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Cammie Sturch, pilote transgenre : «Racing with Pride»

La question de la transidentité est quelque chose dont personne ou presque ne parlait il y a quelques années, et qui reste encore peu évoqué en dehors du cas de Charlie Martin. Et pourtant, certains et certaines qui courent en compétition ou en sim-racing, dans l’ombre de leurs rivaux masculins. Rencontre avec Cammie Sturch, pilote transgenre anglaise de Formule Renault 2.0 sur iRacing pour Racing Pride.

Cammie Sturch, ce nom ne vous parle peut-être pas et pourtant, Cammie fait actuellement partie des meilleurs pilotes britanniques de Formule Renault 2.0 sur iRacing. Dans un univers très masculinisé, les femmes n’ont déjà que peu de place pour exister, les personnes transgenres sont totalement oubliées des grands médias, exception faite de Charlie Martin. Il y en a pourtant qui sont présentes et qui expriment leur talent notamment en sim-racing, comme le prouve Cammie.

Avant même de parler de ses capacités derrière un volant, elle fait montre d’un CV bien fourni, puisqu’elle est animatrice graphiste, spécialiste de l’animation et sim-raceuse semi-professionnelle. Un beau parcours qui l’a amenée à travailler pour de grandes entreprises.

“En tant qu’animatrice graphiste, j’ai travaillé sur un jeu mobile pour Adult Swim. J’ai également créé des animations pour des marques telles que Microsoft, Amazon Web Services, Nivea ou encore Nationwide, sans oublier l’industrie du sport automobile avec des entreprises telles que Racing Mentor ou Richard Morris Racing.”

Le virus du sport automobile

En parlant de sport automobile, comment a-t-elle attrapé le virus ? Pour elle, l’évidence s’est faite alors qu’elle était enfant. “L’un de mes plus anciens souvenirs est d’être assise à regarder en boucle le résumé de la saison F1 de 1992 que mon père avait enregistré sur une VHS, alors que j’étais gamine. Heureusement quelqu’un l’a reposté sur Youtube, et j’aime toujours autant la musique d’introduction.”

Le choix de son pilote favori s’est fait suite à cette vidéo, et de l’époque à laquelle elle a grandi. Née en 1986, vous pouvez tenter de deviner qui a été l’élu. “Mon père adorait la F1 au point d’emmener ma mère à Brands Hatch pour le Grand Prix la même année alors qu’elle détestait ça et qu’elle était enceinte de moi depuis 5 mois, je suis tombée amoureuse de Mansell. « Il Leone » m’a charmée en tant que pilote, pour sa détermination sans faille et les sacrifices qu’il a consentis contrairement à Senna, il a dû vendre tout ce qu’il avait pour accéder à la F1.” Malheureusement, habitant l’extrême sud-ouest de l’Angleterre et l’époque de son enfance ne lui ont pas permis de voir son idole courir.

« Nous n’allions qu’à Brands Hatch surtout pour y voir les championnats britanniques et mondiaux de Superbike. La F1 n’étant pas revenue à Brands Hatch depuis 1986 (NDLR : le carambolage du départ a notamment mis un terme à la carrière de Jacques Laffite).

L’événement le plus prestigieux sur lequel nous nous sommes rendus fut la première épreuve de l’histoire du A1 GP en 2005, qui avait lieu à Brands Hatch justement. Même si j’ai eu l’opportunité de rencontrer le pilote australien, je n’ai pas vraiment pu parler avec des pilotes considérés comme connus.”

Participer à des événements de cette ampleur permet aussi de rencontrer d’autres personnalités du sport automobile, comme lors de la dernière manche des W Series, à Brands Hatch bien évidemment. “Lors de cet événement, j’ai pu rencontrer Sarah Moore, Matt Bishop, directeur de la communication des W Series ayant auparavant officié chez McLaren, Charlie Martin, pilote transgenre en GT et qui espère courir au Mans en 2020, ainsi que Richard Morris, le fondateur de Racing Pride.”

Son amour pour Mansell l’a gardée proche de la discipline reine du sport automobile qu’elle suit avec passion. “J’adorerais rencontrer Lando Norris, j’apprécie beaucoup son optimisme, son dynamisme et son côté pitre. Il semble être vraiment amusant et ne pas trop se prendre au sérieux en dehors du cockpit”.

