Séries

Les records indésirés : Andrea de Cesaris, l’homme à ne pas battre

Au-delà du sport et de la course en elle-même, la Formule 1 représente tout un tas de records dans divers domaines. Si certains comme Lewis Hamilton ou Max Verstappen brisent les plus prestigieux, d’autres en détiennent de moins enviables… Nous allons ainsi revenir sur ces records dont personne ne veut, et nous allons terminer avec le maître en la matière : Andrea de Cesaris.

La Formule 1 a de commun avec la littérature d’avoir à la fois ses héros et ses anti-héros. Certains pilotes comme Schumacher ou Hamilton ont atteint le panthéon glorieux de la discipline. D’autres comme Senna ou Clark pourraient en être les saints, fauchés en pleine gloire et laissant à leur carrière comme un goût d’inachevé. Cependant, il est des dizaines de pilotes qui ont eux leur place dans ce qui pourrait être un purgatoire d’où ressortirait un nom : Andrea de Cesaris.

Nous aurions pu évoquer Taki Inoue, Yuji Ide et bien d’autres, mais le pilote italien est le spécialiste des records dont personne ne veut. Né à Rome en 1959, Andrea fait comme tout le monde ses classes en karting avec succès. Il devient champion du monde de la discipline en 1977, ce qui lui permet de commencer en monoplace l’année suivante, dans le championnat britannique de F3. En 1979, il découvre cette fois la F2 dans l’écurie Project Four dirigée par un certain Ron Dennis. Il gagne ainsi sa première course lors de sa deuxième saison après y avoir enchaîné les podiums.

Cette performance ainsi que le soutien financier que lui apporte Philip Morris lui ouvre les portes de l’écurie Alfa Romeo pour les deux derniers Grands Prix de la saison 1980. L’écurie italienne cherche un remplaçant à Patrick Depailler, décédé dans des essais en Allemagne et le Romain voit là une première occasion de faire ses preuves. Il se montre immédiatement véloce avec deux qualifications dans le top 10 mais ne peut rallier l’arrivée. Ces deux abandons sont les premiers d’une longue liste… Outre ses performances, il est rapidement célèbre pour être quelqu’un de très nerveux et parcouru par des tics physiques en tout genre.

Andrea de Cesaris - GP Canada 1980 ©Motorsport Images

C’est suffisant pour Ron Dennis, qui l’engage chez McLaren en 1981 en remplacement d’Alain Prost et l’associe à l’expérimenté John Watson. Avec la nouvelle McLaren MP4/1 et son châssis en fibre de carbone, tous les espoirs sont permis… mais Andrea va tout gâcher. Sa vitesse n’a d’égal que sa fougue et il tutoie si souvent les limites qu’il va régulièrement faire un tour dans les barrières. Pour sa première saison complète en F1, il plie pas moins de 18 châssis (!) et ne marque qu’un seul point de toute la saison. Il gagne ainsi le sobriquet d’« Andrea de Crasheris », qu’il garde toute sa carrière et se voit logiquement renvoyé par Ron Dennis.

Il rebondit chez Alfa Romeo en 1982 et fait montre de sa belle vitesse de pointe en signant la pole position à Long Beach, qui reste la seule pole de sa carrière. Encore plus agité qu’à l’accoutumée, il ne tient que 15 tours face au double champion du monde Niki Lauda avant de se mettre dans le mur une vingtaine de tours plus tard. Entre accrochages et casses mécaniques, faute à une Alfa Romeo 182 peu fiable, il réalise paradoxalement son meilleur résultat de la saison à Monaco. Dans le coup pour la victoire jusqu’au bout, il ne termine que troisième, tombant en panne d’essence alors qu’en piste tout le monde abandonne (pour revoir ce Grand Prix au dénouement incroyable, c’est ici !). Il est cependant conservé pour 1983, qui reste sa meilleure année en Formule 1. Si la fiabilité de sa voiture est toujours aussi désastreuse, il signe deux deuxièmes places et doit abandonner à Spa alors qu’il est en lice pour la victoire jusqu’à la mi-course.

Cependant, il fait le choix surprenant de rejoindre Ligier en 1984 en compagnie du néophyte François Hesnault. L’écurie française sort d’une saison blanche avec Jarier et Boesel, et s’en remet à un débutant et au pilote le plus fougueux de la grille pour briller… Le Romain marque les seuls points de l’écurie (5ème en Afrique du Sud et 6ème à Saint-Marin), mais obtient tout de même d’être reconduit pour 1985. Il signe son seul gros résultat de la saison à Monaco avec une 4ème place, mais va surtout se faire remarquer pour une autre raison…

Andrea de Cesaris sur sa Ligier JS23 en 1984

Lors du Grand Prix d’Autriche cette saison, le Romain évolue en 11ème position lorsque dans le 15ème tour, il met une roue dans l’herbe dans la courbe Texaco. Fougueux comme à son habitude, il continue d’accélérer et se retrouve embarqué dans une terrifiante série de tonneaux. Sa Ligier JS25 atterrit sur le fond plat, et a protégé l’imprudent Italien puisqu’il est miraculeusement indemne ! Mais Guy Ligier est littéralement furieux, conscient que le pire a été évité de peu. Andrea casse tôle sur tôle, tant et si bien qu’il est mis à pied après le Grand Prix suivant aux Pays-Bas. Le chef d’écurie vichyssois trouve ainsi l’occasion de se débarrasser d’un pilote qui lui coûte très cher et le remplace par le jeune Philippe Streiff.

