Australie Nostalgie : 2002, de l’apocalypse à un mini-triomphe local
Depuis 1996, le Grand Prix d’Australie est celui qui inaugure traditionnellement la saison de Formule 1. Seul le Covid-19 et les Jeux du Commonwealth en 2006 lui ont empêché d’assumer ce statut. Disputé depuis cette date à Melbourne, il a offert des courses parfois ennuyeuses, parfois riches en rebondissements. Retour aujourd’hui sur l’édition 2002, entre un départ chaotique et l’éclosion en Formule 1 de Mark Webber.
Michael Schumacher est-il en route pour un cinquième titre sans concurrence ? C’est la question qui est sur toutes les lèvres en ce début de saison 2002. L’Allemand est devenu la saison dernière l’égal d’Alain Prost en remportant un quatrième titre mondial, le plaçant désormais à une seule longueur de Juan Manuel Fangio. Il est également depuis le Grand Prix de Belgique le pilote ayant le plus gagné en Formule 1, avec à ce moment 53 victoires au compteur, deux de plus que Prost. Par ailleurs, Barrichello et lui s’alignent au départ avec des Ferrari… F2001 ! La nouvelle monoplace de la Scuderia n’est pas encore prête, et c’est donc la voiture de la campagne précédente qui reprend du service…
Derrière, l’annonce de la saison 2001 reste la décision de Mika Häkkinen de prendre une année sabbatique. Frappé par des soucis mécaniques à répétition et une certaine démotivation, le double champion du monde finlandais décide de prendre un peu de distance avec le monde de la Formule 1. Ce départ fait un grand déçu : Nick Heidfeld. Le jeune pilote allemand, auteur d’une belle saison chez Sauber, était le candidat n°1 à ce baquet, compte tenu de son rôle de pilote essayeur chez McLaren. Il est hélas supplanté à ce poste par la révélation de l’année 2001, son tout aussi jeune coéquipier Kimi Räikkönen. Arrivé chez Sauber avec seulement une vingtaine de courses au compteur au total en monoplace, il a suffisamment impressionné les pontes de McLaren, notamment Ron Dennis pour remplacer son compatriote. Heidfeld rempile donc chez Sauber avec un nouveau coéquipier cette fois supervisé par Ferrari, un certain Felipe Massa.
Une équipe qui s’en va et une autre qui la remplace, voilà comment résumer les histoires de Prost F1 et de Toyota. Après une année 1997 satisfaisante grâce au travail réalisé en amont par Ligier, l’aventure Prost F1 a tourné au fiasco sur les quatre années qui ont suivi. Excepté un podium miraculeux de Jarno Trulli lors du Grand Prix d’Europe 1999, l’écurie française a le plus souvent tenté de se débattre dans le ventre mou du peloton. La saison 2000 reste le paroxysme de ce désastre, avec aucun point marqué, une voiture encore plus hors du coup que les Minardi… Elle laisse sa place à Toyota, qui ne ménage pas ses efforts depuis début 2001 pour préparer son entrée dans la discipline, avec de nombreuses séances de tests avec une TF101 qui n’aurait cependant pas été performante en course. Second grand constructeur japonais à s’engager en tant que constructeur en F1 après Honda, Toyota doit cependant garder des ambitions assez modestes pour ses débuts. Elle peut cependant compter sur l’expérience de Mika Salo, alors qu’Allan McNish fait ses débuts dans la discipline après avoir roulé sa bosse en Endurance, avec notamment une victoire aux 24 Heures du Mans en 1998.
17 ans après, Renault revient en tant que constructeur en Formule 1. Le rachat de Benetton est désormais complètement concrétisé, et la firme au Losange retrouve le chemin des circuits en tant qu’écurie pour la première fois depuis 1985. Jenson Button a été conservé et se voit adjoindre Jarno Trulli, qui a été « échangé » avec Giancarlo Fisichella, parti épauler le rookie Takuma Sato chez Jordan. Un autre connaisseur des courses GT et Endurance fait aussi ses débuts, qui plus est à domicile : un certain Mark Webber découvre la discipline chez Minardi. Pilote Mercedes à l’époque des CLK-LM et CLK-LMR, il est l’un des deux pilotes à avoir décollé sur la bosse des Hunaudières en 1999…
Avec tous ces chamboulements, tout le monde espère avoir du beau spectacle pour le premier Grand Prix de la saison en Australie, comme il est de coutume depuis 1996. Et hélas, la déception est immense : les deux Ferrari sont en première ligne… avec le modèle 2001, seule voiture à descendre sous les 1.26 ! Personne ne fait mieux en ayant développé de nouvelles voitures, seuls Ralf Schumacher et Coulthard sont dans la même seconde ! Pire, Trulli est septième sur la grille mais est le seul pilote hors top 6 à concéder moins de deux secondes aux deux Ferrari… Sauf cataclysme au départ ou problèmes de fiabilité, la course devrait se résumer à une énième parade du cheval cabré.
