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Les records indésirés : Luca Badoer, plus de larmes que de points…

Au-delà du sport et de la course en elle-même, la Formule 1 représente tout un tas de records dans divers domaines. Si certains comme Lewis Hamilton ou Max Verstappen brisent les plus prestigieux, d’autres en détiennent de moins enviables… Nous allons ainsi revenir sur ces records dont personne ne veut, et cette fois focus sur Luca Badoer, pour qui la zone des points fut un rêve inaccessible…

Nombreux furent les pilotes italiens à tenter leur chance en Formule 1 notamment jusqu’au début des années 2000, mais rares étaient ceux qui se faisaient une place au soleil. Dans les années 90, la plupart d’entre eux échouaient dans des écuries de seconde zone comme Minardi ou la Scuderia Italia, et Luca Badoer ne fit pas exception à la règle.

Né en 1971 à Montebelluna en Vénétie, le parcours de Luca jusqu’à la Formule 1 est assez classique. Comme tous les pilotes de cette époque, il se fait tout d’abord un nom en karting en devenant champion national à trois reprises entre 1986 et 1988. Fort de ses succès, il accède à la monoplace et domine de nouveau le championnat national en 1990 et 1991, mais cette fois en Formule 3.

Toutefois, c’est la saison 1992 qui le révèle aux yeux du paddock de la Formule 1. Il débute alors en Formule 3000 chez Crypton Racing aux côtés de Michael Bartels, qui sort de quatre non-qualifications pour Lotus dans la discipline reine. L’Allemand ne pourra rien faire face au brio de son jeune coéquipier, qui remporte pas moins de cinq courses et le titre alors qu’il est rookie ! Badoer est ainsi quasiment assuré de courir en Formule 1 en 1993… mais où ?

Luca Badoer - 1993

Finalement, ses débuts ont lieu avec la Scuderia Italia, qui s’est séparée de Dallara et qui confie la construction d’une nouvelle voiture à Lola. Il est qui plus est associé au vétéran Michele Alboreto, vice-champion du monde 1985 et qui arpente désormais les fonds de grille plus que les podiums… Malheureusement pour les deux pilotes transalpins, la Lola T93/30 est un ratage total. Elle ne laisse aucune chance de briller à ses pilotes tant elle se traîne à plusieurs secondes des Williams et autres McLaren. Badoer parvient cependant à terminer septième à Saint-Marin, et il ne le sait pas encore, mais cela restera son meilleur résultat en Grand Prix.

La Scuderia Italia ne termine même pas la saison 1993 afin de fusionner avec Minardi et essayer d’avoir une écurie correcte plutôt que deux écuries en fond de grille. Toutefois, Benetton lui offre une superbe chance avec un test pour une possible titularisation en tant que coéquipier de Michael Schumacher. Hélas, le rêve vire au cauchemar puisque l’Italien termine dans le mur sa saison 1994 avant même de l’avoir commencée. Le Finlandais J.J.Lehto lui est alors préféré… et il ne marque qu’un point, mal remis d’un gros accident en essais. Badoer lui se retrouve pilote d’essais pour Minardi, qui préfère l’expérience d’Alboreto.

Lorsque ce dernier part à la retraite fin 1994, Badoer prend logiquement sa place dans la petite écurie italienne et se retrouve associé à Pierluigi Martini. Hélas, les belles promesses de 1993 ne se concrétisent pas et au volant d’une voiture fiable mais au V8 Cosworth anémique au possible, Badoer est dominé par Martini, puis par le Portugais Pedro Lamy. Ce dernier lui inflige le coup de grâce en terminant sixième en Australie grâce à une cascade d’abandons, alors que l’Italien ne fait pas mieux que huitième au Canada et en Hongrie. Il se voit donc remercié en fin de saison et rebondit chez Forti en 1996.

Enfin, tout est relatif puisqu’il se retrouve au volant d’une voiture encore plus lente que sa Minardi de l’an passé ! Il ne dispose que d’une F3000 grandement améliorée qui tourne à plus de 6-7 secondes de la pole, tant et si bien que la qualification est un exploit en soi ! La saison tourne rapidement au fiasco faute d’argent et ce malgré l’apparition d’une nouvelle voiture à partir de Saint-Marin, et sa saison prend officiellement fin après le Grand Prix de Grande-Bretagne et la disparition définitive de l’écurie.

Il est plus moins forcé de prendre une année sabbatique en 1997. S’il participe à des essais avec Minardi pour obtenir un volant, il n’amène pas d’argent avec lui et se voit donc doublé par des pilotes comme Esteban Tuero qui bénéficient de l’appui d’un grand sponsor. Il prend donc son mal en patience en courant en FIA GT, mais sans réel succès à cause d’une Lotus Elise GT1 aussi compétitive que ses anciennes F1…

Lassé de tant de déceptions, il rejoint le giron de la Scuderia Ferrari en 1998 en tant que pilote d’essai et devient donc son homme de l’ombre. Pendant plus de dix ans, il sera l’un des grands artisans de sa réussite, à parcourir des milliers de tours en essais privés pour aider Ferrari à progresser. Entre 1998 et 2010, il parcourt pas moins de 130000 kilomètres, soit plus de trois tours du monde, un record en la matière. Son travail est régulièrement mis en avant par les pilotes et les mécaniciens de la Scuderia, qui doivent beaucoup à sa dévotion sans faille.

