Dans les allées du Paddock,  Formule 1

Imola 1994 : un drame en cinq actes, 25 ans plus tôt


Afin de contrer la domination écrasante des Williams durant les deux dernières saisons, la FIA décide de bannir les aides au pilotage, permettant de réduire les coûts par la même occasion. Cependant, les performances des voitures ne sont pas affectées et ces bolides se révèlent extrêmement difficiles à piloter. J.J.Lehto, qui pilote alors pour Benetton, se blesse ainsi lors d’essais privés à Silverstone en janvier, et Jean Alesi se blesse fin mars lors d’une séance d’essais privés au Mugello. Puis vient Imola…

Le circuit d’Imola est visité par la Formule 1 depuis 1980 dans le cadre du championnat du monde. Théâtre du Grand Prix d’Italie en lieu et place de Monza cette année-là, il est le circuit du Grand Prix de Saint-Marin depuis 1981. Il est en quelque sorte un second Grand Prix d’Italie, et les tifosi sont présents en nombre pour soutenir les Ferrari, qui évoluent à domicile. Le circuit est notamment réputé pour sa courbe de Tamburello, négociée à plus de 300 km/h et qui vit Gerhard Berger se fracasser contre le muret de béton dans ce virage en 1989. Il s’en était alors miraculeusement tiré avec quelques brûlures aux mains et quelques côtes fêlées.

Au niveau du championnat 1994, Michael Schumacher et sa Benetton ont gagné les deux premières courses de la saison. Il a déjà 13 points d’avance sur son actuel dauphin, le pilote Jordan Rubens Barrichello, et 14 points d’avance sur Gerhard Berger et Damon Hill. Senna quant à lui n’a toujours pas marqué le moindre point, victime d’un tête à queue au Brésil et d’un accident dans le premier tour à Aïda. Il se plaint par ailleurs d’une voiture rétive et peu simple à conduire.

Acte I

Lors de la première séance de qualification vendredi après-midi, Rubens Barrichello est victime d’un énorme accident dans la variante Bassa. Arrivant trop vite dans la chicane, il perd le contrôle de sa Jordan, décolle sur le vibreur à plus de 200 km/h, percute les grillages de protection avant d’effectuer deux tonneaux et de définitivement s’immobiliser. Seulement sonné par le choc, juste victime d’une fracture du nez, de contusions et d’un léger traumatisme crânien, il revient dès le lendemain sur le circuit. Cet accident était hélas un avertissement de ce qui allait se passer ensuite…

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Au début de la seconde séance qualificative, de nombreux pilotes sont en piste pour améliorer leurs chronos de la veille, dont l’autrichien Roland Ratzenberger. Pilotant pour la nouvelle équipe Simtek, il se bat pour obtenir sa qualification lorsqu’il abîme son aileron à Acque Minerale. Il décide cependant de refaire un tour…

Acte II

A 13h18, son aileron s’envole dans la courbe Villeneuve et rend Ratzenberger passager de sa monoplace. La Simtek s’écrase contre le mur en béton à plus de 300 km/h et glisse jusqu’à Tosa, la tête de l’infortuné Ratzenberger brinquebalant d’un côté à l’autre du cockpit. Les secours menés par Sid Watkins arrivent immédiatement sur place, mais se rendent rapidement que plus rien ne peut être fait pour sauver la vie de l’Autrichien. Ratzenberger est officiellement déclaré mort à l’hôpital de Bologne à 14h30, alors qu’il est en réalité tué sur le coup, victime d’une fracture à la base de son crâne. S’il avait été déclaré mort sur le circuit, une enquête aurait dû être menée et le Grand Prix aurait alors été annulé.

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Cet accident provoque une onde de choc terrible parmi les pilotes. Seuls les Italiens De Cesaris et Alboreto pilotaient en 1982 lorsque Villeneuve et Paletti se sont tués, tandis que de Angelis s’était tué en essais privés en 1986 au Castellet. Berger et Senna sont les plus durement touchés par l’accident, ce dernier ayant foncé sur le lieu de l’accident pour s’informer sur l’état de santé de l’Autrichien avant de se faire refouler puis infliger un blâme par les officiels de course. Il fond en larmes lorsque Sid Watkins lui apprend sa mort, et lui propose de partir pêcher quelques jours avec lui plutôt que de courir ce Grand Prix, ce que Senna refuse.

