Grand Prix de Hongrie : un vieux rêve de Bernie Ecclestone
Le cirque de la Formule 1 se déplace cette semaine en Hongrie, rendez-vous incontournable du calendrier depuis 1986, soit 33 ans. Le tourniquet du Hungaroring est né de la volonté d’un homme, qui rêvait de courir par-delà le Rideau de Fer : Bernie Ecclestone.
Quand on regarde la politique de certains pays et les calendriers F1, force est de remarquer que le sport a souvent fait fi des tourmentes politiques. On a ainsi eu plusieurs Grand Prix d’Espagne sous le joug de Franco (1951 et 1954 à Pedralbes, puis les épreuves à Montjuic, notamment les éditions 1969 avec les accidents des Lotus et 1975, entre accident de Stommelen et demi-point de Lella Lombardi). Le Grand Prix du Brésil jusqu’en 1985, et donc les succès d’Emerson Fittipaldi ainsi qu’une partie de ceux de Nelson Piquet furent obtenus sous une dictature militaire ayant pris le pouvoir avec la complicité des Etats-Unis. L’apartheid faisait également rage à l’époque où la F1 courait à Kyalami en Afrique du Sud, et comptait dans ses rangs les frères Scheckter, Ian et le champion du monde 1979 Jody.
Au début des années 80, voyant que les dictatures n’empêchent pas forcément la F1 de se produire en spectacle, Bernie Ecclestone décide de tenter l’aventure de l’autre côté du Rideau de Fer. Son projet initial est ambitieux, puisqu’il désire organiser un Grand Prix d’URSS à Moscou ! Hélas pour lui, les négociations lancées en 1983 avec un gouvernement soviétique marqué par la mort récente de Brejnev n’aboutissent pas, et il doit trouver un autre pays pour essayer d’implanter la F1 à l’Est…
Il faut ajouter que les Soviétiques ont eu pendant de longues années un championnat national qui « suivait » les réglementations F1, mais faute de soutien, il fut finalement abandonné pour des championnats plus proches de la Formule Libre. Non reconnu au niveau international, il était seulement pourvu en voitures conçues en URSS, à une exception près et cette dernière a démontré la supériorité occidentale. En 1970, avec la possibilité d’importer des voitures de l’Occident, Yuri Andrejev décide d’aligner un châssis De Sanctis courant en F3 et de le coupler à un V8 Cosworth. Il pulvérise le championnat, au point que les autorités vont fortement taxer les importations pour éviter toute répétition d’un tel scénario.
Une fois les négociations abandonnées avec Moscou, Ecclestone se tourne vers la Hongrie, plus libérale que la capitale soviétique et qui n’a pas encore vu arriver Gorbatchev et ses politiques de Perestroïka (réformes économiques et sociales) et de Glasnost (transparence avec notamment plus de liberté d’expression). Bien aidé par la présence de Mihaly Terjek, diplomate hongrois au Brésil, le projet va finalement se conclure sur la construction d’un circuit permanent en dehors de la capitale, après que la piste d’un circuit urbain dans le centre de Budapest fut écartée.
La construction de la piste et de ses infrastructures commencent le 1er octobre 1985 en vue de l’organisation d’un Grand Prix l’année suivante. Les travaux sont accomplis en quelques mois, et le Hungaroring est inauguré le 24 mars 1986. La première course à y être organisée est une épreuve en hommage au pilote moto Janós Drapál, décédé l’année précédente dans un accident.
Ce ne sont pas moins de 350 millions de forints qui sont investis (un somme qui correspond aujourd’hui à 1,2 millions de dollars), mais le résultat est à la hauteur des espérances. Les infrastructures sont à la pointe de la modernité, et les hôtels, les aéroports ainsi que la télévision sont parfaitement aptes à recevoir pareil événement. La FOM rafle presque tous les revenus générés par la course (plutôt maigres cependant), laissant la billetterie aux organisateurs. L’édition 1986 attire 200 000 personnes venues de Hongrie, de Tchécoslovaquie, d’Autriche, de Pologne et même d’Allemagne de l’Est ! Bernie a décidément le nez fin…
Le circuit est un tourniquet de 4,3 kilomètres, qui ne compte qu’une ligne droite de 700 mètres. Qui plus est, la piste est plus étroite que la moyenne, la ligne droite des stands est large de 15 mètres et certaines portions ne dépassent pas les 10-11 mètres, ce qui rend les dépassements difficiles et offre à ce circuit une configuration type Monaco. On a donc un appui aérodynamique assez proche de ce qui se fait en Principauté, et la qualification ainsi que la stratégie prennent une place plus qu’importante pour aller chercher un bon résultat
Au fil des années, aidé par la chute de l’URSS, l’épreuve est devenue un incontournable du championnat, et comme à Monaco, on peut avoir soit d’interminables processions à dormir devant sa télé, soit des courses complètement dingues. Voici quelques moments marquants de l’histoire du premier Grand Prix en Europe de l’Est, qui en 33 éditions en a connu plus d’un…
Revivez les moments les plus forts du Grand Prix de Hongrie
200 000 personnes assistent à un duel épique pour la tête entre Piquet et Senna. Sur une piste neuve et donc glissante hors trajectoire, Piquet tente une manœuvre folle sur Senna au bout de la ligne droite, et passe le Pauliste en dérapant sur la partie sale de la piste ! Le Carioca s’impose devant Senna et Mansell relégué à un tour.