Luca Badoer intègre Ferrari comme pilote d'essai

Toutefois, il obtient une nouvelle chance en 1999, mais se retrouve encore et toujours chez Minardi, avec cette fois Marc Gené comme coéquipier. La voiture se traîne toujours autant, et il est de nouveau condamné à jouer les faire-valoir en fond de grille, ce qui ne l’empêche pas de terminer plusieurs fois dans le top 10. Toutefois, il essuie un nouveau revers après l’épreuve britannique. Alors qu’il est pilote d’essais pour Ferrari, Mika Salo lui est préféré pour remplacer Michael Schumacher, et il se voit contraint de rester chez Minardi jusqu’à la fin de la saison. Il est pourtant une course qui aurait pu tout changer…

Luca Badoer fut le héros malheureux de ce Grand Prix d’Europe 1999 (pour vous rafraichir la mémoire, c’est ici). Bien que qualifié seulement 19e sur la grille devant son coéquipier et les Arrows, il se joue parfaitement des conditions météo changeantes et des avaries diverses des autres pour remonter dans le classement. Il rentre ainsi dans les points dans le 44e tour puis profite de l’accident de Fisichella et de la crevaison de Ralf Schumacher pour pointer quatrième dans le 51e tour ! Il reste alors quinze tours à parcourir, et cette course semble être la bonne pour Luca, qui se sait en route vers ses premiers points au bout de 47 courses.

Hélas, le rêve ne dure que quelques boucles. Trois tours plus loin, de la fumée sort du moteur de la Minardi M01, et Badoer doit abandonner alors qu’il réalisait la course de sa vie. Frustré, déçu et inconsolable, il balance son volant de rage avant de le récupérer à la demande d’un commissaire. Il le replace alors, avant de s’effondrer en larmes sur le nez de sa monoplace. Il sait qu’il vient de voir ses derniers espoirs de courir en F1 l’année suivante partis en fumée avec le carter de sa boîte, ainsi que la seule chance qu’il n’ait jamais eu de marquer des points.

Luca Badoer effondré après que sa Minardi M01 l'ait lâché au Gp d'Europe 1999

Il reprend donc son poste de pilote essayeur et vit de l’intérieur tous les titres gagnés par Ferrari entre 2000 et 2008, tout en y participant dans l’ombre des pilotes titulaires. Cependant, tout le monde se dit qu’il ne sera plus jamais titularisé… jusqu’à la saison 2009. Après la sérieuse blessure de Felipe Massa en Hongrie. Michael Schumacher ne peut assurer un remplacement, et Badoer se voit donc offrir le volant de la seconde Ferrari. Il dispose enfin d’une monoplace qui lui permet de jouer les points à la régulière…

La suppression des essais privés fin 2008 lui est cependant fatale. Il se retrouve au volant d’une Ferrari F60 qu’il ne connaît pas du tout, et va se ridiculiser plus qu’autre chose en seulement deux courses. Il ne court qu’à Valence et à Spa, et il se qualifie et termine à chaque fois dernier, loin du peloton et avec de multiples figures à la clé. Incapable de tenir la comparaison avec Räikkönen, il est remplacé par Giancarlo Fisichella en Italie, victime d’un cadeau qui s’est révélé empoisonné au possible.

Luca Badoer retourne chez Ferrari, notamment aux côtés de Michael Schumacher

Ces deux courses lui ont permis de devenir le seul pilote à avoir couru plus de 50 Grands Prix sans marquer le moindre point, ce qui est un bien triste record. Entre les opportunités qu’il a laissé filer (Benetton en 1994), les voitures de fond de grille qu’il a été forcé de piloter et Ferrari qui ne lui a jamais réellement laissé sa chance, Badoer est un talent qui a quelque part été gâché. Son titre en F3000 avait montré de très belles promesses, qui n’ont jamais pu réellement se concrétiser faute d’un matériel performant. S’il a été l’homme de l’ombre de Ferrari pendant 10 ans, le camouflet de 1999 et le cadeau empoisonné de 2009 ne lui ont pas rendu justice. Il fait partie de ces pilotes italiens qui n’ont jamais pu franchir la dernière marche qu’est la Formule 1, comme bien d’autres à cette époque (Caffi, Barbazza, Montermini…).

Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.

3 commentaires

  • Cavallino

    Beau portrait de Badoer, pilote qui m’était tellement sympathique et courageux à devoir lutter avec des monoplaces qui feraient passer les Williams 2020 pour des fusées…

    Malheureusement il a été injustement moqué suite à son remplacement de Schum’ chez Ferrari mais Fisichella qui l’a remplacé n’a guère fait mieux non plus.

    Et quant à ce triste record, à cette époque seuls les 6 premiers marquaient des points ! Avec le barème actuel, Badoer aurait marqué 26 points sur l’ensemble de sa carrière…..

    • Angélique Belokopytov

      Toute l’équipe vous remercie pour votre message !
      En effet, il a certainement également été victime des attentes très élevées post-Schumacher, malheureusement inévitables après les prestations de Michael. Le public en attendait beaucoup de sa part et la « déception » a été d’autant plus grande, mais en prenant du recul, il était presqu’impossible pour Badoer de rivaliser, qu’il s’agisse de talent mais aussi (et surtout) avec les conditions favorables dans lesquelles Schumacher a pu évoluer chez Ferrari….

    • Pierre Laporte

      Tout à fait, avec le système de points actuel le record appartiendrait à Charles Pic, qui n’a jamais fait mieux que 12ème en 39 courses (Brésil 2012). Il fait partie de cette génération italienne certes talentueuse mais qui n’a jamais eu sa chance ou presque, exceptions faites de Trulli et de Fisichella. Schiattarella, Bertaggia, Apicella, Montermini… Autant de noms qui n’ont jamais vraiment pu viser plus haut que le milieu de grille faute d’un matériel réellement performant ou de réelles opportunités.

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