C’est avec ce CV du sport automobile que Cammie se tourne vers le sim-racing. Et se confronter à des pilotes « classiques » sur son simulateur se fait parfois avec succès, comme lors d’une courte session de jeu sur Gran Turismo Sport, où elle était deux secondes plus rapide que Charlie Martin à Brands Hatch au volant d’une Super Formula.

La vraie comparaison aura lieu, je l’espère, l’an prochain quand nous irons à Cranfield Simulators ensemble, ce qui serait une réelle opportunité de montrer à Charlie et à la communauté du sport auto en général de quoi je suis capable quand on me donne l’équipement nécessaire.
Cammie Sturch
Pilote sim-racing transgenre
Méfiez-vous des apparences : le sim-racing coûte cher !

En effet, si vous croyez que le sim-racing se limite à jouer avec une manette classique sur n’importe quel ordinateur ou télévision, détrompez-vous ! Courir en compétition à ce niveau demande un équipement spécifique : écran, cockpit, ordinateur… Bien évidemment, tout cela représente un budget qui peut atteindre des dizaines de milliers d’euros, soit une saison en karting !

“Actuellement, mes performances sont limitées par mon faible budget. J’étais animatrice graphiste dans un studio de développement de jeux mobiles et il a fermé ses portes juste après que nous ayons terminé le projet pour Adult Swim. Avec peu d’argent et peu de travail à venir, je n’ai pu acheter de nouveaux circuits sur iRacing, ni acheter un réel écran dédié au sim-racing. Je dois utiliser un Oculus Rift qui provoque des douleurs oculaires et des maux de tête au bout d’une heure.”

Si courir en sim-racing demande un certain investissement financier et pas mal de temps, même un tel niveau de compétition ne rapporte pas forcément d’argent.

“Pour le moment je ne tire aucun salaire du sim-racing, seulement de mon travail en tant que graphiste – mais plus j’y connais de succès, plus je peux investir d’argent et de temps dans le sim-racing et ainsi améliorer mes résultats actuels”.

Cammie Sturch au volant
Par conséquent, quid de la communauté sim-racing ?

En effet, iRacing qui en est l’un des piliers est exclusivement jouable en multijoueur quelle que soit la voiture utilisée, ce qui donne un côté communautaire important. En effet, la communauté est tellement énorme qu’il est difficile d’en faire le tour. Il est même parfois préférable de se focaliser sur une ou quelques catégories.

Je me suis fait de bons amis parmi mes rivaux en Formule Renault 2.0. Pour ma première saison, je me suis classée seconde derrière un joueur au pseudo de Szabolcs, qui est 2ème du classement mondial cette année. De mon côté, j’espère finir aux alentours de la 15ème place mondiale et sur le podium de mon championnat même si je suis assurée de finir dans le top 5. Je suis également l’une des trois meilleures pilotes britanniques de Formule 2.0 sur iRacing.
Cammie Sturch
Pilote sim-racing transgenre

De jouer ainsi impose bien évidemment d’avoir des jeux favoris, et le top 3 est composé d’iRacing, Gran Turismo Sport et le classique Sega Super Monaco Grand Prix sur Megadrive. Quant au type de voiture préféré, elle rêve de la Lotus Elise.

“La voiture de conception la plus proche d’une Elise que j’aie eue était une Smart Roadster, et de toutes les voitures que j’ai possédées, elle reste celle avec laquelle j’ai pris le plus de plaisir. J’ai une Fiesta ST que j’ai achetée quelques mois avant que le studio de jeux vidéo ne fasse faillite, mais la Smart Roadster reste plus fun.”

Pilote transgenre : un sujet tabou ?

Un peu plus tôt, nous avions évoqué Richard Moore, pilote de course mais surtout co-fondateur de Racing Pride avec Christopher Sharp. Fondé cette année en collaboration avec Stonewall comme une initiative pour promouvoir des personnes de la communauté LGBT dans les sports mécaniques, qu’ils soient pilotes, mécaniciens, journalistes ou comme moi sim-racers, Richard a en effet dû faire face à de nombreuses difficultés.

