L’Europe sous pression
Les débats concernant les GP européens vont bon train ces dernières semaines. Entre les suppressions catégoriques de Grand Prix, les rumeurs d’éventuelles annulations ou incapacités de financer, les informations tournent dans tous les sens. Chaque site cherche à préserver ses circuits, mettant en avant leurs empreintes historiques et légendaires. Il faut bien dire que les tracés européens occupent presque la moitié du calendrier.
C’est le moment de faire le point sur la situation.
L’Allemagne
Pays qui accueillait la Formule 1 depuis ses débuts, mère patrie de Vettel, Rosberg, Hülkenberg et surtout de l’écurie de tous les fronts : Mercedes. Mais aussi pays qui, pour rappel, s’est vu annuler le Grand Prix 2015, que ce soit pour Nürburgring, ou Hockenheim (Cf. Article).
Comme l’avait déclaré Ecclestone : « Nous aurions accepté un contrat à moitié prix pour cette année, mais même à ce tarif ils auraient eu des problèmes. On ne convoite pas ce qu’on ne peut s’offrir. Personne n’est indispensable, nous avons de super courses pour les remplacer. » Propos qu’il a argumenté en soulignant que si des hôtes tels que Spa en Belgique peuvent s’offrir un Grand Prix, L’Allemagne et l’Italie le peuvent également.
Et dernier coup de marteau ajouté par Nicki Lauda (directeur non-exécutif de Mercedes !) qui explique qu’il n’a aucune sympathie pour les organisateurs allemands : « comme il n’y a plus de course en Allemagne, les gens viendront en Autriche à la place. L’Allemagne s’est plainte de devoir payer trop à Bernie mais elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même. »
Voilà qui livre un message clair… Des problèmes de financement pour un pays ayant assuré sur 60 ans les GP et en plus de cela, un manque de sympathie pour les organisateurs, il semblerait que les discordes se situeraient plus au niveau politique. Suffisamment en tout cas, pour annuler en cours de saison une course décisive, et envoyer platement balader les milliers de spectateurs qui prévoyaient de s’y rendre.
Forza Italia
Venons-en à l’Italie justement ! Le célèbre circuit de Monza risque de subir le même sort. Il verra bien défiler sur son tarmac la saison 2015, mais l’année qui suit reste sous point d’interrogation : « C’est aux promoteurs locaux de respecter leurs engagements. En fait, nous possédons un contrat en bonne et due forme qui a été signé, du côté italien, par une personne qui a été virée. Ce n’est pas mon problème. Les Italiens doivent payer leurs factures comme c’est prévu et le Grand Prix sera inscrit au calendrier 2016. Sinon il n’aura pas lieu » (Bernie Ecclestone). En espérant qu’un deuxième lieu d’ancrage d’écurie historique ne disparaisse sous les pneus.
Le Taureau Espagnol
La patrie d’Alonso n’a pas encore à s’inquiéter d’une éventuelle suppression. La course aura bien lieu à Barcelone cette année. Cependant, il se pourrait qu’on voit un retour à Valence, qui a accueilli la F1 entre 2008 et 2012, jusqu’à des soucis financiers : la ville n’arrivait plus à assurer un tel événement chaque année. Il semblerait que la compagnie ARC Resorts (basée à Singapour, s’occupant d’implantation et de développement notamment d’hôtels, de casino, du tourisme) serait prête à créer un Monaco valencien. L’entreprise a pour projet d’y ériger entre autres un palace 6 étoiles, un casino, ou encore un Yacht Club, ainsi créer de l’emploi et du tourisme. Un tel investissement ne peut être que bénéfique. Le retour des courses sur le circuit irait donc de soi, afin d’y voir se disputer la F1 mais également la Formule E qui rencontre un succès grandissant. Si ce projet se concrétise, il démarrera au printemps 2016. Ajoutant alors à tout ce tableau, potentiellement le titre de Grand Prix d’Europe à ce tracé de la péninsule ibérique. Mais c’est sans compter sur la dernière idée du grand patron britannique de la Formule 1 : un GP en Azerbaïdjan qui pourrait bien lui voler la vedette.
L’Azerbaïdjan alors ?
Une nouveauté qui fait polémique. D’une part parce qu’il risque de remplacer un circuit européen et d’autre part, parce qu’il pose problème au niveau des Droits de l’Homme.
Ce choix répond à la volonté d’Ecclestone de remplacer le GP de Corée qu’il n’a pas du tout apprécié. Ainsi, comme confirmé il y a 10 jours, l’Azerbaïdjan sera intégré au calendrier 2016. La question est : sera-t-il intercalé entre deux cours ou remplacera-t-il un ancien tracé ? Il n’y a pour le moment, pas de réponse, même si les craintes sont vives de voir disparaitre en 2016 un pays qui a fait son chemin dans l’histoire du sport automobile tel que l’Italie ou encore l’Allemagne qui a déjà été écartée cette saison.