Le Brésilien part ainsi en pole position, la 65ème de sa carrière bien qu’il n’ait pas roulé le samedi en mémoire de Ratzenberger, comme Frentzen. Il devance Schumacher, Berger, Hill, Lehto et Larini, qui remplace Alesi encore en convalescence.

Le samedi soir, Senna décide de faire renaître de ses cendres le GPDA (Grand Prix Drivers Association) ou l’association des pilotes de F1, et en parle notamment avec son ami Gerhard Berger, qui ne se remet toujours pas de l’accident de Ratzenberger. Les deux pilotes veulent redonner du pouvoir aux pilotes afin de pouvoir peser entre autres sur les questions de sécurité. Schumacher, Hill et Lauda sont également d’accord pour les épauler et doivent se retrouver à Monaco.

Le dimanche matin, Senna signe le meilleur temps du warm-up devant Schumacher, et au moment de faire un tour de circuit commenté, salue son ancien rival Alain Prost :

« Before the beginning, a special hello to my… our dear friend Alain. We all miss you Alain! »


« Avant de commencer (le tour), un bonjour spécial à mon… à notre ami Alain. Tu nous manques à tous, Alain ! »

La tension est palpable sur la grille de départ, et Senna, contrairement à son habitude, n’enfile pas immédiatement son casque comme il a l’habitude de le faire. Un mauvais pressentiment ? La course va hélas rapidement nous le dire…

Acte III

Lors du premier départ, Lehto cale, et Pedro Lamy le percute au volant de la Lotus. Des débris volent par-dessus les grillages de sécurité et blessent quatre personnes dont un policier, étendant leur nombre à cinq en comptant Barrichello. C’est ainsi que les voitures vont effectuer cinq tours derrière la voiture de sécurité, ce qui avait déjà été critiqué par Berger et Hill du fait qu’il devenait très difficile de garder pneus et freins à température. Les voitures sont relâchées au début du sixième tour, et Senna s’échappe immédiatement devant Schumacher…

Acte IV

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A 14h18, dans le septième tour, la Williams FW16 d’Ayrton Senna quitte la piste à plus de 300 km/h dans Tamburello, tirant tout droit. Senna a beau freiner, sa monoplace se fracasse contre le mur à plus de 200 km/h avant de s’immobiliser quelques dizaines de mètres plus loin. La Williams est détruite, et une fois de plus les équipes de Sid Watkins sont immédiatement sur place. Il est alors soigné à même la piste par les secouristes avant d’être héliporté à l’hôpital de Bologne. Par ailleurs, un officiel retrouve un drapeau autrichien dans le cockpit, que Senna avait prévu de brandir en cas de victoire pour rendre hommage à Ratzenberger.

Pendant ce temps, la course est bien évidemment arrêtée, lorsqu’Erik Comas, pilote Larrousse est relâché en piste par erreur. Il se lance à fond dans Tamburello mais parvient à éviter tout le monde avant de s’arrêter. Troublante coïncidence, il se retrouve face à celui qui lui avait probablement sauvé la vie lors du Grand Prix de Belgique 1992, mais il se retrouve ici totalement impuissant face à la gravité de la situation. Il ne peut que constater les dégâts, voyant Senna dans une mare de sang. Epouvanté par l’horreur de la scène, il se retrouve paralysé, conscient qu’il est le dernier pilote à voir Magic.

Mais malgré cet accident, la course a quand même lieu. Tout le monde reprend sa voiture, sauf Comas, écœuré par ce qu’il a pu voir et bien déterminé à stopper sa carrière à la fin de la saison. Les pilotes sont pour la plupart apeurés, mais il faut que le show prenne place. Mais au 17ème tour de course, Gerhard Berger rentre aux stands pour abandonner, incapable de piloter tant il pleure la mort de Ratzenberger et sait que Senna agonise à l’hôpital. Les informations arrivent au fur et à mesure du Grand Prix et font état de blessures sérieuses à la tête avec hémorragies.

Acte V

Et pour finir dans l’horreur, Michele Alboreto perd la roue arrière droite de sa Minardi dans les stands, à onze tours de la fin. Cette roue folle blesse ainsi quatre mécaniciens, deux de Ferrari et deux de Lotus, tandis que la course suit son cours.

