De Senna à Schumacher : entre admiration, ressemblance, respect et rivalité
SERIE TBT. Tout amateur de Formule 1 vous le dira : il aurait rêvé assister à un duel Senna versus Schumacher qui aurait certainement signé l’une des plus belles rivalités que la F1 aurait connu. C’est sans compter sur ce tristement célèbre 1er mai 1994 qui a tiré un trait sur ces espoirs. Ce jour-là y a eu comme une passation entre ces deux champions qui étaient fortement liés.
Le premier pose le pied sur l’accélérateur du championnat de Formule 1 en 1984 et le retire dans un malheureux accident en 1994. Le deuxième se frotte aux courbes de la discipline à partir de 1991 et les abandonne en 2012. L’un est brésilien, l’autre allemand. Tous deux sont unis par l’amour de ces monoplaces qui parcourent le monde. Qu’on en aime un ou qu’on déteste l’autre, personne ne peut le nier : ils sont intimement liés. Ces deux hommes étaient comme le Ying et le Yang, il y avait un peu de l’un chez l’autre.
La rencontre explosive de deux lions
Si on devait superposer les chemins parcourus par ces deux légendes, c’est à s’y méprendre. Rapidement vedettes de karting, ils se lancent en Formule 3 grâce au tremplin de la Formule Ford. Les deux champions ont également écrit l’histoire de la Formule Un dès leurs premiers tours de piste. Schumacher n’a jamais caché son admiration pour le triple champion du monde brésilien. Mais l’Allemand arrive en F1 très sûr de lui, certain de pouvoir défier celui qui domine le plateau, et cela rend leurs premiers échanges plutôt animés.
Les deux s’accrochent au Grand Prix de France, obligeant le Brésilien à abandonner. Le champion n’hésite d’ailleurs pas à aller corriger ce petit nouveau qui joue sur son terrain. Mais cela n’impressionne pas le jeune allemand et deux semaines plus tard, lors d’essais privés, ils sont impliqués dans un incident plus grave. Les deux monoplaces sont lancées à pleine vitesse et se frôlent. Plus de peur que de mal mais les deux pilotes manquent d’en venir aux mains. En 1993, Senna oublie un peu ce Michael qui le fait voir de toutes les couleurs, trop occupé par le retour de son rival Alain Prost. Lorsque ce dernier prend sa retraite la saison suivante, Senna comprend que Schumacher sera celui qui prendra la place du Français. Le Baron Rouge ne demande qu’à le prouver et gagne les deux premières courses. À ce moment, les supporters comprennent la dualité qui se dessine et attendent le Grand Prix qui va faire démarrer la saison et voir les deux rivaux s’affronter : Imola. Mais le destin en a décidé autrement.
Schumacher et Senna s’affrontaient également sur le plan plus psychologique, en se mettant la pression lorsqu’ils le pouvaient. L’Allemand accusera le Brésilien de faire preuve d’un pilotage dangereux et provocateur. Senna soupçonnera ouvertement Schumacher de ne pas avoir une voiture conforme et au fil de leurs affronts, il l’insultera également de jeune idiot. Les deux lions s’affrontent, l’un pour protéger le territoire qu’il a conquis, le deuxième pour mettre un pied sur ce terrain si convoité.
Et pourtant, les deux hommes ne sont pas si différents que cela. Au final, ce sont leurs ressemblances qui créent leurs différends. Leur style de pilotage rapide et agressif qu’ils partagent est l’essence de cette soif de triomphe qu’ils nourrissent aux dépends parfois de tout règlement, moralité ou sportivité. Que ce soit entre eux, Senna envers Prost ou Schumacher envers un Hill ou un Villeneuve, la victoire justifie les moyens. Tous les deux ont également cette rigueur du travail, fortement concernés et impliqués dans les réalisations de leurs équipes notamment grâce à leurs connaissances aiguës au niveau technique.