La course aura lieu dans les rues de la capitale, Bakou, sur les bords de la mer Caspienne. Il faut croire que Monaco est devenue une mode !
Le deuxième problème autour de ce Grand Prix, ce sont les Droits de l’Homme. Le rapport d’Human Rights Watch (HRW) fait état d’une situation de répression au sein du pays envers les défenseurs de ces droits : une trentaine d’activistes politiques, bloggeurs ou encore journalistes ont été emprisonnés ou condamnés. Les comptes de certains opposants ont été gelés. Pourtant, à la base, le monde de la Formule 1 ne reste pas indifférent face aux libertés individuelles (Cf. Annulation du Grand Prix de Bahreïn en 2011, lors d’affrontements violents). Mais face à cela, Bernie Ecclestone dit avoir bien lu le rapport et déclare ne pas vraiment y croire. Il conclut : « J’ai l’impression que tout le monde est heureux. Il ne semble pas y avoir de gros problèmes. Il n’est pas question de retirer la course du calendrier ». Evidemment, il y a de quoi fermer les yeux sur ces trentaines d’heureux tant que les problèmes sur place ne deviennent pas « gros ».
Face à tout cela, que nous reste-t-il comme GP en Europe ?
Dans la catégorie des difficiles, ajoutons la Belgique -et son inclassable Spa-Francorchamps qui va ouvrir ses portes aux Allemands proches- et la Grande-Bretagne, qui commencent à s’essouffler dans leurs financement.
Il nous reste, la tête hors de l’eau, Monaco qui n’a pas de d’inquiétudes en vue – quoique, vu l’arrivée future de ses sœurs jumelles, elle aura peut-être besoin de s’en distinguer. Accompagnant la Principauté, nous retrouvons l’Autriche qui sera également nouvelle terre d’accueil allemande pour cette saison-ci et la Hongrie. Ensemble, pour l’instant, elles maintiennent autant qu’elles peuvent le bloc des GP européens.
Enfin, n’oublions pas que derrière la Formule 1, sur ces circuit suivent également les compétitions GP2 et GP3. Les enjeux donc ne sont pas minimes et réduits à un seul type de course. Ce débat évidemment n’est pas uniquement clos à l’Europe, les autres circuits internationaux connaissent également des changements ou des incertitudes. Actuellement, le GP d’Australie est discuté: les organisateurs souhaitent le faire démarrer en le 3 avril la saison prochaine. Les conséquences? Une saison F1 plus condensée, car on souhaite le garder comme premier Grand Prix de la saison. Cela est encore en cours de discussion, mais si cette décision est prise, cela risque d’engendrer d’autres débats et toucher certainement les pilotes et leurs écuries en premier lieu (problèmes de décalage horaire, préparations trop tardives…)
L’avenir est difficile à prédire, bien évidemment. Même si, subjectivement, il y a d’une part cette volonté de continuer à voir les tracés mythiques sous les pneus, et d’autre part, accepter le fait que la F1 doit bien évoluer avec son temps malgré tout, et pour ce faire, il faut innover, tenter de nouvelles choses.
Mais la Formule 1 est à une époque où elle perd doucement de son prestige passé sur ces dernières saisons : nouveautés techniques, réglementaires, sans parler de la disparition du V8 qui continue toujours à faire couler de l’encre. Mark Webber, ancien pilote F1, expliquait à F1i il y a deux jours que « la F1 n’est plus assez physique », qu’elle commence à manquer cruellement de challenge de pilotage, que les voitures devraient être plus exigeantes physiquement : « En tennis, je ne pense pas que Roger Federer souhaite qu’on abaisse le filet. Personne ne veut un nivellement par le bas. »
Dans ce contexte, enlever la part historique, les empreintes des célèbres circuits européens, ce qui pousse encore les spectateurs à venir sur place, ne serait-ce pas un coup de massue ? De plus en plus, les regards se tournent vers la Formule E mieux reçue, puisqu’elle s’assume et se développe dans ces domaines (technologie, nouveaux tracés, stratégies de course, etc.)
Le « trop-plein » d’innovations successives en F1 à différents niveaux semble être loin de faire l’unanimité, que ce soit du côté des spectateurs, mais aussi du côté interne de la compétition.
Mais c’est sans compter sur cela que la machine est quand même lancée à pleine vitesse. Plus besoin de jouer à « Qui est-ce ? » dans les décisions en F1, le big boss britannique trône au milieu du jeu. Entre politique et finances, malgré d’autres bonnes idées en attente, mène ses choix à la baguette.
Peut-être a-t-il envisagé de manière correcte le futur de ce sport automobile, peut-être s’est-il trompé dans son jugement, seul l’avenir nous le dira.
Bernie Ecclestone prend les décisions, mais c’est par la réception en face des écuries et leurs pilotes, des spectateurs et des passionnés, qu’on pourra juger du bien-fondé de ces choix.
Angélique BELOKOPYTOV
Photo credits: http://thisisf1.com/2015/01/07/spa-francorchamps-extends-f1-race-deal-2018/