Nigel Mansell perd le Grand Prix dans les derniers tours sur la perte d’une roue alors qu’il menait la course, et laisse la victoire à Piquet devant Senna. L’attraction du Grand Prix reste les 3 tours en piste après la course de Csaba Kesjár, qui reste le premier pilote hongrois à piloter une F1. Au volant d’une Zakspeed, il a pour consigne de n’utiliser que les trois premiers rapports, ce qu’il oublie sur la fin en passant la quatrième… Ce jeune pilote hongrois se tuera un an plus tard lors d’une course en F3 allemande au Norisring, un accident dont les causes ne sont toujours pas claires, 30 ans après.
Mansell prouve au plateau F1 qu’une mauvaise qualification peut se rattraper en course, même sur un tel tracé. Parti en douzième position sur la grille, « Il Leone » parvient à remonter dans le classement jusqu’à prendre la tête dans le 58ème tour, au prix d’une manœuvre plus qu’audacieuse sur Senna. C’est alors sa deuxième victoire chez les Rouges, et il rejoint Baghetti, Clark et Peterson dans les pilotes à avoir gagné avec une telle position de départ.
Taki Inoue, surnommé « la chicane mobile du Soleil Levant » en raison de sa grande lenteur, rentre dans la légende de la F1, mais pas vraiment par la grande porte… Trois mois après avoir été percuté par Ragnotti à Monaco, il se fait de nouveau percuter par une Safety Car, devant les caméras ! Il s’en sort avec une jambe cassée, et en rit aujourd’hui, ainsi que de sa carrière F1 en général, assumant parfaitement son titre de « pire pilote de l’histoire de la F1 » ! Il reste quand même bien meilleur que Don Yuji Ide, qui en 4 Grands Prix a su se faire un nom comme Inoue…
Damon Hill, champion du monde en titre est parti à la surprise générale chez Arrows, choix similaire à celui de Fittipaldi fin 1975 de partir dans l’écurie de son frère. Dans une voiture qui se retrouve dans le ventre mou du peloton, il réalise une course incroyable, qui le voit mener à partir du 11ème tour ! Hélas, un problème hydraulique dans le dernier tour le prive d’une victoire totalement inattendue, et il doit se contenter de la seconde place derrière Villeneuve.
16 ans après Csaba Kesjár, la Hongrie voit enfin un de ses pilotes courir en Grand Prix. À la suite de la blessure de Ralph Firman, Zsolt Baumgartner participe à son Grand Prix national pour ses débuts dans la discipline. Relégué à 3 secondes de Fisichella, il abandonne sur casse moteur dans une course gagnée par Fernando Alonso. Nando devient le premier Espagnol à gagner en F1 et le plus jeune vainqueur d’un Grand Prix, battant un record vieux de 44 ans et la victoire de Bruce McLaren à Watkins Glen en 1959 (record battu par Vettel puis Verstappen).
Jenson Button bat le record de Mansell et s’impose en partant de la quatorzième place sur la grille. Dans le premier Grand Prix de Hongrie frappé par la pluie, il remonte rapidement 4ème et se joue parfaitement des conditions changeantes et des soucis de ses adversaires pour gagner pour la première fois après 113 courses d’attente. Il signe alors ce qui restera la dernière victoire d’un moteur Honda jusqu’au dernier Grand Prix d’Autriche.
En tête quasiment toute la course, Felipe Massa est victime d’une casse moteur à 3 tours de l’arrivée et est contraint à l’abandon, qui pèsera lourd à la fin de la saison. Heikki Kovalainen en profite pour s’imposer et gagner son seul Grand Prix en carrière, devant Timo Glock et Kimi Räikkonën.
En qualifications, Rubens Barrichello perd un ressort de suspension sur sa Brawn. La pièce d’un kilogramme rebondit sur la piste et percute de plein fouet le casque de Felipe Massa, qui perd connaissance et s’encastre dans le mur de pneus. Proche de perdre un œil, il revient à la compétition début 2010 sans séquelles physiques après plusieurs opérations et une longue convalescence.
Autrefois « coéquipiers » chez Ferrari, pour ne pas dire que Schumacher était un despote et que Barrichello était lui l’archétype du gars trop gentil qui acceptait presque tout, les deux pilotes se retrouvent en piste. Schumacher a fait son retour en F1 chez Mercedes tandis que le Brésilien a signé chez Williams. Dans le 65ème tour, Barrichello attaque Schumacher, et ce dernier le tasse contre le mur, au point que le Pauliste passe dans un trou de souris et en est quitte pour une belle peur. Il ne se prive pas pour enguirlander Schumacher, qui pour ce geste prend une pénalité de 10 places sur la grille du prochain Grand Prix.
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Pierre Laporte
Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.