Vanina Ickx : « Je n’aurais jamais espéré vivre du sport automobile »
Nul besoin de la présenter: Vanina Ickx, c’est presque quinze années de sport automobile. Mais c’est aussi une femme pleine de douceur avec un regard sur la vie qui pourrait en inspirer plus d’un.
C’est à l’aérodrome de Temploux que nous nous retrouvons, loin de tout bolide. Les seuls bruits de moteurs sont ceux des avions et les pistes riment avec atterrissage. Un endroit singulier où Vanina et son mari Benjamin, consacrent une bonne partie de leur temps à rénover et à redonner vie à ce lieu. Le temps d’une balade paisible sur le tarmac, elle se souvient qu’au départ, le sport automobile, était loin de faire partie de ses priorités. « J’étais jeune quand papa a arrêté de courir, et d’être le champion qu’il a été. J’avais 10 ans. Il a toujours mis une barrière entre sa vie professionnelle et familiale. Il rentrait à la maison avec une coupe qu’il rangeait au garage, et il n’en parlait pas plus que ça. C’était un papa qui voyageait beaucoup, certes mais c’était un papa comme les autres. On l’a peu suivi en fait. »
C’est lorsqu’elle a pu poser les mains sur un volant que l’intérêt pour la conduite l’a touchée. « J’ai passé mon permis. Et là, j’ai commencé à aimer rouler, conduire vite, j’ai fait quelques petites courses d’endurance de karting, qui n’étaient pas des deux temps à l’époque, qui étaient de vraies tondeuses à gazon. » Son aventure dans le sport automobile commence lorsque le hasard la met sur la route d’Isabelle Van de Velde. La jeune femme dispute la coupe de Peugeot 106 et a déjà préparé toute sa saison, sponsors compris. Mais elle tombe enceinte. Elle connait cette Vanina Ickx, avec qui elle partage la salle de sport et décide de lui céder sa place. « Et j’ai accepté… n’y connaissant rien, n’ayant jamais mis mon derrière dans une voiture de course et n’ayant jamais monté sur un circuit. J’ai annoncé ça à papa. Il est un peu tombé de sa chaise. » Après quelques cours de conduite offensive et quelques tours de roues qui ont rassuré le paternel, Vanina a le feu vert pour se lancer en course. « Papa a commencé à me prendre plus au sérieux après ma participation aux 24 Heures de Francorchamps. C’était une course un cran supérieur au championnat que je faisais en 1996. On a fini 2e de classe. Il a commencé à être un vrai support. »
Une femme en sport automobile, c’est tout sauf évident. Pourtant, Vanina nuance. « J’ai eu un bon package : Isabelle avait ouvert la porte avant moi, c’est elle qui avait fait la démarche un peu exceptionnelle de se positionner en tant que femme dans le sport auto et elle avait trouvé des partenaires différents, elle avait trouvé un angle original de communication. Tout ça c’est à elle que je le dois et à ceux qui ont joué le jeu, et à l’époque c’était BMW. Il y avait quelques femmes dans la course avec notamment Yolanda Surer. J’ai été plutôt bien accueillie. »
Vanina souligne pourtant que ça ne suffit pas : le nom, les portes déjà ouvertes, c’est bien, mais il faut du travail et surtout de la persévérance. Elle l’a eue. « Mais avant d’être vraiment prise au sérieux sur une piste ou dans une voiture, il faut en faire deux fois plus. Peut-être un peu comme dans tous les métiers masculins du monde. Au départ, on te regarde avec un petit sourire, on te prend un peu de haut mais après ce sont les résultats qui comptent. Et la chance qu’on a dans le sport automobile, c’est que le juge final, c’est le chrono. On ne peut pas mentir avec ça. »
« Je suis le fruit d’un énorme concours de circonstances »
Tout pilote rêve d’aller loin. Vanina avait ses objectifs : « Je n’ai jamais rêvé d’aller en F1. Je n’ai peut-être même jamais rêvé de faire de la course automobile. Je suis le fruit d’un énorme concours de circonstances mais que j’ai saisies en passant. Je me suis toujours montrée à la hauteur des chances qui m’étaient offertes. » Contrairement à d’autres, Vanina n’a jamais réussi à anticiper son avenir dans le sport automobile. Les saisons qu’elle a essayé de monter elle-même en allant à la chasse aux sponsors et aux équipes n’ont jamais abouti. Par contre, les coïncidences lui ont permis de réaliser un parcours de près de quinze ans. « Quand j’ai commencé le sport automobile, je me suis mise à rêver à faire les 24 Heures de Francorchamps : finalement je les ai faites. Après je me suis mise à rêver de rouler en prototypes et aller aux 24 Heures Du Mans : j’y ai participé sept fois. Après, j’ai aussi bousillé pas mal de chances, je suis sortie quelques fois de la route à des moments importants. J’aurais pu faire beaucoup mieux que ce que je n’ai fait, mais bon on ne revient pas sur le passé. Dans l’ensemble, jamais je n’aurais espéré pouvoir vivre du sport automobile, c’est ça qui est rigolo. »
Des concours de circonstances qui lui ont amené la passion du sport automobile. La passion est venue en pratiquant. « J’ai toujours été impliquée sportivement depuis toute petite dans des défis physiques et mentaux. C’est un besoin que j’ai, et si ça n’avait pas été le sport auto, ça aurait été autre chose. Le sport auto, c’est une belle combinaison de ça. Mais ce n’est pas pour autant que j’ai la passion des voitures. J’ai la passion du pilotage et du dépassement de soi, mais pas des voitures et des moteurs. C’est parfois difficile à comprendre de l’extérieur. Parce que tous les gens qui me rencontrent, les hommes en tout cas, veulent me parler des voitures, et des modèles et je n’y connais rien. »