Comme il a commencé sa carrière en assumant pleinement son homosexualité, il a subi beaucoup de moqueries, de jugements juste pour avoir eu le courage de dire qui il est. Une des ambassadrices de Racing Pride, la pilote Charlie Martin est à ma connaissance la seule femme transgenre à courir dans les hautes sphères de la compétition automobile – et je l’espère devrait courir au Mans en 2020 sur une LMP2.”

Il est triste de dire cela, mais à certains égards le sport automobile reste assez manichéen et peut se montrer faiblement sensible aux diverses évolutions sociales.

Quand tu es lesbienne, gay, bisexuel ou transgenre, cela peut être terriblement décourageant dans les sports mécaniques car tu te sens très seul et que tu ne sais pas comment les gens autour de toi vont réagir. La plupart de ces pilotes doivent garder cela secret par peur de perdre leur baquet ou carrément de voir toute chance de faire partie du sport qu’ils chérissent s’envoler.
Cammie Sturch
Pilote sim-racing transgenre

Cependant, les évolutions se font bon gré mal gré et si le sport automobile ne possède pas de pilote d’une envergure similaire à celle de Megan Rapinoe en football, certaines arrivent à faire leur trou et à donner espoir à d’autres.

“Pour moi qui suis une femme transgenre, c’est exceptionnel d’avoir un modèle comme Charlie Martin, et pour de jeunes pilotes lesbiennes, avoir Sarah Moore comme modèle qui court en W Series est aussi une chance inouïe pour elles.”

Qui plus est, des pilotes comme elle permettent peu à peu de briser les tabous et d’aider d’autres pilotes à ne plus se cacher.

Cela montre que tu n’es pas seule, que tu seras acceptée et que ce qui devrait importer est ton amour, ta passion pour le sport et ta vitesse sur le circuit, non pas ta sexualité ou ton genre. De voir le sticker Racing Pride sur une voiture te rassure… et te fait sentir acceptée et en sécurité, ce que devrait ressentir chaque pilote car les sports mécaniques sont l’un des seuls sports où tout le monde peut performer à même niveau sans notion de genre. »

Racing Pride est une structure finalement assez jeune, mais qui possède de bons ambassadeurs.

“Ils n’existent que depuis six mois mais m’ont énormément aidé au niveau des accès au sport automobile. Je les ai contactés pour la première fois sur Instagram vers juillet/août alors qu’ils étaient encore qu’à leurs débuts en tant qu’association représentative des personnes LGBT dans les sports mécaniques, pour savoir s’ils voulaient être représentés dans le sim-racing, ce qu’ils ont accepté. J’ai ainsi designé la livrée pour Racing Pride de la Formule Renault, approuvée par Thierry Courtois qui est le designer de Racing Pride mais aussi celui de Mahindra en Formule E.”

Faire cette livrée et ainsi preuve de son talent de graphiste a ainsi agi comme un catalyseur avec l’organisation.

“Richard Morris a été ensuite très agréable, ravi par mon enthousiasme pour Racing Pride et m’a aidé pour rencontrer Sarah Moore, Matt Bishop et Charlie Martin lors des W Series. J’ai eu un peu parlé à Charlie sur Instagram mais de faire partie de Racing Pride m’a grandement aidée.”

C’est ainsi qu’elle prend des initiatives et se fait sa place dans le milieu.

“Je me suis ainsi portée volontaire pour tenir le stand Racing Pride lors du Motorsport Day Live à Silverstone en novembre dernier, où j’ai eu la chance de rencontrer pour la première fois Richard et Chris en personne. Ce fut clairement l’un des plus beaux week-ends de ma vie.”

Design de la livrée
Ce partenariat avec Racing Pride va-t-il donner de nouveaux objectifs ?

“Avec leur aide et une augmentation des offres de travail en design ou en sponsoring de sim-racing, j’ai pour plan d’obtenir une licence de pilote l’année prochaine et de participer à des courses de karting. Après mon rêve serait de courir en Formule Renault ou en Formule 4, mais à presque 33 ans, je suis hélas trop âgée et pas assez fortunée pour me lancer dans une telle aventure. Cependant je ne dis pas non pour tester une Formule 4 si l’opportunité se présente.”