Le Ying et le Yang
Tout n’est pas noir ou blanc. Leurs ressemblances comportent chacune des taches de différence. Emotionnellement, Schumacher avait peur de s’ouvrir. Il était un pilote analytique, froid et qui ne se faisait pas forcément que des amis au sein du Paddock. Senna, quant à lui, était un personnage presque mythique, ne cachant pas sa puissante croyance en dieu, ni ses angoisses en bord de piste, se montrant même chaleureux avec ses concurrents. À l’inverse, le Brésilien était impitoyable dans le box : directif, il imposait à l’équipe et laissait peu de place à la discussion, pendant que Michael se montrait plus souple.
Lors de leurs apogées respectives en Formule Une, leurs combats dans le championnat n’ont pas été fort similaires également. Autant les deux se sont battus pour les victoires, et surtout pour les titres, autant leurs batailles étaient différentes. Ayrton Senna s’est vu évoluer sur un ring où il retrouvait encore et toujours un certain Alain Prost. Tels des affrontement Mayweather et McGregor, les rounds France versus Brésil étaient plus qu’attendus et très animés. De son côté, Michael Schumacher, sans réel rival sur ses terres, s’est plutôt illustré dans la conquête d’un objectif précis : redorer le blason de Ferrari en replaçant le cheval cabré sur la première marche du podium.
Ce sont ces différences qui ont pu instaurer une distance entre les deux hommes, voire même un certain respect inavoué. Ce sont elles également qui leur ont permis d’apprendre de l’autre et pourquoi pas, d’admettre dans le for-intérieur, qu’au final, ils ne sont pas si différents que cela.
1er mai 1994 : le jour où Senna a passé le flambeau
« Je suis sûr qu’Ayrton Senna a su que Michael lui succéderait. Il l’a senti, autrement, il n’y aurait pas eu de problèmes entre eux deux. Il a senti qu’il avait en face de lui quelqu’un de spécial, comme lui, qui était capable de casser des disques de freins et d’aller aussi vite, voire plus vite que lui. » Willy Weber.
Nous sommes au septième tour de course à Imola. Devant lui, Schumacher voit la monoplace de Senna percuter le mur de Tamburello. À ce moment-là, il ne réalise pas encore la gravité de l’accident mais il ne peut s’empêcher d’être impressionné par ce qu’il vient de voir. Il termine et remporte la course, pendant que Senna est évacué. On apprend plus tard que ce crash lui a été fatal. Michael, d’habitude si stoïque, est bouleversé et la larme à l’œil, dédie sa victoire, et plus tard son titre, à celui qui lui aura appris la difficulté du monde de la F1. Durant la période qui suit la disparition de Senna, Michael aura du mal à gérer ses émotions, ne trouvant pas le juste milieu entre réussir à s’ouvrir ou garder son sang-froid, discipline où il excelle tant. Il s’agit sûrement du résultat de cette dualité intérieure qui les animait tous les deux : assumer leurs ressemblances dans la rivalité qui les définissait tant.
Depuis l’accident, le Kaiser porte en lui le flambeau de Senna. Plusieurs fois lors de sa carrière, il évoquera le Brésilien ou lui dédiera des moments bien particuliers. Il s’effondrera en larmes lorsqu’il égalera le nombre de victoires d’Ayrton en 2000.
Jusqu’au bout, l’empreinte Senna le suivra autant que la sienne a suivi le Brésilien à son époque.
Des destins enchevêtrés
Le destin décide parfois de manière cruelle : le duel Senna – Schumacher n’aura donc jamais lieu. Mais les destins des deux champions étaient intimement liés, peut-être même plus que ce qu’ils ne voulaient l’admettre. Tous deux ont appris l’un de l’autre, les piques de l’un poussant le second à vouloir être encore meilleur. Ils ont également tiré le positif de ce qui faisait leurs différences, Schumacher a appris à être plus émotif, Senna a compris les limites du triomphe à tout prix. Ils ont fortement marqué l’histoire de la F1 mais surtout celle des supporters de la discipline. Pour beaucoup, « Magic » et « Schumi » sont immortels et sont les derniers « surhommes » de la Formule 1 à avoir répousser les limites au-delà du possible avant l’avènement de l’ère technologique dominée par les programmes et les logiciels plus que par le pilotage et les voitures.
Angelique Belokopytov
2 commentaires
Demoulin
Great post !!
Well done !!
Christophe
Angélique Belokopytov
Merci Christophe ☺