On ne dit pas non au sport automobile
Vanina Ickx: palmarès
– Victoire en Fomula Ford 2000 Ferrari Maranello Challenge en 2003 : victoire, pole position et podiums
– Victoire aux 24 Heures de Spa en 2004 Deux années en DTM (2006-2007)
– 3e place aux 1000km de Spa, Monza et Silverstone en 2005
– Victoire aux 12 Heures BTCS de Spa (Renault Mégane) en 2008
– 5 participations aux 24 Heures du Mans entre 2005 et 2011 dont une 7e place en LMP1
– Une 7e place à la Race of Legends en 2017
Participation à la 34e course de Pikes Peak en 2018
Après quelques années de bons et loyaux services au volant, Vanina décide de raccrocher la combinaison. « Pour moi, le timing était bon. » Les années en DTM l’ont usée : le niveau est relevé, la voiture difficile, les relations avec l’équipe tendues. Mentalement, le combat dedans et en dehors de la voiture devient lourd. « En DTM, on n’est pas là pour rigoler. Dans les interviews, quand je disais que je roulais par passion et par plaisir, ça passait mal auprès des Allemands. Il fallait que je roule pour gagner. Et quand on rentre à la maison après chaque week-end de course, qu’on est dernier ou avant-dernier et qu’on ne se sent pas valorisé, on ne passe pas un bon moment… » C’est pourquoi en 2011, elle décide mettre fin à sa carrière. Pourtant, le sport automobile, on ne s’en débarrasse pas si facilement. Depuis, elle continue à prendre part à divers événements de temps à autre, de nouveau, lorsque les
circonstances l’y emmènent. « L’année passée, on avait fait une course en famille sur la Fun Cup, les 25h c’était vraiment génial ! Mes petits frères n’ont jamais connu papa pilote, ils ne se rendent pas compte de ce qu’il a fait et de ce qu’il a été. Ils ont découvert l’univers du sport automobile et ils ont vu que ce n’était pas si facile que ça. » Récemment, Vanina a pris le volant d’un Vertigo pour défier les montagnes du célèbre Pikes Peak. « C’était fantastique ! La voiture était super bien née, je me suis tout de suite sentie à l’aise dedans. Sportivement, c’était vraiment gai. C’était dingue, et l’équipe était vraiment chouette, ils étaient contents du résultat. »
« J’espère qu’en Europe, les choses vont bouger pour les filles »
Avec sa propre expérience, Vanina est ravie de voir que les choses bougent pour faire de la place aux femmes dans le sport automobile. Même si des disparités existent. « On a une guerre de retard par rapport aux Etats-Unis, ils font rouler des filles depuis bien longtemps et ils jouent le jeu. Ils ont compris l’intérêt d’avoir des femmes dans le sport automobile. Ça représente un chiffre d’affaire important. Ici, il n’y a rien qui est mis en place en Europe pour les filles, si ça l’est, c’est toujours de manière condescendente. » En effet, Vanina a vu défiler des propositions de projets féminins mais la majorité avaient une finalité marketing. Je constate aujourd’hui que ça évolue, j’ai vu récemment sur les réseaux sociaux que le RACB cherchait des filles. Je suis un peu étonnée de ne pas avoir été mise au courant de ça parce que je suis administrateur au RACB, je suis une femme et j’ai fait de la course. Je ne peux que féliciter cette initiative, il y a vingt pilotes au départ sur une grille, il y a évidemment de la place pour une fille. »
L’important est de stimuler cette idée à commencer par le karting. « C’est comme avec Justine Henin quand elle a commencé à tout gagner. On a vu que le tennis a commencé à prendre une ampleur beaucoup plus importante auprès des filles en Belgique. Il faut une émulation. Ça doit venir d’en haut. Ça fait longtemps que je leur dis au RACB. » Pourtant, une seule et même question revient toujours sur la table : le budget. « C’est sûr que c’est un problème commun. Mais il faut se dire que nous, les filles, on a la chance d’attirer d’autres cibles, d’autres partenaires chez qui on va frapper. C’est notre chance, et si elle bien exploitée, il y a moyen de faire de belles choses mais il faut que tous les éléments soient réunis et que les instances changent un peu de mentalité. J’ai l’impression que c’est en train d’arriver, il faut que les partenaires jouent le jeu, que la fille ait du talent et un bon environnement. »
Nous arrivons à la fin de notre balade le long des pistes d’atterrissage. Un avion atterri non loin et le bruit du moteur émerveille Vanina. L’univers des bolides qui font du bruit ne vous lâche pas si facilement. « Je pensais que le sport automobile était une page tournée. Et honnêtement, je me suis tellement amusée à Pikes Peak… je sens que c’est encore là. De là à préparer à nouveau une saison entière et à me remettre sur le circuit : ça, non. Quand je vais rouler, en général, ce n’est pas de ma propre initiative. Mais si on me propose, j’ai du mal à dire non. Ma vie maintenant, c’est ici. D’ailleurs, mon mari et moi, on est en train de passer notre licence d’avion. » D’un moteur à un autre, cette fois, Vanina a décidé de choisir celui qui fera vibrer son cœur.
Angélique Belokopytov