De Cesaris retrouve un volant en 1986… mais chez la petite nouvelle Minardi, qui est passée à la F1 sans jamais avoir réellement brillé en formules de promotion. Au volant d’une voiture lente et qui plus est affreusement peu fiable, il ne termine que huitième au Mexique, non sans avoir cassé plusieurs moteurs Motori Moderni. Cette huitième place met fin à une série de 18 abandons consécutifs, un record qu’il va s’empresser d’améliorer et ce dès l’année suivante.

Il parvient à migrer chez Brabham en 1987, mais l’écurie qu’il rejoint a perdu le lustre des années Piquet. La nouvelle BT56 a possiblement été conçue pour du contre-la-montre uniquement, car le Romain ne termine pas une seule course de la saison entre casses mécaniques et pannes d’essences ! Plus incroyable encore, il est malgré tout sur le podium du Grand Prix de Belgique, une performance aussi miraculeuse que la solidité de sa Ligier en Autriche deux ans plus tôt…

Andrea de Cesaris passe chez Rial en 1988

Nouvelle saison et nouvelle écurie pour 1988, et cette fois il atterrit chez Rial, dirigée par le colérique Günther Schmidt. Ce dernier fait son retour en F1 après avoir dirigé ATS entre 1977 et 1984, et il engage donc de Cesaris pour toute la saison. Au volant de la ARC1 dessinée par Gustav Brunner, il se qualifie régulièrement en milieu de grille et termine 4ème aux Etats-Unis, résultat qui met fin à une série cette fois de 22 abandons ! Heureusement que sa Minardi avait tenu le choc au Mexique en 1986, ou la série aurait été de 41 abandons… Mais la Rial est une fois de plus aucunement fiable et Schimdt répudie le pilote italien en fin de saison.

Il part donc pour la BMS Scuderia Italia en 1989 et y reste pendant deux saisons. Si l’on excepte son cinquième et dernier podium en carrière au Canada en 1989, il ne fait rien d’exceptionnel puisqu’il abandonne ou termine hors des points. Qui plus est, cette performance rattrape sa bévue incroyable aux Etats-Unis lors de l’épreuve précédente, où il accroche son coéquipier Alex Caffi qui était quatrième et un tour devant lui… Du de Cesaris dans le texte.

Mais il va créer la surprise en 1991 en signant chez Jordan. Au volant d’une voiture plus fiable, quelque peu assagi (il fallait bien !), il parvient à régulièrement marquer des points et manque de peu le podium en Belgique. Dans le rythme de Senna toute la course, son moteur le trahit alors qu’il ne reste que trois tours à parcourir. Mais quand on voit qu’il était qualifié quatre places derrière un néophyte répondant au nom de Michael Schumacher, on se dit qu’il n’est plus aussi rapide qu’il l’eût été il y a quelques années…

Les années d'Andrea chez Tyrell sont en demi-teinte. GP du Japon 1993 ©Motorsport Images

Ses deux années Tyrrell sont l’illustration du jour et de la nuit. Il domine Olivier Grouillard en 1992 et termine régulièrement dans les points, ce qui lui permet d’être reconduit pour 1993. Hélas, cette saison est un véritable cauchemar. Les Tyrrell 020C et 021 sont lentes, sous-motorisées, et de Cesaris ne fait jamais mieux que 10ème. La conséquence de ce manque de performances est que le Romain et son coéquipier japonais Ukyo Katayama sont condamnés au sur-pilotage pour essayer d’arracher un résultat. C’est ainsi que les deux pilotes se livrent malgré eux à un concours de cabrioles où chacun fait valoir ses atouts…

L’Italien se retrouve sans volant de titulaire à la fin de cette saison mais se voit offrir deux remplacements dans la saison. Il prend tout d’abord la place d’un Eddie Irvine banni pour trois courses, et sort de la piste à Imola, un accident anecdotique compte tenu de la situation tragique en piste (morts de Senna et Ratzenberger). Il est alors le seul sur la grille avec Alboreto qui a déjà vu un de ses adversaires se tuer en piste (Villeneuve et Paletti en 1982). Cependant, il signe de nouveau un bon résultat à Monaco avec une 4ème place, puis rend sa place à Irvine.

Mais à Monaco justement, Karl Wendlinger est victime d’un terrible accident qui l’envoie à l’hôpital et lui ôte toute chance de recourir de la saison. Andrea assure ainsi un intérim de neuf courses et marque son dernier point en France avec une 6ème place noyée au milieu de huit abandons. Mis au courant que l’Autrichien récupèrerait son volant pour 1995 quoi qu’il arrive, il quitte l’écurie helvète après le Grand Prix d’Europe et ne revient plus jamais en F1.

Andrea de Cesaris

On ne le reverra en compétition qu’en 2005, dans le cadre des Grands Prix Masters où il termine quatrième de la première course après une grosse bataille avec Derek Warwick. Andrea de Cesaris perd la vie le 5 mai 2014 dans un accident de moto alors qu’il roule sur une autoroute italienne. Il laisse derrière lui une multitude de records :

Andrea de Cesaris est passé d’un pilote fougueux plus souvent dans le mur que sur la piste, d’un destructeur de tôle à un pilote expérimenté capable de ramener de beaux résultats s’il reste en course. Il lui a clairement manqué la force mentale nécessaire pour accomplir une grande carrière, au lieu de quoi il a accumulé les accidents et les erreurs bêtes. Pas non plus épargné par les casses mécaniques quand il parvenait à faire de belles performances, il lui aurait fallu réellement briller dès 1981 chez McLaren pour pouvoir prétendre à une place dans une écurie de pointe.

Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

%d blogueurs aiment cette page :