Pour celles et ceux qui souhaiteraient la voir à l’œuvre, elle possède sa chaîne YouTube qu’elle alimente modestement. “Il n’y a qu’environ cinq vidéos dessus, vu que les choses font que je ne peux pas m’y consacrer comme je le souhaiterais. Comme je l’ai expliqué, dans l’idéal il me faudrait un bon set up d’écran plutôt qu’un Oculus Rift, ainsi qu’une bonne caméra et un bon éclairage, pour que les gens me voient courir en direct plutôt que de montrer des replays. Peut-être une future carrière de streaming en vue ?

Cammie, prétendante e-sport

En attendant, chaque événement est une occasion à saisir, comme celui organisé par Fordzilla (l’équipe e-sport de Ford) à la Red Bull Gaming Sphere de Londres pour sélectionner les meilleurs joueurs anglais pour les représenter sur la scène eSport.

 “L’événement se tenait sur deux jours était ouvert à tous, proposant de jouer à Forza Motorsports 7 et Gran Turismo Sport. Je me suis concentrée sur ce dernier car je n’ai aucune expérience de Forza. Il s’agissait d’une série de courses contre trois pilotes sur le circuit de Brands Hatch et les récompenses étaient doubles : les pilotes les plus rapides sur un tour gagnaient des PS4 ou des Xbox One, et le top 10 (basé sur les meilleurs temps au tour et les positions d’arrivée) était sélectionné pour le Team Fordzilla.” De telles perspectives sont on ne peut plus alléchantes, surtout quand on éprouve des difficultés à trouver du budget pour courir à son réel niveau avec l’équipement adapté. Mais face à des milliers d’autres participants, quel fut son résultat final ?

J'étais la première arrivée sur place, la première à signer des temps et j'ai gardé la première place pour la majeure partie de la journée. Parfois quelqu'un d'autre prenait la tête mais je parvenais toujours à reprendre mon bien. Il y a eu une dispute parce que quelqu'un croyait que son temps n'avait pas été sauvegardé alors qu'il était 3 dixièmes de seconde plus rapide que moi. Ses protestations n'ont pas eu de suite vu qu'il n'y avait aucune photo pour prouver ses dires. Nous devions utiliser des Ford Mustang GT3. Le meilleur temps fut en 4'23"3 (trois tours de Brands Hatch dans une course à 4) et le format de course rendait cette conquête du meilleur temps assez compliquée si jamais on se retrouvait à se battre contre les autres pilotes.
Cammie Sturch
Pilote sim-racing transgenre

Toutefois, cette superbe performance lui permet ainsi de passer à l’étape suivante.

“Je vais rencontrer les pilotes français, espagnols et allemands de Fordzilla. Nous aurons ainsi à notre disposition le meilleur équipement et les meilleurs coachs possibles pour améliorer et affiner nos compétences”.

Ou comment encore améliorer un niveau de pilotage déjà très bon pour atteindre l’excellence et courir aux côtés des meilleurs de la scène eSports.

Vous pouvez retrouver Cammie sur Instagram (@cammieracing) ainsi que son portfolio sur www.cammiesturch.com, où vous pourrez voir une bonne partie de ses travaux.

Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.

Un commentaire

  • Lionel Rosière

    Bizarrement des sports comme le cyclisme ou le canoé ont été plus ouvert que le sport auto. Robert Millar qui fut l’un des meilleurs grimpeurs des années 80, était hermaphrodite et bi et pourtant il a survécu à une enfance dans les bas fond de Glasgow avant d’affronter un milieu qui à l’époque ne voulait même pas des femmes des coureurs. Après sa carrière il a changé de genre et est devenu Philippa York une des plus les plus appréciées du milieu du journalisme sportif papier anglais. Après sa femme et aussi un cas, une des premières pompières d’écosse. En canoé pareil l’un des deux vice champion olympique en C2 à changé de genre et je sais qu’à l’époque où mon père courrait avec, ça ne leur posait pas de pb.

    Perso je vais faire une vidéo sur Armani Williams, la semaine pro, qui est non seulement noir, mais aussi le premier pilote Asperger dans une discipline de haut niveau, en 3ème division NASCAR.

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