C’est ce premier scénario qui aura finalement lieu, en deux temps. Ralf Schumacher réalise un départ canon et se retrouve dans l’aspiration de Rubens Barrichello… mais rate complètement son freinage. Emporté par son élan, il percute l’arrière de la Ferrari, décolle et retombe miraculeusement sur ses quatre roues avant de terminer sa course au fond du bac à graviers. Les deux pilotes en restent là, tout comme plusieurs de leurs poursuivants. Devant un tel carnage, Heidfeld se déporte dans l’herbe, perd le contrôle de sa Sauber et revient pleine piste, percutant en premier lieu Fisichella, Massa et Button, puis derrière McNish et Panis. A la surprise générale, la voiture de sécurité est de sortie… mais pas le drapeau rouge ! Cela signifie donc que les pilotes accidentés ne pourront pas reprendre la course sur leur mulet, ce qui nous laisse 14 voitures en piste. 14… voire 12, car les deux Arrows sont en piste, mais à plusieurs tours car elles ont calé lors du tour de formation. Bernoldi sera disqualifié pour avoir changé de voiture, alors que Frentzen le sera aussi mais pour ne pas avoir respecté la signalisation à la sortie des stands.
Après la neutralisation et divers arrêts aux stands suite à ce carnage, Coulthard est leader devant Trulli, Montoya, Schumacher, les Jaguar d’Irvine et de de la Rosa et les Minardi de Webber et de Yoong. Ces quatre derniers ainsi que Trulli sont passés dans l’œil du cyclone… pour peut-être aller marquer des points ? Hélas, le rêve s’arrête au début du neuvième tour pour l’Italien de Renault. Mis sous pression par Schumacher, il perd le contrôle de sa voiture dans le deuxième virage et termine sa course dans le mur, occasionnant une nouvelle sortie de la voiture de sécurité. Takuma Sato est dans le douzième tour le dixième pilote à abandonner dans cette course, le premier sur problème mécanique (électronique).
En tête, la bataille fait rage entre Montoya et Schumacher pour la tête de course. Le Colombien se défend bec et ongles contre l’Allemand, mais la Ferrari prend le dessus sur la Williams dans le 16ème tour. Derrière ce duel pour la victoire, les deux McLaren restent en embuscade, guettant la moindre opportunité. Qui plus est, elles n’ont en théorie rien à craindre de plus puisqu’elles devancent les Jaguar et les Minardi, qui sont à des années-lumière en termes de performance. Pendant ce temps, Trulli explique au micro de TF1 avoir perdu le contrôle de sa Renault sans trop savoir comment, étant passé de pilote à passager alors qu’il semblait en mesure de jouer le podium. De la Rosa pour sa part chute dans les profondeurs du classement alors qu’il était sixième et dans les points. Dans le 20ème tour, Schumacher est solidement installé en tête, devant Montoya et Räikkönen qui se battent pour la deuxième place. Quatrième, Coulthard est un peu plus loin mais toujours en embuscade, devant Irvine et Webber qui signe une performance phénoménale pour son premier Grand Prix. Il est ni plus ni moins que sixième donc dans les points, au volant d’une Minardi ! Il est poursuivi par Villeneuve et son coéquipier Yoong, qui devance De La Rosa et Salo, dixième et dernier.