Fou de rage, Berger décide d’aller dans la tour des officiels pour réclamer l’arrêt de la course afin de stopper cette boucherie pour de bon, soutenu par Niki Lauda. Hélas, il trouve porte close et doit rebrousser chemin. Jean-Louis Moncet, qui commente alors les Grands Prix pour TF1, n’en revient tout simplement pas et accable les officiels, les accusant de se réfugier dans leur tour d’ivoire et de faire la sourde oreille au carnage qui règne.

C’est ainsi que Michael Schumacher remporte son troisième succès en autant de courses, devant Larini qui signe son unique podium en F1 (et reste à ce jour le dernier italien à avoir marqué des points au volant d’une Ferrari), et Hakkinen qui signe son premier podium dans la discipline, le premier de l’association McLaren-Peugeot. Au championnat, Schumacher compte désormais 23 points d’avance sur Barrichello et Hill, mais tout ceci n’a plus d’importance à ce moment-là.

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Peu après 18h30, ce que redoutait le monde entier est annoncé : Ayrton Senna est décédé. Sa chance l’avait hélas lâché, car l’accident en lui-même ne l’avait pas blessé, la coque de survie ayant parfaitement résisté, mais un triangle de suspension s’est fiché dans son crâne en traversant son casque et a provoqué ces blessures fatales à la tête et au cerveau. La F1 comme le Brésil, sont terriblement secoués. Trois jours de deuil national sont décrétés au Brésil, et le 5 mai 1994, ce sont près de trois millions de Brésiliens qui rendent une dernière fois hommage à leur héros national, ce pilote d’exception qui avait su faire briller les couleurs de leur pays dans le monde entier, plus encore que Nelson Piquet ou Emerson Fittipaldi.

C’est une page de l’histoire de la F1 qui vient alors de se tourner définitivement. Senna était le dernier représentant d’une génération exceptionnelle, Piquet, Mansell puis Prost ayant pris leur retraite. Le Brésilien avait qui plus est une aura exceptionnelle en plus d’avoir un pilotage incroyable, en particulier à Monaco, qui était devenu au fil des ans son jardin avec six victoires. Sa mort provoque une chute vertigineuse des audiences, de nombreux fans ne voyant plus l’intérêt de regarder la discipline maintenant que Senna n’est plus.

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La F1 va, quant à elle, être prise dans la tourmente. À Monaco, Wendlinger est victime d’un terrible accident qui mettra un terme à sa carrière dans la discipline. C’est ainsi que les voitures vont être lourdement modifiées pour réduire leurs performances et ainsi les risques d’accidents mortels, étant entre autres alourdies et amputées d’une partie de leur puissance.

Pour ce qui est de l’accident de Senna, on pense qu’une casse mécanique en est à l’origine. En effet, le volant de la Williams avait été éloigné du corps de Senna, mais une soudure de la colonne de direction aurait cédé, provoquant ce tout droit et donc l’accident. Frank Williams, Patrick Head et Adrian Newey seront traduits devant la justice, avant d’être finalement acquittés après dix ans de procédure.

Quoi qu’il en soit, ce week-end noir a profondément marqué et changé le sport. Plus rien ne serait jamais pareil après une telle perte humaine, et le sport mettra de longues années avant de vraiment se remettre de la perte d’un de ses plus grands champions. Deux morts, neuf blessés, et la terrible preuve que tous les pilotes, de l’anonyme pilote payant au plus grand des champions peuvent tous mourir au volant de ces vaisseaux de la route.

Né avec le rêve de rejoindre Schumacher, Senna ou encore Prost au firmament de la Formule 1, aujourd'hui j'essaie de raconter leur histoire, ainsi que celle de tous les pilotes et de toutes les écuries qui ont fait, font et feront la légende d'un des plus beaux sports du monde.

Un commentaire

  • Yann Le Clère

    Bonsoir f1nal-lap,

    très belle article sur ce terrible week-end d’Imola 1994, je voudrais juste apporté une petite info car il y a une petite erreur au sujet de l’accident de Rubens Barrichello, le pilote brésilien a été victime d’une crevaison lente sur l’une des 2 roues arrière.

    Au sujet de l’ensemble du week-end, tout aurais du être arrêté après l’accident tragique de L’autrichien Roland Ratzenberger enquête ou pas enquête et encore une fois les intérêts publics, financiers etc… ont pris le pas sur la sécurité et voilà ce qui est arrivé.

    Yann.

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