La vitesse en solo se sent seule
Ah, le haut niveau… Parfois, la puissance de certaines disciplines nous éblouit au point de nous rendre aveugle. Nos yeux ne voient plus qu’à travers un seul cadre, celui d’un championnat majeur, oubliant ses « catégories-enfants », étapes pourtant presque nécessaires pour arriver au sommet. Nul besoin de dire que sport moteur est loin de faire exception à la règle.
Parlons bien, parlons moteurs solitaires ! Aujourd’hui, j’ai décidé de la jouer schizophrène, en me retournant contre ma propre passion. L’amour rend aveugle dites-vous ?
Formule 1, je te donnerais mon coeur si je le pouvais. Tu le sais ma belle, tu as cette capacité à embrouiller mon esprit une vingtaine de week-ends par an. Alors oui, je n’ai pas peur de l’avouer: je t’adore. Même avec tes petits côtés frauduleux, sombres, et les millions cachés derrière les volants ou imprimés sur les casques. Après tout, qui n’a pas ses petits coins d’ombre ? On a tous quelque chose de Bernie en nous.
Pourtant, c’est justement ça mon souci du jour: l’ombre que font les grandes disciplines internationales sur leurs propres enfants. Ces « sous-disciplines » (j’y mets des triple guillemets!) qui sont le tronc de base menant aux fruits les plus juteux.
Roule seul, bien seul
J’avais envie de lever la visière sur ces nombreuses compétitions assourdies par les moteurs –pas si bruyants finalement- de la Formule 1. Commençons par une simple constatation: il existe plus de vingt compétitions en monoplace. Combien en connaissiez-vous réellement ? Pour les plus férus, je parie sur cinq.
Entre deux coups d’accélérateur de prise de bonne conscience, je dois bien avouer une chose. Moi-même, avant d’être réellement immergée dans l’univers de la vitesse en solo, même les antichambres de la F1 je ne les connaissais qu’à peine. Alors au-delà, n’en parlons pas…
Faute de médiatisation, faute d’oreilles qui n’entendent pas. En plus d’être aveugles, nous sommes sourds ! Dressés comme des moutons à n’apprécier mécaniquement que ce qu’on nous donne dans l’assiette depuis des années. C’est le cercle vicieux de l’amateur rare qui souhaite s’intéresser à ces disciplines et du média volontaire de le satisfaire mais qui ne possède qu’un portefeuille ouvert à la masse. Ce qui rapporte, il n’y a que ça de vrai, médias ou compétitions sportives, le mot d’ordre reste le même.
Des compétitions et des pépites d’or
Toutes ces « petites » disciplines recrutent de vrais petits génies du volant qui ont plus de chance de tomber dans l’oubli avec le temps que d’atteindre les sommets. Chacune d’entre elle représente un univers différent, avec de vrais talents, de beaux enjeux, de belles courses, souvent plus palpitantes que leur propre Mère. Si seulement elles avaient l’attention sur elles et le développement nécessaire…
À mon humble avis, elles auraient les capacités de menacer la couronne de leur Reine. Cependant, elles sont souvent vues et présentées comme des lieux de passages construits en escalier. Une échelle du marche ou crève. Ouvrez vos chakras un à un jeunes pilotes, cela vous mènera inexorablement vers le nirvana qu’est la F1, état d’émancipation ultime.
La crise appuie sur l’accélérateur de la Formule 1
Elle pourrait même avoir de quoi envier, ou du moins, s’inspirer de ces compétitions. Et ce, à tous les niveaux, à commencer par l’ambiance jusqu’aux dimensions les plus techniques. Mais cette belle Dame est trop puissante, on ne remet pas en question une domination à ce point acquise et évidente. La crise qu’elle connait ces dernières saisons la pousse à miser de plus en plus sur le commercial ou le marketing. Il est évidemment hors de question que les petites demoiselles de la basse-cour viennent faire de l’ombre à la Princesse dansant au sommet de son donjon.
J’ai presque envie de parler de violence symbolique, celle qui oblige les pilotes à mener des parcours bien précis. Cela se fait ressentir jusque dans la réalité pure et dure du terrain. Je m’explique. Un pilote de GP2 ne pourra pas accéder à un Paddock F1. Or, ils sont tous derrière un volant aux prises d’un bolide similaire. Ils n’ont que de l’expérience à partager et vivent dans le même univers, à quelques millions près. C’est peut-être bien ça le problème. La balade matinale dans le Paddock, ce n’est pas pour n’importe qui. On ne reçoit cet honneur que si on est « fils de » ou le « chanceux » élevé à l’engrais d’une école de pilotage dont la marque se retrouve au-dessus de la porte d’un motorhome.
Je me suis promise de ne pas citer Stoffel. Oups, trop tard. Tant que j’y suis, j’embraye. Le champion belge est un bel exemple. Sans parler du fait qu’il a un avantage conséquent sur les autres : il pose déjà ses semelles sur un accélérateur F1. Pourtant, le tenant du titre de GP2 n’a pas suffisamment de zéros à la suite au compteur. Il est toujours là, à attendre sur le marché du dimanche, avec du talent à revendre presque à qui en voudrait. Devant son comptoir McLaren, défilent des dirigeants, voire même des pilotes, qui le saluent poliment tout en ne manquant pas de dénigrer les championnats monoplaces inférieurs. La F1 se veut sommet de la réussite mais se montre de plus en plus inaccessible.
Petit coup de frein
Évidemment, les lignes qui précèdent suintent la caricature d’un utopisme bêtement naïf. Il est impossible de mettre toutes les compétitions en évidence, il y en a beaucoup trop. La hiérarchisation est également nécessaire. Nul besoin de rappeler que dans le monde du sport, le but est avant tout d’évoluer.
Simplement, cela serait bien de ne pas voir de nouveaux pilotes débarquer en zone libre F1 comme sortis de nulle part, des petits inconnus cueillis au fin fond de la compagne du sport automobile, alors qu’ils passaient plus de temps sur le podium que sur les bancs de l’école.
Au-delà de ça, prenons l’IndyCar ou encore le WEC qui sont des championnats tout aussi prestigieux et pourtant placés sur un échelon inférieur par la plupart des amateurs ou professionnels du monde automobile. L’argument principal avancé ? Ce sont des étapes « post-carrière ». Ont-ils jamais regardé ces courses ou pris le volant d’un de ces bolides ? C’est à se demander, vraiment ! La post-carrière, tu te la fais sur Wii, pas sur circuit. Qu’ils ouvrent les yeux, ces disciplines attirent de plus en plus par leur ouverture, leur simplicité, et font face à une arrivée de pilotes de plus en plus jeunes, d’avance découragés par une Formule 1 froide, fermée et hautaine.
Alors oui, j’aimerais voir toutes ces compétitions sur un pied d’égalité. Mais cela n’arrivera pas, je ne rêve pas. J’aimerais juste ne pas voir la Formule 1 les nier, dénigrer, dominer, cacher. Trêve de synonymes, qu’elle n’écrase pas ce qui fait sa force, et qui lui fournit ses meilleurs éléments. Bref, ce qui fait sa base.
Alors, F1 mon amour, cesse de te couper le tarmac sous les roues, ne sois pas juste championne mais sois une belle championne.
Angélique Belokopytov