SÉRIE • Les GP d’Espagne | 2012, l’avènement de « Lord » Pastor Maldonado
C’est officiel : le Grand Prix d’Espagne est maintenu jusqu’en 2026 suite à la reconduction de son contrat. Rendez-vous régulier du championnat du monde depuis les années 80, il a connu plusieurs théâtres avant de se fixer à Barcelone en 1991. Il a cependant eu lieu pour la première fois en 1951, dans un pays encore soumis à l’autarcie franquiste. Nous allons ce mois-ci revenir sur quelques-unes des éditions les plus marquantes du Grand Prix. Clap de fin sur l’édition 2012, au vainqueur parmi les plus improbables de l’histoire de la discipline en la personne de Pastor Maldonado.
En cinq saisons de Formule 1, le Vénézuélien Pastor Maldonado a su se faire un nom dans la discipline… mais pour les mauvaises raisons. Pilote rapide et non dénué de talent, il s’est avéré brouillon voire gaffeur plus souvent qu’à son tour et est devenu un meme à lui tout seul. On se rappelle ainsi de son accrochage avec Gutiérrez à Abu Dhabi en 2014 qui avait envoyé le pilote Sauber en tonneau. Ou encore de la fin du Grand Prix d’Europe 2012 où il expédie Hamilton dans le mur et un possible podium à la poubelle…
Mais au milieu de ces erreurs à foison se cache un authentique exploit, réalisé lors de ce fameux Grand Prix d’Espagne 2012. Nous en sommes alors au cinquième Grand Prix de la saison, et le championnat semble aussi ouvert qu’en 2010. Sebastian Vettel est aux commandes, mais Hamilton, Webber, Button et Alonso sont à moins de dix points. Le revenant Räikkönen et Rosberg restent en embuscade, devant Grosjean qui reste sur un podium à Bahreïn, le premier d’un Français depuis Alesi en Belgique en 1998 !
Pastor Maldonado n’est donc en aucun cas un prétendant crédible ne serait-ce qu’au podium sur le papier. Il a réalisé un Grand Prix d’Australie prometteur, qu’il a hélas fini dans le mur dans le dernier tour alors qu’il était cinquième. Mais de là à jouer la victoire… Huitième en Chine, il reste sur une course compliquée à Bahreïn. Parti 21ème au milieu des Marussia et HRT, il a été contraint à l’abandon sur une crevaison alors qu’il était remonté dans le top 10.
Toutefois, la légende va s’écrire sur ce circuit de Catalogne, et ce dès les qualifications. Maldonado ne le sait pas encore, mais il va déjouer la totalité des pronostics. Second de la FP3, il parvient à atteindre la Q3 pour la deuxième fois de la saison. Il n’y fait pas que de la figuration, au point de signer la second temps derrière Hamilton. Il reste cependant à plus d’une demi-seconde du champion du monde 2008 et quelques millièmes devant Alonso, qui se débat avec une F2012 passablement ratée et réalise la meilleure qualification de sa saison. Massa est lui noyé dans le milieu de grille…
Mais coup de théâtre : la McLaren d’Hamilton est disqualifiée des qualifications ! L’Anglais n’a pu effectuer son dernier tour et la FIA conclut que sa monoplace ne contenait pas assez d’essence. Ron Dennis tente de faire valoir l’argument de force majeure et soutient que la MP4-27 contenait encore 1,3 litre d’essence dans son réservoir. Hélas, ceci se révèle inutile et Hamilton se voit renvoyé en fond de grille, derrière Karthikeyan qui n’avait pourtant pas pu se qualifier !
Pour la première fois depuis le Grand Prix du Brésil 2010, c’est donc une Williams qui est en pole position. Toutefois, Nico Hülkenberg devait sa performance à un coup de poker réussi sur la piste séchante de Sao Paulo. Il n’avait pas pu faire illusion en course ensuite, terminant malgré tout à une méritante huitième place. Maldonado connaîtra-t-il le même sort, ou parviendra-t-il à réaliser le hold-up de l’année ? Ce n’est pas tous les jours qu’une telle opportunité se présente…
Comme attendu, il ne franchit pas le premier tout en tête, dépassé par Alonso. Spécialiste des départs canon, le double champion du monde est acquis au public et prend les commandes de la course dans les premiers tours. Mais loin d’abdiquer, Maldonado mène la poursuite et ne se laisse pas distancer. La course est plutôt calme, et la première vague de ravitaillements survient aux alentours du dixième tour. Tout le monde reprend sa place une fois les pneus neufs en place, sauf Schumacher et Senna. Surpris par un freinage précoce du jeune Brésilien, le septuple champion du monde allemand le percute à l’arrière. Les deux belligérants sont contraints à l’abandon, et Schumacher sera pénalisé de cinq places sur la grille à Monaco. Cela lui coûtera ce qui aurait dû être la 69ème pole position de sa carrière.
