésilien, Webber, Wurz et Coulthard, tandis qu’Hamilton ne finit que 9ème et hors des points pour la première fois de la saison. Au championnat, Alonso et Massa reviennent respectivement à 2 et 11 points d’Hamilton, le grand perdant du jour avec Räikkonën.

Mais en ce jour-là, je n’avais d’yeux que pour cette Spyker qui avait réalisé un exploit incroyable en prenant la tête d’une course qui avait perdu tout sens. La pluie montrait une fois de plus que sa présence favorisait les stratèges et les audacieux, Winkelhock en faisant la démonstration avec brio avant que la réalité ne le rattrape bien trop vite. Encore aujourd’hui, les courses complètement abracadabrantesques où tout le monde ou presque peut gagner restent mes préférées et de loin. Le suspense est alors à son comble et tout peut arriver à chaque instant, ce qui aurait tendance à se perdre ces dernières années. Heureusement, il reste quelques courses (Bakou 2017 et 2018, Hockenheim 2019) pour nous démontrer le contraire… même si Goliath a toujours le dernier mot.

Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.

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