Cependant Irvine passe quatrième, car Coulthard est ralenti par des problèmes de boîte de vitesses. L’Ecossais fait le forcing pour sauver ce qui peut l’être, mais force est de constater qu’il n’a que peu de chances d’aller au bout de l’épreuve. Doublé ensuite par Webber, il réintègre provisoirement les points dans le 29ème tour, lorsque Villeneuve alors sixième termine sa course dans le mur. Mais ses problèmes sont tels qu’il se fait doubler par l’autre Minardi… celle de Yoong ! Paul Stoddart n’en revient pas : ses deux voitures sont dans les points ! Le seront-elles jusqu’à l’arrivée ? Pour mémoire, seuls Pierlugi Martini et Luis Pérez-Sala ont amené les deux Minardi dans les points lors de la même course. Il faut alors remonter au Grand Prix de Grande-Bretagne 1989…
Alors que Coulthard abandonne définitivement dans le 36ème tour, laissant seulement huit voitures en piste, Jean-Louis Moncet s’inquiète au micro de TF1. Il a en effet vu les mécaniciens de Minardi sortir des bouteilles de champagne alors qu’il reste encore plus de 20 tours à parcourir et que Webber est aux stands pour ravitailler. On espère alors qu’ils ne subiront pas le même contrecoup que les Italiens lors de l’Euro 2000… d’autant plus que l’arrêt de Webber s’éternise pendant plus de 30 secondes ! Pour ne rien arranger, un autre pilote se fait menaçant sur les pilotes de l’écurie de Faenza. Retardé par les événements du départ, Mika Salo remonte sur les Minardi et prend la sixième place à Yoong qui vient de s’arrêter. Le Finlandais va-t-il également doubler Webber ?
Minardi contre Toyota, le David italien contre le Goliath japonais, voici le dernier duel de ce Grand Prix. Devant et derrière, les écarts sont trop grands pour espérer quoi que ce soit. Schumacher mène à sa main devant Montoya et Räikkönen, tandis qu’Irvine roule isolé à un tour en quatrième position. Webber et Salo sont à deux tours, Yoong septième à trois tours. et de la Rosa dernier à cinq tours. Webber souffre d’autant plus qu’il a perdu son dernier rapport, et voit Salo fondre sur lui tour après tour dans l’espoir de reprendre la cinquième place.
Tout se joue dans le 57ème et avant-dernier tour. Webber se défend âprement avec une voiture blessée face à Salo, refusant d’abandonner la cinquième place. La Minardi est toujours devant, et sent la pression de la Toyota derrière elle, bien plus rapide. Mais alors que Laffite pense que le Finlandais va passer sans trop d’efforts, ce dernier part en tête-à-queue dans le troisième virage. S’il peut repartir immédiatement, c’en est fini de ses espoirs de cinquième place.
C’est donc ainsi que s’achève ce premier Grand Prix de la saison 2002. Michael Schumacher s’impose dans cette course par élimination devant Montoya et Räikkönen, qui signe son premier podium en Formule 1. Quatrième, Irvine est certes à un tour mais ramène trois points aussi précieux qu’inespérés à Jaguar. Et que dire de Mark Webber, cinquième au volant d’une Minardi après une course exemplaire ! Ce sont les premiers points de l’écurie de Faenza depuis le Grand Prix d’Europe 1999 (et non 1997 comme annoncé par Pierre Van Vliet sur TF1), et les premiers points d’un Australien à domicile. Sixième, Salo ramène toutefois un point pour la première course de Toyota, qui est la première écurie à réaliser une telle performance depuis Prost en 1997. Yoong termine septième à trois tours, devant de la Rosa huitième et dernier à cinq tours.
Webber est célébré en héros à domicile avec une performance digne d’un futur champion. Il est le seul pilote de l’histoire à avoir marqué des points pour son premier Grand Prix avec Minardi. L’exploit est tel qu’il est autorisé à monter sur le podium en compagnie de Paul Stoddart, ce qui fait également de lui le seul pilote Minardi à être monté sur un podium de Formule 1.
Encore au-dessus du lot malgré une voiture vieille d’un an, telle est la situation de Ferrari qui peut sereinement préparer sa F2002. Schumacher a maîtrisé son sujet de bout en bout et a su éviter l’accident du départ pour idéalement lancer sa saison. Derrière lui, McLaren et Williams semblent réduites à récupérer les miettes, tandis que le reste du plateau devra espérer des abandons devant pour aller chercher des points. Le peloton semble résigné : Ferrari et Schumacher semblent partis pour régner sans partage ni concurrence sur cette saison 2002. Reste plus qu’à espérer un autre cataclysme désormais…
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Pierre Laporte
Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.