Rien ne change en tête dans un premier temps, mais Maldonado fait parler son coup de volant face à Alonso, au volant il est vrai d’une F2012 mal née. Le Vénézuélien se rapproche à coups de dixièmes au tour sur l’Espagnol, profitant de la vélocité de sa FW34 pour tenter l’exploit. La situation en tête bascule lors de la seconde vague de ravitaillements. Maldonado réussi son undercut sur Alonso et prend la tête de la course pour de bon. Il compte alors sept secondes d’avance sur la Ferrari après 33 tours, et peut commencer à sérieusement envisager une victoire finale.
Cependant, Alonso ne s’avoue pas vaincu et passe à l’offensive. Il remonte à coup de secondes au tour vers le 40ème passage et reprend la tête dans le 42ème tour lorsque Maldonado s’arrête pour la dernière fois. Mais les mécaniciens de Williams perdent du temps dans la manœuvre ! L’Espagnol doit cependant lui aussi passer par les stands trois boucles plus tard et repart second, se laissant 21 tours pour essayer de jouer la victoire. Il n’est toutefois qu’à un peu plus de deux secondes du Vénézuélien, qui est bloqué derrière Räikkönen qui persiste en piste. Tout le monde se demande alors : qui va faire trois arrêts, et qui va en faire quatre ?
Dans le 47ème tour, la Williams profite du DRS pour se débarrasser de la Lotus dans le premier virage et se redonner de l’air. Alonso fait de même au tour suivant et se lance en chasse de la monoplace de Grove. Cette dernière n’est pas donnée gagnante, tant Alonso est expérimenté et spécialiste des remontées en fin de course. Le duel promet d’être serré jusqu’à la fin, car Maldonado ne lâchera rien quoi qu’il se passe. La jonction se fait quelques tours plus tard, et cependant Maldonado continue de résister en tête avec une petite seconde d’avance sur Alonso. Son équipe l’aiguille intelligemment, lui conseillant de garder son KERS pour les lignes droites et de conserver ses gommes. Mais un autre problème se pose pour les deux hommes : Kimi Räikkönen. Le Finlandais tourne une seconde plus vite que les deux hommes de tête et se rapproche tour après tour. Les calculs sont simples : en cas d’arrêt des leaders, le champion du monde 2007 serait vainqueur !
Ainsi deux luttes se mènent de front : Alonso-Maldonado, et Räikkönen qui les prive indirectement d’un quatrième arrêt. Derrière, Kobayashi réalise un magnifique dépassement sur Rosberg pour la cinquième place : douce époque où Sauber, aujourd’hui Alfa Romeo pouvait rivaliser avec Mercedes… Mais Maldonado se révèle absolument intouchable et finit par décrocher l’Espagnol pour aller chercher une victoire sensationnelle et inattendue, la 114ème de Williams. Il devient le cinquième vainqueur différent en cinq courses et fait triompher l’écurie de Grove pour la première fois depuis Montoya au Brésil en 2004. Autant dire que sans ce succès, l’écurie anglais en serait à 17 saisons de disette…
Alonso sauve la seconde place devant les Lotus de Räikkönen et Grosjean, qui signe le seul meilleur tour en course de sa carrière. Il est le premier Français à réaliser telle performance depuis Jean Alesi à Monaco en 1996 ! Kobayashi vient compléter le top 5, après une belle course ponctuée de manœuvres audacieuses. Il devance Vettel, Rosberg, Hamilton, Button et Hülkenberg qui clôt le top 10. Au championnat, Alonso et Vettel se retrouvent leaders ex-aequo avec 61 points chacun, devant Hamilton à huit points, Räikkönen à 12 points et Webber à 13 points. Maldonado remonte lui au neuvième rang avec 29 points… mais ne se hissera pas plus haut dans la hiérarchie.
Hélas, à cet exploit suit ce qui aurait pu être un terrible drame. Peu après la course, le stand Williams prend feu, à cause d’un KERS posé à proximité d’un bidon d’essence. On voit ainsi Maldonado sortir son jeune cousin du garage, pied dans le plâtre tandis que tout le monde se mobilise pour éteindre les flammes. Plusieurs personnes sont hospitalisées, et l’écurie anglaise a perdu du matériel informatique et des pièces de rechange dans l’accident. Malgré tout, Maldonado et Senna sont au départ à Monaco dix jours plus tard, le Brésilien pilotant le châssis ayant survécu à l’incendie.
Cette victoire en terre catalane reste un exploit unique dans la carrière du Vénézuélien, qui a pourtant prouvé ce jour-là de quoi il était capable dans ses grands jours. Avec plus d’intelligence de course et moins d’errements indignes d’un pilote de Formule 1, nul doute qu’il aurait peut-être pu réellement capitaliser sur cette performance de premier ordre. Ce n’est pas donné à tout le monde de gagner un Grand Prix tout en résistant à nul autre que Fernando Alonso, qui jouait à domicile ! A cet égard, Pastor Maldonado reste l’une des plus grandes énigmes de la Formule 1. Il a eu son heure de gloire, sans pour autant parvenir à transformer l’essai, et reste aujourd’hui parmi les vainqueurs de Grand Prix les plus improbables.
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Pierre Laporte
Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.